Résistants ou terroristes ?
Qui est résistant et qui est terroriste dans le marasme actuel du monde ? L’actualité, si éprouvante, de ces deux dernières semaines relance l’interrogation sur leur signification.
Pas plus que les espèces et les continents, les mots et les concepts ne sont pas fixés une fois pour toutes. Leurs sens initial évolue avec le temps, dérive vers d’autres champs sémantiques, voire se mâtine avec des vocables issus de langues étrangères (comme « procédé » et « process »). Dans le maelström médiatique où ils sont happés chaque jour, leur érosion ne peut que s’accélérer, quand ils ne débouchent pas sur des contresens (fréquents dans la bouche de nos modernes bateleurs).
Parmi ces mots particulièrement malmenés, il y a sans nul doute le mot « résistance ». On ne reviendra pas ici sur la complexité des réactions physiques qu’elle désigne à l’origine, pour nous centrer d’emblée sur sa dimension historique. En France, elle a pris son essor avec l’occupation nazie et la collaboration. Nous devrions tous savoir aujourd’hui ce que nous devons à des personnalités qui l’ont incarnée jusqu’à l’hyperbole, comme Jean Moulin, Pierre Brossolette ou Missak Manouchian. Ce terme reste lié au courage, au sacrifice et à la justesse dans l’action. Pour tous ceux qui furent le bras armé de la résistance, il s’agissait de frapper l’occupant nazi et les français qui soutenaient ses visées hégémoniques, pas les civils – sinon par accident - qui en subissaient le joug. Néanmoins les nazis les désignaient par l’appellation – infâmante – de « terroristes », alors même que c’étaient eux qui terrorisaient la population par des représailles massives après chaque attentat. Le fort du Mont Valérien en garde le plus tragique souvenir.
Même si la France n’en a pas le monopole, les mots « résistance » et « résistants » restent auréolés de noblesse. Et l’on comprend pourquoi des terroristes contemporains veuillent s’en revendiquer. Mais à quoi résistent-ils ? A l’ordre capitaliste, au nom de la révolution internationale, comme Carlos dans les années 70 ? Ce combat, manifestement, n’est plus le leur. Ce sont bien plutôt la laïcité (confondue à tort avec l’athéisme) et la liberté des sociétés occidentales qui focalisent leur haine.
Attisés tant par leurs frustrations personnelles que par d’obscurs idéologues, ils peuvent ainsi voir dans la démocratie un contre-modèle qui opprime l’Islam et justifier ainsi leurs pulsions vengeresses. Résistance imaginaire qui flatte sans doute leur ego mais qui n’a pas de réalité objective. Que leurs cibles ne soient plus des figures du pouvoir mais du savoir – voire des citoyens ordinaires – en dit long sur leur conception paranoïaque du monde.
Le Hamas peut être tenu pour un cas d’école. Cette organisation islamiste s’est implantée dans la bande de Gaza après en avoir évincé le Fatah, son rival laïque. Il s’est ainsi posé en protecteur de la population palestinienne soumis depuis de longues années à la colonisation israélienne. Soit ! Mais en organisant, le 7 octobre dernier, le massacre et l’enlèvement de civils désarmés (vieillards, enfants, jeunes fêtards) au seul motif qu’ils étaient juifs, il a révélé au monde entier sa nature profondément terroriste. Car où est la dimension éthique propre à un vrai mouvement de résistance dans une telle volonté de destruction radicale ? Du même coup, il a rendu impossible la recherche d’un consensus entre les deux peuples et relancé la perspective d’une guerre sans merci.
Dans ses carnets, Albert Camus écrivait que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. ». La confusion actuelle des mots « résistants » et « terroristes », nous en offre une assez parfaite illustration.
Jacques LUCCHESI
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