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RD Congo-Massacres : Ils vont blanchir le général Mundos

Le général Akili Muhindo dit Mundos est de retour à Beni où il est en voie d’être blanchi par la justice militaire. Décrit comme le principal artisan des massacres de Beni par les enquêteurs de l’ONU et plusieurs équipes de chercheurs, il fait l’objet des sanctionsde l’Union européenne depuis le 29 mai 2017. Mais l’officier, proche de Joseph Kabila, vient de bénéficier d’un stratagème qui devrait aboutir à son « blanchiment », du moins aux yeux de la justice congolaise. En effet, la cour militaire opérationnelle de Beni a lancé un appel à toute personne disposant de preuves à l’encontre de l’officier de les présenter pour une confrontation avec celui-ci, qui se présente toutefois sous le statut de simple « renseignant » ; et c’est là tout le problème. C’est un cadre juridique qui donne l’illusion que justice est rendue alors qu’il s’agit, au fond, de maquiller l’impunité, en particulier au profit des hauts gradés de l’armée ou de la police, protégés par le pouvoir.

Pour autant, des témoins et autres « renseignants », dont la prise de risque mérite qu’on s’y arrête, se sont présentés aux audiences et déposé devant la cour.

Dans cette analyse, nous allons rappeler le contexte qui a vu ce général émerger au cœur de la tragédie de Beni (I), l’assurance de l’impunité dont il bénéficie devant la justice congolaise (II) et le courage des personnes qui prennent le risque de déposer contre lui (III).

I. Le général Mundos au cœur de la tragédie de Beni

En septembre 2014, le général Mundos prend les commandes de l’Opération Sukola 1 contre les ADF à Beni après le décès du général Jean-Lucien Bahuma, qui lui-même avait remplacé le colonel Mamadou Ndala assassiné le 2 janvier 2014. L’arrivée du général Mundos va coïncider avec le déclenchement des massacres. Après plusieurs mois de tueries et des rapports l’accusant d’être derrière les tueurs, des voix vont s’élever pour exiger son départ. Il sera muté dans le secteur opérationnel de Kalemie, ex-Katanga, et remplacé à la tête de l’Opération Sukola 1 par le général Marcel Mbangu Mashita, en juin 2015. On a alors observé une accalmie d’environ deux mois. Mais par la suite, le général Mundos a été discrètement ramené dans la région, à Mambasa, et placé aux commandes de la 32ème Brigade mécanisée et du secteur opérationnel Mambasa-Nyanya-Nyakunde. Les massacres ont repris, les assaillants se repliant dans les zones sous contrôle de ses troupes[1].

Mundos revient à Beni au moment où son successeur à la tête de l’Opération Sukola 1 semble affaibli, au vu de la recrudescence des attaques. Le 18 octobre 2017, le général Marcel Mbangu, a même survécu à une embuscade sur l’axe Mbau-Kamango, embuscade au cours de laquelle un de ses gardes du corps a été tué tandis que plusieurs véhicules de son convoi ont été détruits. C’est donc en position de force que Mundos revient à Beni, et sa réinstallation est d’ailleurs déjà en cours. Pour quelle mission[2] ? En tout cas la population assiste impuissante aux travaux de réaménagement d’un site au quartier Boïkene, où l’officier s’apprête à installer un impressionnant quartier général… au milieu de ses victimes et des témoins qui vont réapprendre à vivre la peur au ventre. En attendant, c’est avec une impressionnante escorte d’une dizaine de Jeeps bondées de militaires armés jusqu’aux dents, que le général se présente devant la cour pour faire face aux témoins. Les apparences parlent d’elles-mêmes ; la suite n’est que formalité !

II. Un général au-dessus des lois

Sur le plan du droit, le statut de « renseignant », sous lequel l’officier se présente, fait partie des curiosités de la procédure pénale au Congo, et est souvent utilisé dans des affaires sensibles. Il a été utilisé entre autres au profit du général John Numbi dans l’affaire Floribert Chebeya, du nom du défenseur des droits de l’homme assassiné à Kinshasa en juin 2010. Comme à Beni, tout accusait ce haut gradé de la police[3], mais la cour avait décidé de le faire comparaître sous le statut de simple « renseignant ». Ce statut apparaît ainsi, de fait, comme une manœuvre visant à vendre à l’opinion l’illusion que la justice n’épargne pas les hauts gradés des forces de sécurité, alors qu’il s’agit purement et simplement de mise en scène visant à blanchir les commanditaires des crimes d’État.

Ainsi les témoignages contre le général Mundos, comme il y en a eu des dizaines depuis le début des massacres, ne serviront à rien tant que l’officier se présente sous ce statut de « renseignant ». Pire, le procureur militaire Mukuntu Kiyana n’est pas en capacité de le mettre en accusation devant cette cour, même si de nouvelles preuves plus accablantes que celles à sa possession devaient lui être communiquées.

En effet, la procédure devant les cours et tribunaux militaires au Congo est subordonnée au respect du principe hiérarchique[4]. Suivant ce principe, un prévenu doit être d’un grade inférieur à celui des juges et du procureur militaire en charge des poursuites à son encontre. Ce principe est renforcé par les règles de « compétence personnelle » des juridictions militaires. Les officiers généraux ne sont ainsi passibles de poursuites que devant la Haute Cour militaire[5]. À Beni, le procureur militaire Timothée Mukuntu Kiyana a le grade de général-major, mais le « principe de réalité de la justice au Congo »[6], ne lui laisse guère la possibilité d’inquiété un « général de brigade » proche du Chef de l’État. La seule façon de contourner cet obstacle juridique est d’attendre que la Haute cour militaire, dont le siège se trouve à Kinshasa, tienne une chambre foraine à Beni. C’est une possibilité prévue par la loi, mais que seul le président de la République est habilité à mettre en route[7]. Or, accusé d’être lui-même impliqué dans les massacres[8], Kabila peut difficilement décider d’envoyer la Haute cour militaire à Beni et prendre le risque que ses hommes de main, comme Mundos soient arrêtés et obligés de comparaître sous le statut de « prévenus ».

Mundos peut donc « parader » devant la cour militaire opérationnelle de Beni et donner l’illusion d’une justice indépendante, alors qu’il n’en est rien. Il est si sûr de ne pas être inquiété qu’il a déjà commencé à se réinstaller dans la ville. Pour autant, la soif de justice a amené plusieurs témoins, sensibilisés par la société civile, à braver la peur. Un de ces témoins, ancien maï-maï, a affronté Mundos devant la cour.

III. Le courage d’un témoin

Aux audiences du 16 et 18 novembre 2017, le témoin Oscar Kihundu Lusenge, soutenu par la société civile[9]. En décembre 2014, à l’occasion d’un dialogue social mené à Beni, cet ancien guerrier maï-maï avait publiquement affirmé que le général Mundos, déjà commandant de l’Opération Sukola 1, l’avait approché à plusieurs reprises pour qu’il fasse partie d’un groupe de tueurs que parrainait l’officier. Devant la cour, Oscar a réaffirmé qu’ils s’étaient parlé deux fois en face à face avec Mundos et une troisième fois via un intermédiaire. Selon son témoignage[10]les attaques que le général Mundos organisait contre la population de Beni avaient pour but de saboter le processus électoral. L’ancien maquisard dit qu’il avait, à chaque fois, refusé les offres de Mundos, ce qui ne l’a pas empêché de manifester des craintes bien visibles pour sa vie, à juste titre. À l’audience du 20 novembre devait comparaitre le général Mundos, mais, surprise, pas d’audience parce que le premier président de la cour, le colonel Jean-Paulin Chaikolo, avait été rappelé d’urgence à Kinshasa, pour une raison inconnue… de toute évidence pour se faire tirer les oreilles face à des révélations qui deviennent chaque jour embarrassantes pour le régime. La dernière fois que le procès de Beni avait sérieusement embarrassé le pouvoir, le procureur militaire Timothée Mukuntu fut rappelé d’urgence à Kinshasa, tandis qu’une attaque contre la prison de Beni permettait à la quasi-totalité des suspects de s’enfuir : 935 détenus sur les 966 s’étaient évadés en pleine journée.

Pour revenir aux craintes du témoin Oscar, il faut toujours garder à l’esprit le fait que Beni est une affaire d’État qui a coûté la vie à un grand nombre de personnes qui avaient été sollicitées pour prendre part aux massacres, mais qui avaient refusé, devenant du coup des témoins gênants[11]. Même le célèbre colonel Mamadou Ndala avait été sollicité pour qu’il puisse s’associer au « complot » contre la population de Beni, ce qu’il refusa, bien entendu, avec les conséquences qu’on connait. Il le paya de sa vie. Dans notre ouvrage, « Les Massacres de Beni », nous revenons sur le cas, en particulier, des chefs coutumiers qui avaient été sollicités par des émissaires de Kinshasa pour héberger les tueurs dans leurs chefferies. La plupart avaient refusé, ce que certains, par la suite, ont dû payer de leurs vies[12].

L’autre raison des craintes du témoin renvoie au sort tragique du lieutenant-colonel Arsène Ndabu Ndongala. Chauffeur du colonel Mamadou Ndala lors de l’embuscade mortelle du 2 janvier 2014, cet officier, qui avait promis de faire des révélations devant la cour militaire, fut retrouvé mort la veille de sa déposition. Et, comme par hasard, parmi les personnes à qui il devait être confronté, figurait le général Mundos qui comparaissait déjà, ce 2 octobre 2014, devant la même cour, pour son possible rôle dans l’assassinat du colonel Mamadou Ndala. Le même 2 octobre 2014 débutaient les massacres qui durent depuis.

Conclusion

La récurrence des crimes de guerres, crimes contre l’humanité et crimes de génocide au Congo s’explique pour l’essentiel par l’incapacité de la justice congolaise à réprimer les planificateurs, seuls les « petits poissons », voire des innocents étant accablés par une justice aux ordres. La crise de Beni est une affaire trop grave pour être laissée entre les mains de la seule justice congolaise, dont on connait le faible niveau de crédibilité. DESC a ainsi lancé, en mai 2015, une pétition pour réclamer une enquête pénale internationale[13] afin de démanteler ce réseau de tueurs qui s’entrainent « sur les corps humains », et se mettent en condition pour être projetés sur les habitants de n’importe quel territoire congolais[14]. Surtout en cette période d’incertitude, où le régime s’emploie à retarder le plus longtemps possible la tenue d’élections sur fond de chaos sécuritaire.

Boniface Musavuli

Auteur de l’ouvrage Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes, disponible sur Amazon, https://www.amazon.fr/dp/152170399X.

Références

[1] De nouveaux témoignages font état d’un convoyage clandestin de tueurs par un réseau parallèle de la hiérarchie des FARDC. Dans notre analyse du 30 octobre 2017, nous rapportons le témoignage d’une mère d’Oicha dont le fils, parti en formation militaire à Kamina et à Kananga, a été discrètement ramené dans les brousses de Beni avec ses camarades pour opérer en tant que « rebelles islamistes ADF ». Cf. B. Musavuli, « Attaques de Beni : L’ennemi se cache dans l’armée », https://desc-wondo.org/fr/beni-lennemi-se-cache-larmee-b-musavuli/.

[2] Le général Mundos a choisi de s’installer dans le quartier Boïkene, non loin de la résidence de la famille Nyamwisi, à portée de tir. On peut aisément en déduire une provocation ostentatoire du régime Kabila que l’opposant Mbusa Nyamwisi, en exil, a plusieurs fois accusé d’être derrière les massacres. Un tel redéploiement peut aussi signifier que les partisans de Mbusa Nyamwisi, très actifs en territoires de Beni et Lubero, vont devenir des cibles privilégiées du régime, tandis que l’opposant doit renoncer au rêve de revoir sa terre d’origine, désormais occupée par son pire ennemi. DESC avait déjà perçu dans la violence de Beni un affrontement politique entre deux hommes : Joseph Kabila et Mbusa Nyamwisi. Cf. JJ Wondo, « Beni, ville martyre de l’affrontement Kabila – Mbusa Nyamwisi », http://desc-wondo.org/fr/dossier-special-desc-rd-congo-beni-ville-martyre-de-laffrontement-kabila-mbusa-nyamwisi/.

[3] Selon les témoignages recueillis et révélés par le réalisateur belge Thierry Michel, Floribert Chebeya et son collègue Fidèle Bazana avaient été exécutés sur ordre donné au général John Numbi par « la haute hiérarchie ». Dans le jargon du microcosme politique congolais « la haute hiérarchie » signifie « Joseph Kabila », fit remarquer le documentaire consacré à cette affaire.

[4] Art. 67 du Code judiciaire militaire : « Le magistrat qui représente le ministère public à l’audience doit être d’un grade supérieur ou égal à celui du prévenu ».

Art. 33 du Code judiciaire militaire : « La désignation des juges assesseurs pour siéger dans une cause est subordonnée au respect du principe hiérarchique. Le juge assesseur du même grade que celui du prévenu doit être d’une ancienneté supérieure ».

[5] Art. 120 du Code judiciaire militaire : « Sont justiciables de la Haute Cour Militaire (…) les officiers généraux des Forces Armées Congolaises et les membres de la Police Nationale et du Service National de même rang »…

[6] Au Congo, les hommes au pouvoir n’hésitent pas à s’en prendre physiquement aux magistrats, en toute impunité. C’est, entre autres, le cas de quatre magistrats de l’auditorat de garnison de Kisangani qui avaient subi des actes de tortures le 28 juillet 2007 sur ordre du général Jean-Claude Kifwa, commandant de la neuvième région militaire. À Beni-même, en août 2016, un magistrat qui avait fait arrêter des militaires accusés de détourner la ration, fut passé à tabac par la garde personnelle du général Marcel Mbangu, commandant de l’Opération Sukola 1, et jeté au cachot pendant que les soldats incriminés étaient libérés en dehors de tout cadre légal. Cf. https://www.radiookapi.net/2016/08/03/actualite/societe/un-magistrat-militaire-tabasse-et-brievement-detenu-beni.

[7] Art. du Code judiciaire militaire : « Dans le cas de circonstances exceptionnelles, le siège de la Haute Cour Militaire peut être fixé en un autre lieu, par le Président de la République. En temps de guerre, la Haute Cour Militaire tient des chambres foraines en zones opérationnelles ».

[8] Jean-Jacques Wondo, « Joseph Kabila et le général « Mundos créent-ils des faux ADF/Nalu ? », http://desc-wondo.org/fr/joseph-kabila-et-le-general-mundos-creent-ils-des-faux-adfnalu-jj-wondo/.

[9] Parmi les organisations de la société civile qui se mobilisent pour encourager les témoins, figure l’ONG CRDH que préside le défenseur des droits de l’homme Jean-Paul Ngahangondi, basé à Oicha. Depuis le début de la crise, son organisation a recueilli des dizaines de témoignages de rescapés et des victimes dont un grand nombre se gardent de se confier aux autorités.

[10] Extrait du témoignage d’Oscar Lusenge : https://youtu.be/0Q7pCg_oxEI.

[11] Dans son analyse du 13 mai 2015, Jean-Jacques Wondo revient sur la mort à Kinshasa du major Désiré Basikania, ancien chef des renseignements militaires en territoires de Beni et Lubero. Cf. JJ Wondo, « Joseph Kabila et le général « Mundos créent-ils des faux ADF/Nalu ? », op. cit.

[12] Au déclenchement des massacres, le chef Karose d’Eringeti fut assassiné de même que son fils. En collectivité des Watalinga, le chef Vulia du groupement Bavisa fut tué de manière théâtrale. Les assaillants, habillés en tuniques de musulmans pour faire illusion, l’avaient littéralement massacré en plein marché pour le « punir » et en faire un exemple. Avant le déclenchement des massacres, les deux chefs, approchés avec insistance par des agents du pouvoir de Kinshasa, avaient catégoriquement refusé d’héberger les tueurs dans leurs chefferies respectives.

[13] « Massacres de Beni : DESC lance une pétition pour une enquête internationale », https://secure.avaaz.org/fr/petition/Procureur_de_la_CPI_et_HautCommissariat_de_lONU_aux_droits_de_lhomme_Une_enquete_internationale_sur_les_massacres_de_Ben/?fKTCGkb&pv=73.

[14] Nous avons déjà expliqué que Beni s’est révélé être un « laboratoire de crimes contre l’humanité », dont les résultats ont été visibles sur terrain au Kasai. Plus de quatre mille personnes, dont deux experts de l’ONU, ont été massacrées suivant les mêmes modes opératoires. Une partie de tueurs de Beni avaient été discrètement dépêchés dans cette région où les habitants ont subitement découvert les horreurs dans lesquelles vivaient leurs compatriotes de l’Est, au quotidien.

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