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Accueil du site > Tribune Libre > Ricardo Cavallo ou le rêve de l’épervier

Ricardo Cavallo ou le rêve de l’épervier

Portrait du peintre Ricardo Cavallo, peintre argentin installé dans le Finistère, par Isabelle Rèbre, P.O.M. projection aux Ateliers Varan 6, impasse MontLouis à 19h30. Entrée libre dans la limite des places disponibles DVD en vente coédité par P.O.M. Films et Les éditions de l’œil…

Le petit miracle de ce film est qu’Isabelle Rèbre a choisi de filmer, en même temps que Ricardo Cavallo en son travail, l’acte de filmer lui-même et de lui tirer le portrait. Elle nous le donne à voir dans sa relation à elle, dans sa relation à la caméra, dans la solitude, dans l’éloignement de celles et ceux placés dans le cadre de la caméra. Nous ne sommes pas au spectacle de ce travail, nous ne sommes pas au spectacle de cet homme. Nous ne le voyons pas dans la lumière comme le toréro dans l’arène ou le comédien sur le plateau. Nous allons avec lui dans ses lieux difficiles et dangereux. Et si nous le voyons à l’œuvre, ce n’est pas depuis une tribune protégée, ou un fauteuil bien rangé.

Tout commence dans une caverne, peu de lumière… les débuts de l’humanité, les débuts de la peinture ? Puis, Ricardo Cavallo nous montre les chevaliers dans les rochers. La cinéaste lui demande où ils sont. Pas de honte à poser la question. Les voir est l’apanage du peintre. Il les remontre. Ah oui, ils sont là. On va dire qu’on les voit. On ne peut pas faire mieux, ni passer son temps à les chercher. Le peintre parle du fait de peindre dehors, des impressionnistes, du peu d’informations sur la protection de leur peinture en cas de vent, de pluie… peu de textes sur le concret de ce travail de peintre en extérieur, de sa matérialité palpable...

C’est dans ce « frottement » de la cinéaste filmant et du peintre peignant que ce fait ce film. Dans une des scènes : « Où tu te mets ? _ Place ton chevalet, et je placerai ma caméra… » Au final, la camérawoman est dans le tableau qui est dans la caméra. Mais ce n’est pas un jeu de miroir. Ce n’est déjà pas un jeu, au sens d’amusement, c’est un jeu sérieux. Ce n’est pas non plus pour se démarquer des documentaires qui tiennent comme un cours « sur » leur sujet. C’est que vraiment c’est dans le contact, c’est dans la relation que se fait la connaissance.

En peu de mots, dès le début, ces enjeux du film, de tout film au fond, sont abordés. L’isolement de celui qu’on voit et de celle qui montre. Capté par la caméra, Ricardo Cavallo se sent « expulsé ». « Quel est ton projet, avec ce film ? » Question réciproque et réversible. Nous avons les échanges de lettres. Ricardo reproche à Isabelle sa distance, du temps qu’elle met pour répondre et le peu d’engagement dans ses lettres… Elle n’est pas à la hauteur, quoi. Cependant la relation, et le film, continuent. Isabelle pose nue, dans un cours que donne Ricardo. « Il faut éprouver ce qu’on fait éprouver à l’autre » dit-elle dans les bonus du DVD. Tout ce film est bâti par et dans l’échange. Cet échange n’est pas toujours fait de réciprocité. On ne voit pas un monstre, au sens étymologique de ce mot, on voit la relation du montré et de la montreuse.

Ricardo Cavallo donne tout à son art. A l’aridité de son art, dit-il une fois (alors qu’il semble au contraire très abondant). Solitude et pauvreté, semble-t-il ; alors que nombre de gens s’intéressent à ses tableaux. On le voit chez lui, manger. Il nous présente un coin avec les images, des photos de sa vie. Il nous parle de sa mère, de son père. Photos qui le sculptent et pour lesquelles il a une sorte de dévotion, il les a rassemblés dans une iconostase.

Il allait en Argentine, il restait avec sa mère et la photographiait. Il dit toute sorte de belles choses de son père. Ricardo Cavallo raconte qu’il voit dans le viaduc de Morlaix, qu’il peint abondamment, qu’il voit dans les arches de ce viaduc (dont on entend le train plusieurs fois dans le film d’Isabelle Rèbre, sans le voir) la forme des arcades sourcilières de son père.

Il est à la recherche d’un mystère de ses origines qu’il ne sait même pas bien formuler. Aucune question précise ne lui vient ; un jour, il aura accompli quelque chose de cette recherche et il aura fini. En attendant, il a des moments de grande solitude qu’il conjure par des autoportraits, parfois d’une grande violence.

Ce n’est pas déflorer la peinture de Cavallo que de dire qu’il fait des tableaux immenses par fragments assemblés, qu’il peint l’un après l’autre, forcément. Il faut dans chaque détail qu’il se représente l’ensemble et la place du détail en travail dans l’ensemble. En ce sens, la peinture se met à ressembler au travail du cinéaste qui monte et voit son film à ce moment-là, de l’écrivain qui file le texte, mot après mot, phrase après phrase…

Le portrait finit par la déconstruction rectangle après rectangle de son plus grand tableau… puisque ses tableaux sont faits pour être vus de loin en grand, d’être faits et défaits pour être transportés ; ils sont conçus brisés, désunis, séparés, rassemblés… séquencés… juste pour nourrir notre mémoire de l’invisible essentiel, avec le cœur. Le tableau s’estompe de l’écran peu à peu. Fin progressive de la peinture et du film dans un même mouvement…

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