S.O.S Ecole !
« Transmettre, Apprendre »
Le titre du dernier livre de Marie Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi (Editions Stock 2014) n'annonce manifestement pas de scoop dans le domaine scolaire. Ce choix est cependant un moyen habile de mettre au jour les mouvements souterrains qui déstabilisent l'Ecole et ses acteurs depuis plus de quarante ans. LA question qui oppose les « Républicains » et les « Pédagogistes » est subtilement posée : faut-il placer au centre de l'Ecole, les « Savoirs », objets d'une « transmission » en bonne et due forme, ou « l'Elève » supposé apte à choisir et à construire ses propres savoirs ?
Si l'Ecole est bien le lieu pour « transmettre » et « apprendre », on ne compte plus les difficultés qui y sont vécues au quotidien ; à la UNE des médias ces dernières semaines :
- changement des rythmes scolaires dans la précipitation, sans garantie sur l'intérêt et la valeur des nouvelles activités proposées aux élèves, ni sur leur financement,... sans mentionner les expérimentations douteuses qui, sous le couvert d'une dénomination ambiguë « ABCD de l'égalité », heurtent les consciences, perturbent les esprits des enfants et favorisent l'intrusion de lobbies LGBT à l'Ecole...
- mal-être des Enseignants et des Personnels de Direction soumis à de multiples agressions...
- pénurie annoncée d'enseignants du Primaire et du Secondaire - alors que le taux de chômage des jeunes n'a jamais été aussi élevé -
- démission intempestive du Directeur de l'Enseignement Scolaire....
Le malaise de l'Ecole Publique et ses échecs pointés dans les Evaluations internationales (Pisa, Pirls) sont le résultat de la déconstruction progressive du système d'enseignement traditionnel depuis les années 70 et la substitution, à marche forcée, de programmes et de méthodes d'enseignement, conçus et véhiculés par des réseaux internes complexes où la cooptation idéologique et la dilution des responsabilités priment sur la promotion des compétences professionnelles dans le domaine de l'éducation.
Le turnover des Ministres de l'Education Nationale, à la peine pour incarner un Projet Educatif National, apparaît plus que jamais comme un symptôme de ce naufrage.
Il ne s'agit pas de revenir aux pratiques des Hussards Noirs de la République qui ont donné des résultats dans un contexte historique daté. Mais, il convient de reconnaître que les « pédagogistes » ont accéléré les cadences de fabrication des nouvelles chaînes invisibles de l'ignorance, multiplié les dangers de l'anomie, qui entravent les jeunes générations, et particulièrement les éléments les plus fragiles, premiers exclus du système scolaire et de la société.
Il ne s'agit pas de faire un choix entre « Transmettre » et « Apprendre ». Prenant appui sur les transmissions familiales tacites : langue, valeurs, codes sociaux, culture, l'Ecole doit, non seulement, transmettre des savoirs ; elle doit s'assurer que les élèves acquièrent ces savoirs.
S'il est souhaitable que l'Ecole de la République favorise l'expression de tous les talents, à leur plus haut degré, elle doit prioritairement garantir à tous l'acquisition d'un socle de connaissances et de compétences. Il est donc indispensable que les élèves soient placés en situation d'apprendre.
Les véritables questions à résoudre pour l'Ecole sont alors :
- « Comment » transmettre efficacement, à travers un corpus de savoirs, élaboré pour le nouveau venu qu'est l'enfant du 21ème siècle, la culture qui fonde notre société ?
- « Comment » créer l'environnement scolaire favorable qui facilite l'émergence et le développement de toutes les formes d'intelligence, qui incite tous les élèves à réaliser les apprentissages indispensables, gages d'une véritable liberté ?
A juste titre, les philosophes, auteurs du livre « Transmettre, Apprendre » remettent à l'honneur la pensée du psychologue russe Lev Vygotski. En prônant une « pédagogie de la médiation et de la transmission » qui facilite la mise en place, chez l'enfant, des « structures mentales supérieures : langage écrit et concepts scientifiques d'une part, mémoire, attention, contrôle du comportement et de la pensée d'autre part » (p 174-175), Lev Vygotski redonne aux enseignants, aux adultes, un rôle primordial.
Par un enseignement systématique, progressif, en interaction constante avec les acquis réalisés, mais aussi par une nouvelle organisation de l'école qui met en place des équipes pédagogiques efficaces et responsables, l'élève est conduit, et notamment par la maîtrise des outils cognitifs fondamentaux « lire, écrire, compter » vers un degré suffisant d'autonomie et de responsabilité qui lui permettent, le moment venu, d'utiliser internet, les nouvelles technologies de l'information et de la communication pour enrichir et développer ses connaissances.
Avec une approche documentée et distanciée, Marcel Gauchet et ses coauteurs revisitent un certain nombre de théories qui ont pu laisser croire que le modèle éducatif des sociétés de tradition était définitivement périmé. En signifiant clairement l'échec du modèle constructiviste mis en œuvre dans l'Ecole, ils ont le mérite de désamorcer un conflit qui stérilise toute avancée vers une Ecole « laïque, obligatoire, gratuite, … efficace et efficiente », et de poser le cadre d'une véritable réflexion pour une Refondation de l'Ecole de la République au 21ème siècle. Salutaire !...
8 réactions à cet article
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Bonjour,
j’ai entendu parler de ce livre dans Marianne et suis en train de le lire.
Il est vraiment bien fait et explique bien l’opposition transmission hiérarchique et collective / apprentissage autonome et individualiste malgré quelques pages un peu jargonnantes (la partie « maître et disciples »).en tout cas il vaut mieux que toutes les analyses vulgarisantes Michéasque ou Finkiekrautiennes
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Bonjour Olivier Perriet,
J’ai également vu que Marianne parlait de ce livre - que je lirai à l’occasion, car, me semble-t-il, il remet certaines « choses » à leur juste place.Les analyses de Michéa ou de Finkelkraut sur le sujet ne sont pas « vulgaires ». Certes, on peut ne pas les partager toutes et préférer celles de Gauchet (ce qui est mon cas). Mais elles ne sont pas inutiles après le déferlement pédagogiste qui dure depuis plus de trente ans et qui a pour conséquence une école à la dérive.Bonne idée de l’auteur d’avoir attiré notre attention sur cet ouvrage. -
Je rejoins assez E Todd sur finkelkraut et Michéa (que je fréquente de très loin celà dit je l’avoue) :
leurs analyses sont purement descriptives et répétitives, elles ressassent un problème sans apporter le début de la queue d’une ébauche de solution.
C’est purement anxiogène, à la limite on a l’impression qu’ils servent plus à entretenir les problèmes qu’à les résoudre.Une fois qu’on a dit qu’on enseigne l’ignorance (ou que l’immigration pose problème) que fait-on ?
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Bonjour Olivier Perriet,
Merci pour vos commentaires.
Personnellement, je n’ai pas encore lu Michéa sur l’Ecole. Je ne manquerai pas de le faire. Je suis assez d’accord avec votre remarque ; généralement les livres sur l’Ecole font le constat d’un échec sans apporter de véritables solutions. On est dans la déploration, la nostalgie d’une Ecole rêvée, l’accusation...
Marcel Gauchet et ses coauteurs n’apportent pas non plus de solutions, même si des pistes sont indiquées et les principaux écueils signalés. Ce qui me paraît intéressant, c’est déjà de parvenir à dépasser les points de vue antagonistes des « Républicains » et des « Pédagogistes », à dépassionner le débat, pour pouvoir repenser un Projet pour l’Ecole. Généralement les analyses des difficultés de l’Ecole se limitent aux causes invoquées par les uns et les autres ; je crois qu’il faut faire émerger les « causes profondes », les non-dits qui minent le système éducatif ; il faut remettre en cause ses logiques profondes ; il faut un nouveau logiciel pour l’Ecole. Vaste sujet,... qui m’intéresse.
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Ils n’apportent pas de solution toute faite, c’est vrai, mais c’est déjà majeur de pousser la réflexion plus loin que « oh, mon dieu, tout va très mal ! » et de son frère jumeau « l’école est formidable, ce qui manque ce sont les moyens ! », qui sont à peu près les seules réflexions audibles sur le sujet.
J’avais moi aussi il y a quelques années fait un petit nartic sur ce sujet passionnant sur AVox -
Bonjour,
Je partage votre point de vue. Depuis 40 ans et la réforme Haby, l’enseignement en France s’est dégradé, sous prétexte de mettre l’élève au centre de son apprentissage. Vaste fumisteries de pseudo-pédagogues qui n’ont rien compris au fonctionnement humain. Le résultat est catastrophique. Tout le monde s’accorde à le dire. Mais plus les gouvernements passent, plus la déliquescence s’accentue. On dirait qu’il y a une volonté de faire de nos jeunes des générations d’abrutis, indigents et sans capacité critique. Et cela n’aurait rien d’étonnant quand on regarde l’évolution politique et économique du monde. Un projet pensé et orchestré par le pouvoir. Il n’y a donc aucune réelle volonté d’améliorer les choses. Car cela serait possible. Enseigner est devenu un fardeau et on a dévoyé ce pour quoi était fait l’enseignement. L’époque des Hussards noirs était aussi critiquable pour d’autres raisons, mais là nous arrivons presque au fond de l’abîme.Merci pour votre texte-
L’école, ce n’est pas le totalitarisme !
Pourquoi opposer 100% de « laisser venir l’élève » au 100 % de bourrage de crâne ?
Quand on laisse trop faire l’élève, c’est la culture dominante débile qui le motive,
et quand on fait du bourrage de crâne, les informations transmisses n’étant pas utiles, elles sont vite oubliées.
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<<<<mettre l’élève au centre de son apprentissage - Vaste fumisteries de pseudo-pédagogues qui n’ont rien compris au fonctionnement humain.<<<<<
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Une information (le savoir) doit être jugé utile pour celui qui apprend. Là est le problème : qu’est-ce qui reste utile dans une société débile qui court après du vent ?<<<<<On dirait qu’il y a une volonté de faire de nos jeunes des générations d’abrutis, indigents et sans capacité critique.<<<<<
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La psychologie et la philosophie sont deux domaines interdits d’école, car faire des êtres équilibrés, ça ne fait pas de bons consommateurs adeptes de la religion : je consomme donc je suis.
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Pour connaître un peu le milieu de l’enseignement, sachez que ce qui nuit le plus actuellement, c’est le nivellement par le bas :
le proviseur est noté sur les résultats des élèves, donc les profs ont interdiction de mettre les notes réelles. C’est dingue, mais on en est là.
Vive le système monétiste... -
Je suis entièrement d’accord avec vous. Le mal de notre enseignement est le nivellement par le bas. Au nom d’une soi-disant égalité des chances démocratique, on pénalise ceux qui pourraient réussir car demandeurs et désireux d’apprendre, et les autres sont dupés, car on leur fait croire que sans efforts on peut tout obtenir (92 % de réussite au bac général en 2013). Il n’y a certes pas de pédagogie miracle, ni un bon et un mauvais système. Mais après 40 ans d’un échec patent, il serait logique que nos dirigeants se remissent en question. Collège unique et socle commun sont des absurdités. On a dévalorisé les métiers « manuels » et survalorisé le diplôme. A tel point qu’aujourd’hui ces diplômes ne valent quasiment plus rien. Mais qui osera s’attaquer à ce fléau ? Depuis 40 ans nos énarques n’ont donné que dans la démagogie et la facilité. On voit le résultat !!
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