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Accueil du site > Tribune Libre > Rwanda : le génocide continue

Rwanda : le génocide continue

6 avril 1994 début "officiel" du génocide rwandais.

En trois mois (oui, rappelez-vous en trois mois), entre 800 000 et 1 000 000 de personnes sont exécutées le plus souvent à la machette.

Quatorze années déjà.

Un génocide selon la définition de l’ONU, comme le génocide arménien commis entre mai et août 1915 (entre 600 000 et 1 000 000 d’Arméniens selon Gérard Chaliand et Yves Ternon, Le Génocide des Arméniens, Bruxelles, nouvelle édition, 1991) et le génocide juif (5 100 000 juifs périrent entre 1940 et 1945 selon Raul Hilberg dans La Destruction des juifs d’Europe, Paris, Fayard, 1988).

Le génocide des Tutsis.

La dernière grande tragédie du XXe siècle après les deux précédentes et celles de la partition des Indes (1947), l’Indonésie (1965-1966), le Biafra (1968-1971), le Bangladesh (1970-1971), le Vietnam (1965-1973), le Cambodge (1975-1979), l’Ethiopie (1984-1985), la Somalie (1991-1992), le Tibet (1951), la destruction des Indiens d’Amazonie, la Bosnie (1992-1994) (selon Alain Destexhe dans Rwanda, essai sur le génocide, Bruxelles, Editions Complexe, 1994).

Comment se représenter une telle quantité de personnes auxquelles la vie a été retirée pour la seule appartenance à une race ?

800 000 personnes. C’est un Wallon sur quatre. C’est une personne dans chaque famille ou plutôt des familles entières. C’est...

Quatorze années déjà.

Une jeune fille Aimée (mais il y eu aussi Claudette, Christine, Françoise, Gisèle, Laurence, Yvette, Angélique, Jacqueline, Edith, Monique, Claudine, Arlette, Claire, Annociata, Anysie, Alice, et tant et tant d’autres).

Là, partout autour d’elle chaque soir, chaque nuit depuis deux mois la même fureur.

Les cris, la poursuite, la haine, la sueur (surtout l’odeur de la sueur), la haine (l’odeur de la haine), les bruits de machettes, les plaintes, les supplications, les imprécations à Imana, le sang qui gicle, le sang qui inonde partout la piste, la colline tout entière.

Et eux - les bourreaux - la regardent coincée par la traque, les yeux invectivés de sang et de haine.

Alors, la violence... et le viol ; enfin, les viols. Le corps qui hurle, l’âme qui se déchire.

1, 2, 3, 10, 20 parfois trente bourreaux-violeurs, les uns à la suite de l’autre.

Et toujours volontairement le dernier atteint du sida.

Le silence.

L’abandon.

Le sentiment de honte.

Se cacher, se terrer.

2, 3, plusieurs jours dans un buisson, dans un tonneau.

Tenter de survivre avec soi-même.

Sans nourriture, sans soin de corps, dans ses excréments...

Tenir, tenir, tenir.

...


Que dire, que faire.

Ne plus rien dire, ne plus rien faire.

...

Fin de la boucherie, l’armée patriotique rwandaise (APR) est là.

Fin du génocide.

Fin du génocide ?

Justin revient.

Jeune soldat de l’APR.

Que dire ? Que faire ?

Rien, j’ai honte.

Essayer de construire quelque chose.

La famille n’est plus. 112 cousins, cousines, oncles, tantes, frères, sœurs, parents. Toutes et tous tués.

Alors, un enfant vient. Un enfant ?

Le père ?

...

Le sida, oui le sida ; pour l’enfant et pour Justin.

Des milliers de jeunes couples atteints du sida avec leurs enfants.

Destins présents et à venir brisés net.

Et ainsi, en silence, le génocide continue, programmé, planifié.

J’ai une nouvelle blessure à mon humanité ouverte tous les jours depuis quatorze ans. Depuis ce jour du mois de septembre 1994, où j’ai écouté ces faits réels.

Aujourd’hui, c’est devoir de souvenir et de mémoire.

La justice telle que nous la concevons ne fut pas rendue. Elle ne le sera pas. Comme si, à Nuremberg en 1959, quelques jugements à peine avaient été rendus.

Les excuses des Belges ne permettent pas à Yolande de donner à manger à ses dix-sept orphelins recueillis par elle qui a presque tout perdu.

Aimée et Justin vont mourir.

Leurs enfants aussi.

Le génocide continue.


° Les prénoms sont des pseudonymes

logo MOT 1280 (CC) Attribution (by)


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14 réactions à cet article    


  • ZEN ZEN 7 avril 2008 10:51

    Terrible blessure pour l’humanité toute entière...

    Qui aurait pu ne pas se produire. Il y a des responsabilités qui remontent à loin...

    Qui mieux que Jean Hatzfeld a décrit avec précision et pudeur cette abominable tuerie programmée et encouragée ?

    -Une saison de machettes

    -La stratégie des antilopes

    A lire. On en sort différent...

    "la vie a été retirée pour la seule appartenance à une race ?" Je parlerais plutôt d’ "ethnie"...


    • ZEN ZEN 7 avril 2008 11:35

      Une pièce de plus à ce douloureux dossier..

      Où il est question encore une fois d’une part de responsabilité française :

      http://www.rue89.com/2008/04/07/quand-la-france-officielle-parle-du-genocide-rwandais


      • Bigre Bigre 7 avril 2008 12:08

        Oui, ce génocide viral continue. sur cet aspect là, il me semble que le Rwanda fait quand même des efforts de traitement de ses séropositifs et que les tri-thérapies sont accessibles aux pauvres. Pas partout peut être, mais j’ai une impression assez positive de l’action du gouvernement contre le sida : prévention et traitements.

        Il y a aussi un génocide économique, avec une extrême pauvreté qui tue, chaque jour. Dans la périphérie de Kigali, dans le Bugesera, ... et il y a peu d’investissements dans les collines. Ce ne sont pas les avenues de Kigali, nouvellement plantées en palmier royal qui soulageront ça. Les buildings poussent, la ville embellit mais la vie est dure en ville et dans les campagnes.quand on n’est pas du bon coté.

        Il y a encore sinon un génocide politique ou ethnique, une violence politique ou ethnique qui tue. Il ne fait pas bon dire ce que l’on pense au Rwanda. Les tribunaux populaires gaçaça ont une assez mauvaise réputation. Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage ...

         


        • Jacques LITWAK Jacques LITWAK 7 avril 2008 12:37

           Je ne partage pas votre point de vue à plusieurs niveaux.

          1. Le terme génocide correspond à une définition précise (voir ONU). Il n’est donc ni économique, ni politique, ni viral. Il est ou il n’est pas. Ce que j’ai exprimé c’est une des formes d’actions utilisées en 1994 afin que le génocide perpétré au Rwanda dans son intention initiale se poursuive et aboutisse ... par delà le temps.

          Cela n’est en aucune manière contradictoire ou dissonant avec les efforts fournis par le gouvernement pour enrayer cette épidémie préalable et indépendante du génocide.

          2. Vous abordez des questions essentielles telle que la situation économique ou politique d’un pays voire d’une région ou d’un continent. Elles ne s’inscrivent pas dans l’intention du génocide mais sont soit parfois des conséquences directes mais surtout des conséquences d’autres choses. L’état politique et économique de l’Afrique (à quelque exceptions près), le rapport entre développement économique et liberté etc. Fondamental mais distinct.

          3. Le mélange de questions essentielles tel que présenté (c-à-d en mettant les concepts sur le plan) ouvrent - je l’espère involontairement - la voie à la négation des faits voire au révisionnisme latent notamment en Europe occidentale (France, Belgique, ...) et distillé par des "génocidaires" en "exil" ou leurs soutiens.

          Bien à vous

           

          PS : A Zen, je concède qu’il est plus rigoureux de parler d’ethnie plutôt que de race.


        • faxtronic faxtronic 7 avril 2008 18:58

          La question est pourquoi ce genocide ? Comment se fait que 800 000 personnes attaquent 800 000 autres a coup de machettes ?


          • Innsa 7 avril 2008 20:19

            Peut etre faut il remonter a l’arrivée des belges... des premiers blancs :

            Ils ont vu un peuple parlant la même langue, ayant les meme coutumes, les memes croyances et vivant en paix. (Selon les anciens, il n’y a jamais eu de guerre entre communauté au Rwanda avant l’arrivée du colon. au contraire, ils étaient unis dans les guerres contre les autres ethnies. Il y avait des mariages intercommunautaires, et un Hutu qui réussissait pouvait devenir Tutsi.

            Ils ont vu que certains travaillaient dans les champs, d’autres commandaient. Ils ont mesuré la taille, le poid, le tour du crâne et ont décidé qu’il y avait 2 races : une autochtone et l’autre descendant des peuples du Nil (Hutu Tutsi).

            Ils se sont appuyés sur ceux qui commandaient pour dominer le pays (Toutsi).

            Ensuite est arrivé l’Eglise qui pour s’imposer s’est appuyé sur les plus nombreux. (Hutu)

            Ensuite sont arrivé les français, qui se sont appuyé sur les chefs (Tusti).

            Ensuite est arrivé l’indépendance et la démocratie, comme les chefs (Tutsi) ont été envoyés a l’école par le colon, ils se sont retrouvé au pouvoir. Et ont brimé les Hutus pour ce qu’ils avait fait au moment ou il étaient au pouvoir avec l’aide de l’Eglise

            Voila comment, dans un jeu d’influence, on favorise une partie du peuple pour asseoir son pouvoir, comment on crée une tentions entre les hommes et comment ca qui aboutit a 1 million de morts.

            PS : au Cameroun, la France a fait la meme chose avec les Bamiléké (pas de chiffres, plusieurs centaines de milliers de morts...)


          • faxtronic faxtronic 7 avril 2008 21:02

            Le mythe du bon sauvage tu nous raconte la. Non j’ y crois pas au mythe du bon sauvage. Les royaumes africains etait tout sauf des havres de paix.

            La question est pourquoi un homme va tué son frere a coup de machette ?


          • Innsa 7 avril 2008 23:14

            1ere chose : Heuuu Faxtronic OU m’avez vous vu écrire que "Les royaumes africains etaient des havres de paix." ???

            J’AI BIEN MIS : "ils étaient unis dans les guerres contre les autres ethnies" lisez GUERRES (le contraire de paix) Ca veut dire qu’il y avait des guerres, jamais entre Hutus et Tutsi , mais les deux communautés contre d’autres ethnies.

            Allez donc apprendre a lire et comprendre des phrases simples, apres vous aurez le droit de traiter les autres peuples de sauvages.

            2eme chose : si vous souhaitez répondre a une personne, mettez un minimum d’argument. Vouloir contredire une personne en disant « Non j’ y crois pas au mythe… » est un peu leger… on apprend a argumenter généralement a l’école a partir de la 6eme.

            3eme chose : "Les royaumes africains etait tout sauf des havres de paix" : Apportez moi 1 exemple, un seul exemple de guerre dans la région des grands lacs, avant l’arrivée des colons (il y en avait je suis certain)

            4eme chose : "La question est pourquoi un homme va tué son frere a coup de machette ?" si vous avez lu mon texte, et suivi un peu l’actualité, vous devriez savoir qu’il est facile de monter des communautés contre d’autres, d’exacerber la haine entre communauté, de favoriser les uns pour les utiliser contre les autres, de baser son pouvoir sur la peur de l’autre...généralement ca fini mal !

            L’imbecilité n’ayant pas de limite chez vous, je dirais meme la connerie profonde de votre réponse m’exaspère. Je ne sais pas pourquoi j’ai pris la peine de vous repondre.

            Je reste certain que ceux que vous appelez "sauvage" sont de loin plus civilisés que vous !

            Mais pourquoi est il aussi con ? ????


          • vinvin 7 avril 2008 23:04

            Bonjour.

             

            (@ Jaques LITWAK)

             

            Merci pour votre article.

             

            Vous parler vers la fin de votre article d’ une certaine YOLANDE...........

             

            Vous voulez-dire YOLANDE MUKAGASANA qui réside en Belgique ?

            La Dame qui a écrout le livre : LA MORT NE VEUT PAS DE MOI .

             

            J’ ai lu ce livre, et c’ est un témoignage don je ne guérirais jamais.

             

            Cordialement.

             

             

            VINVIN.


            • Jacques LITWAK Jacques LITWAK 8 avril 2008 10:38

               Oui, effectivement il s’agit de Yolande Mukagasana qui a écrit notamment ce livre-témoignage hors de l’ordinaire. Je l’ai rencontrée à plusieurs reprises dont le jour et au lieu de la commémoration 10 ème anniversaire du génocide à Kigali. C’est là que devant les excuses répétées des autorités belges, elle m’a dit avec humour glaçant : " tu vois Jacques avec ces excuses je vais pouvoir donner à manger à mes 17 orphelins".

              Bàv


            • Jacques LITWAK Jacques LITWAK 8 avril 2008 10:57

               A toutes et à tous, vous savez mon intention en écrivant ce billet le 6 avril était de partager cette blessure et de montrer une autre facette de cette catastrophe ; pas d’ouvrir un débat sur les bons ou les mauvais, blancs, noirs, jaunes ou rouges, ni sur les responsabilités de toute façon directement ou indirectement aussi collectives. Dans la vie - à mes yeux - les actes sont une chose, leurs conséquences en sont une autre bien plus importante. Il est des actes dont les conséquences déchirent l’âme et la conscience à jamais. Mais on n’est pas obligé d’en avoir une.


            • vinvin 8 avril 2008 14:18

              Bonjour.

               

              (@J. LITWAK)

               

              Merci pour vos précisions. En effet lorsque j’ ai lu le nom de YOLADE su potre article, j’ ai eu tout de suite l’ intuision qu’ il s’ agissait de YOLANDE MUKAGASANA.

              Vous evez eu la chance de la rencontrée, alors que moi je n’ en ai pas eu l’ Occasion, mais j’ aimerais bien, car j’ ai lu son livre témoignage, et il m’ a été d’ une drande épreuve psychologique pour le lire jusqu’a son terme.

              Mais que pourrait-on faire pour aider cette personne pour qu’ elle puisse nourrir sa grande Famille ?

              Créer une Association ?

              Si vous avez une idée, n’ hésitez pas a me la partager, et si je peu contribué a quelque chose d’ utile je le ferais. ( en fonction de mes possibilités bien sur). Mais je ferais de mon mieux.

               

               Bien Cordialement.

               

              VINVIN.


              • Jacques LITWAK Jacques LITWAK 18 mai 2008 21:47

                @Vinvin : j’ai essayé d’entrer en contact avec Yolande mais sans succès à ce moment. bàv.


              • Bigre Bigre 8 avril 2008 17:10

                Vu d’Europe ... il est toujours difficile de se faire une idée. Le génocide Rwandais est évidemment une horreur absolue. Pourquoi, comment, ... plus jamais ça. Et pourtant, il y a l’histoire et le cours actuel des choses, des points de vue différents. Notamment cet article :

                http://www.musabyimana.be/index.php?option=com_content&task=view&id=126&Itemid=44 www.musabyimana.be/index.php

                Tout n’est pas rose ...

                On peut bien sûr se demander comment continuer à vivre après. Et il n’est pas sûr qu’une solution existe. 60 ans après, il y a encore des Français qui ont du ressentiment envers des Allemands. Sans parler des juifs qui sont englués dans la shoah (lire Avraham Burg, ancien président de la Knesset, avant de réagir violemment et épidermiquement à cette phrase).

                Je n’accuserai pas le pouvoir actuel au Rwanda de quoi que ce soit, je ne suis pas dans une position de juger, ni même de me faire une opinion. Font-ils bien ? Font-ils aussi bien que possible ? Mais ce que je vois n’est parfois pas très beau.

                La compassion ... oui. Pour les victimes du génocide de 94, pour les familles et aussi pour tous ceux qui endurent des conditions difficiles actuellement au Rwanda, Bahutu, Batutsi et tous ceux qui ne s’identifient plus selon ces 2 mots.

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