Retraite sans retrait
La proportion entre la population active et ceux qui se la coulent douce, les rentiers, se détériore à vue d’œil, en défaveur des forces vives, ce qui est fort fâcheux. Le système de retraite par répartition est au taquet. C’est du moins ce qu’annoncent les faucons du néolibéralisme, depuis belle lurette d’ailleurs.
Pour y remédier, la Suisse, bastion du libéralisme économique, a trouvé l’œuf de Colomb, les trois piliers. Le premier, bancal à ce qu’il paraît, le système public de retraite par répartition, financé par des cotisations salariales, le deuxième, privé celui-là, de thésaurisation, financé par des cotisations salariales supplémentaires, et finalement, pour compléter le tableau, la prévoyance individuelle et facultative sous forme d’assurances vie et autres plans d’épargne qui font le bonheur de notre industrie financière, un compromis libéral.
Ce qui, en la matière, différencie la Suisse des pays qui l’entourent est le fait que son système de financement des retraites par capitalisation, le 2ème pilier, est obligatoire, à l’intérieur d’une fourchette salariale définie, depuis 1985, la préoccupation majeure ayant été, et l’est toujours, le vieillissement de la population et donc la baisse des cotisations des actifs, ou, plus prosaïquement, à long terme, fatalement, les rendements financiers futurs dépasseront les augmentations de salaires, un état de fait qui s’était avéré pertinent, jusqu’à la dernière crise financière en 2008, en ce qui concerne les rendements d’actifs financiers du moins, car, depuis, le modèle est grippé.
En effet, les liquidités de la prévoyance vieillesse, du « fonds de roulement » de la branche publique « AVS » autant que de celui de la prévoyance privée par capitalisation, sont investies dans les marchés financiers par des prestataires de la haute finance, contre rémunération, en fonction de la taille du capital géré et non en fonction du travail accompli, parmi eux, entre tant d’autres, le fonds d’investissement américain « BlackRock », un partenaire privilégié, grâce à la médiation de l’ancien Président de la Banque Nationale Suisse, Philipp Hildebrand, le partenariat public-privé.
S’agissant principalement d’investissements remboursables et à taux fixes, une relative visibilité quant aux engagements envers les futurs rentiers peut ainsi être garanti, normalement.
Seulement, le dernier crash financier en date, celui de 2008, a brouillé les cartes. Ayant provoqué un véritable séisme mondial, déclenché par l’effondrement du marché immobilier américain, un simple « reset » habituel n’aurait pas suffi à endiguer le raz de marée. La solution choisie, à la racine de ce qui nous pend au nez actuellement, ne fut pas la bonne non plus, or un autre système financier était envisageable, et pourquoi pas la convocation d’un nouveau « Bretton Woods » en incluant la Chine et la Russie, simple observateur lors du dernier rassemblement du genre, d’autant plus que les Etats-Unis ne se trouvaient pas dans la position du plus fort à l’époque comme en 1944. Mais bon, avec des « si » on mettrait Paris en bouteille.
Toujours est-il, en guise d’emplâtre sur une jambe de bois, les Banques Centrales, la Réserve Fédérale américaine en tête, laissèrent littéralement décupler les masses monétaires, et par conséquent la bulle financière, à l’échelle mondiale, faisant fi du dogme monétariste, avec comme effet secondaire l’effondrement de la rémunération du capital, la composante prépondérante du financement de la prévoyance par capitalisation.
Contrairement au système de répartition, où le niveau des rentes est fonction du niveau des cotisations, et indirectement du niveau des salaires, exprimé en monnaie sonnant et trébuchante, avec un peu de chance, le niveau des rentes du système par capitalisation est exprimé en pourcentage du capital épargné, taux fixé par le gouvernement, dans le cas de la Suisse, suivant les conseils des experts de l’industrie de la finance, le partenariat public-privé.
Ce n’est donc pas une surprise qu’actuellement ces mêmes experts exigent d’urgence une baisse de ce taux de conversion de 6,8 % actuellement à 6 %, ce qui représenterait une baisse de rente annuelle de 800 CHF pour chaque tranche de capital épargné de 100'000 CHF.
En temps normaux, un niveau élevé des taux d’intérêt sur les marchés des capitaux devrait favoriser l’investisseur et pénaliser l’entrepreneur lambda qui emprunte pour investir, celui dont la Banque Centrale est censée freiner l’ardeur pour tenir en échec l’inflation et vice versa en cas de danger de déflation. En théorie du moins.
Actuellement les deux sont pénalisés, à cause du fameux « filtre » des banques privées qui décident qui l’obtient le précieux sésame, et, dû à la baisse du pouvoir d’achat faute d’augmentations de salaires depuis une vingtaine d’années, et par conséquent, la baisse de la demande, ce n’est pas l’entrepreneur qui s’endette qui le reçoit, comme le voudraient actuellement les Banques Centrales, dans le but de « relancer l’économie » et créer un peu d’inflation, mais le « perpetuum mobile » des marchés financiers, sur lesquels les caisses de pension investissent les cotisation des travailleurs, qui par ailleurs perdent leur travail parce que les investissements ne vont où les Banques Centrales souhaiteraient qu’ils aillent, dans l’économie réelle. Etant donnée que les Banques Centrales ne favorisent pas non plus les augmentations de salaires, par crainte d’inflation, c’est le serpent qui se mord la queue.
Il y aurait bien sûr une modification envisageable d’une autre variable, celle de la part d’actifs non remboursables, des actions, dans le mix d’investissements, actifs dont la valorisation a littéralement explosé depuis une dizaine d’années, grâce à la manne des Banques Centrales, une option à la nitroglycérine.
Quoi que, une idée à creuser tout de même, car tout dépend de la méthode d’évaluation, celle du marché financier ou celle effectuée par les acteurs de l’économie réelle, car la valeur d’une entreprise, un collectif de travail par ailleurs, et donc de son titre de propriété, l’action, consiste en sa valeur intrinsèque et son chiffre d’affaire futur attendu, le « goodwill ».
Ainsi, dans l’économie réelle, s’ajoute à la valeur intrinsèque d’un fonds de commerce, une survaleur, basée sur la valeur intrinsèque et la valeur de la quantité de produits et services potentiellement vendus dans le futur. L’évaluation d’un actif financier non remboursable, une action, sur un marché financier, en revanche, dématérialise le produit en flux financiers futurs attendus, flux dont la valeur est essentiellement fonction de disponibilité de capitaux, ce qui mène régulièrement, comme c’est le cas actuellement, à cause de l’assouplissement quantitatif excessif des Banques Centrales, à une surévaluation, défiant la loi universelle de la gravitation.
En cette période de grande insécurité économique il serait temps que l’économie, ou mieux encore, le monde du travail, trouve des solutions alternatives, d’abord en s’émancipant de la finance. Du politique, de toute obédience idéologique d’ailleurs, il n’y a rien à attendre, car penser l’économie en dehors d’un cadre idéologique et stéréotypé n’est malheureusement pas dans ses cordes.
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