Scènes d’individualisme quotidien
Scène de vie à la Poste d’un quartier chic parisien et réflexion sur les dangers de l’individualisme !
La scène se déroule un après-midi de novembre, à la Poste de la rue de Rennes, à St Germain-des-Prés à Paris. Un quartier chic de la capitale, pour ceux qui ne le situent pas. C’est là, colis à poster à la main, que je patiente, huitième dans une queue de quinze personnes. Le rythme est plutôt bon. Aux guichets ni les fonctionnaires ni la clientèle ne perdent de temps, j’ai bon espoir que mon tour arrive d’ici cinq à six minutes.
D’un coup, nous entendons tous - cette personne s’exprimant suffisamment fort - un monsieur pestant contre l’appareil permettant de faire de la monnaie (l’appareil automatique dans lequel on introduit un billet changé ensuite en monnaie, ce qui peut nécessiter plusieurs essais si on n’a pas le coup de main !). Agacé de ne pas y arriver, ce monsieur - la cinquantaine, très "propre sur lui" - s’approprie un guichet occupé et pose sans aucune politesse cette question :
- Votre appareil ne marche pas ?
La guichetière, très poliment, lui répond que l’appareil est capricieux, parfois il convient d’essayer encore, et plaisante en ajoutant qu’aucun humain ne pourra lui faire entendre raison ! Le Monsieur y retourne, n’y arrive pas, re-peste et se réapproprie le même guichet. La guichetière, se rendant à l’intérieur des bureaux, lui indique qu’elle va se renseigner. Elle revient, et lui annonce toujours très poliment :
- La cellule de l’appareil est sensible, mais en principe, tout le monde y arrive au bout de dix à douze essais au maximum.
Il y retourne, n’y arrive pas encore, se réapproprie le guichet et exige, ordonne, qu’on lui fasse de la monnaie. Bien sûr il y a toujours la queue en parallèle qui augmente et la même cliente qui reste au guichet sans sourciller qu’on accapare sa guichetière... Toujours très polie, mais ferme, la guichetière lui répond que l’appareil fonctionne (c’est vrai) et qu’elle ne peut donc rien faire de plus pour lui. Il répond :
- Vous vous foutez du monde ? J’exige de voir le directeur !
- Bien, Monsieur, je vais prévenir quelqu’un.
Au même moment une cliente jeune, aux doigts de fée, est en train d’introduire son propre billet, et arrive à faire fonctionner l’échangeur de monnaie. Il lui confie son billet, elle réussit également sans aucune difficulté.
J’ajoute qu’entre-temps, une femme - la trentaine très "je ne travaille pas et suis cliente des boutique chics du quartier" - un enfant de cinq ans environ dans les bras, sachant donc marcher, arrive directement à un guichet sans faire la queue, ni demander quoi que ce soit à personne, pour poster sa lettre.
J’ai été assez attristé par ces deux scènes, me demandant comment expliquer ces conduites, ce manque d’éducation. Tout devrait s’arrêter pour soi, uniquement parce qu’on le veut, ignorant par la même occasion tous ceux qui ont les mêmes droits et devoirs, et décidant qu’on est la seule personne qui compte et que tout nous est dû ?
Car c’était une démonstration de plus de l’individualisme et de l’irrespect qu’il engendre, désormais logé au plus profond de la société française, toutes classes sociales confondues. Du fonctionnaire qui réclamera encore la retraite à cinquante-cinq ans même si un jour on vit tous au moins jusqu’à cent vingt ans, au jeune qui vandalisera le bien d’autrui ou le bien public sans raison, en passant par le BCBG qui traite les gens comme on traitait du personnel de maison au XVIIIe siècle... Bien sûr, je caricature, et ne veux pas généraliser.
Cependant, force est d’admettre que le phénomène s’amplifie, ces scènes deviennent courantes. Elles se produisent dans notre vie quotidienne, dans le métro, en voiture, au supermarché, sur les sites où l’on s’exprime et communique, comme AgoraVox. Un rien, un agacement, et hop.
Le contexte, l’éducation, la classe sociale de départ déterminent finalement quelle violence sera utilisée : mots, insultes ou coups. Mais hors de question de considérer un seul instant le point de vue de l’autre, ou de remettre en question la justification de sa propre conduite.
Est-ce logique ? Comment le droit, le devoir, et d’une certaine façon la justice et l’égalité se sont-ils affaiblis au profit d’autres notions ? Qui est responsable ? Que faire ? Nous avons tous plus ou moins des réponses à ces questions, car nous sommes tous en principe capables de réflexion. Et surtout capables de constater que ce n’est pas l’évolution normale ou du moins souhaitable pour une société. Par extension, j’englobe évidemment le racisme, l’homophobie, la xénophobie et également la discrimination envers les seniors, les jeunes et les personnes peu qualifiées dans le monde du travail, phénomènes contre lesquels il est impératif de lutter.
Et du comportement à la Poste aux décisions politiques, c’est vraiment à chacun de s’employer pour faire progresser les relations. Car, sans combattre l’individualisme et accepter les différences, sans comprendre définitivement, en expliquant s’il le faut, que chacun a certes des droits mais aussi des devoirs, l’avenir social de notre pays me semble vraiment fragile.
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