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Seconde Guerre mondiale : Ante Pavelić, le boucher croate des Balkans

Il était le visage d’une Croatie rêvée, un nationaliste exalté devenu dictateur sanguinaire. Ante Pavelić, maître des Oustachis, a gravé son nom dans l’histoire en lettres de sang, orchestrant un génocide qui horrifiera même les nazis les plus cruels. De son ascension fulgurante à sa fuite éperdue, en passant par un règne fantoche sous un roi absent, son parcours est celui d’un homme prêt vraiment à tout pour une idéologie mortifère.

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Une Croatie en quête d’identité

Ante Pavelić voit le jour le 14 juillet 1889 à Bradina, un village perdu de Bosnie-Herzégovine, alors sous le joug austro-hongrois. Fils d’un contremaître des chemins de fer, il grandit dans une famille modeste, mais ses ambitions dépassent vite les horizons étroits de sa province. À Zagreb, où il étudie le droit, il s’imprègne des idées nationalistes du Parti croate du Droit (HSP), un mouvement qui réclame une Croatie libre, débarrassée de la tutelle serbe et des empires étrangers. Jeune homme discret mais déterminé, il se forge une conviction : la Croatie ne survivra qu’en se séparant violemment de la Yougoslavie naissante.

Dans les années 1920, Pavelić se fait un nom comme avocat et politicien. Élu conseiller municipal à Zagreb en 1920, puis député au parlement yougoslave en 1927, il dénonce sans relâche la centralisation serbe imposée par Belgrade. Mais le 6 janvier 1929, tout bascule : le roi Alexandre Ier proclame une dictature royale, dissout le parlement et interdit les partis nationalistes. Pour Pavelić, c’est une déclaration de guerre. Contraint à l’exil, il fuit en Autriche, puis en Italie, où il pose les bases de son destin. Là, dans l’ombre des cafés viennois et des ruelles romaines, il rêve d’une révolution qui fera trembler les Balkans.

 

Gli Ustascia e Ante Pavelić tra Zagabria e Siena / Appuntamenti / Home -  Osservatorio Balcani e Caucaso Transeuropa

 

C’est en 1929 que naît l’Oustacha, l’"Insurrection" croate, un mouvement clandestin qu’il fonde avec une poignée d’exilés fanatisés. Soutenu par Benito Mussolini, qui y voit un moyen de déstabiliser la Yougoslavie, Pavelić transforme ce groupe en véritable machine de terreur. Le 9 octobre 1934, l’assassinat du roi Alexandre Ier à Marseille, orchestré avec l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (ORIM), marque son premier coup d’éclat. Condamné à mort par contumace, il devient une légende noire, un hors-la-loi que l’Italie protège jalousement. À 45 ans, il n’est plus un simple agitateur : il est le chef d’une croisade.

 

Image illustrative de l’article Assassinat d'Alexandre Ier de Yougoslavie

 

La naissance d'un État fantoche

Le 6 avril 1941, les forces de l’Axe envahissent la Yougoslavie, pulvérisant le royaume en quelques jours. Pour Pavelić, l’heure de la revanche a sonné. Le 10 avril, son lieutenant Slavko Kvaternik proclame l’État indépendant de Croatie (NDH), un pantin des nazis et des fascistes italiens, englobant la Croatie, la Bosnie et une partie de la Dalmatie. Cinq jours plus tard, Pavelić entre triomphalement à Zagreb, acclamé par des foules en liesse. Avec le titre de Poglavnik – "Guide suprême" –, il s’installe au pouvoir, prêt à façonner une nation à son image.

Fichier:Ante Pavelic Parlament.jpg — Wikipédia

 

Mais ce royaume a un roi absent. L’Italie, soucieuse de contrôler la Croatie sans l’annexer officiellement, impose le prince Aimone de Savoie-Aoste, cousin du roi Victor-Emmanuel III, comme souverain sous le nom de Tomislav II, en hommage au premier roi croate médiéval. Proclamé le 18 mai 1941 au palais royal du Quirinal, à Rome, en présence du monarque italien, de Mussolini et de Pavelić, Tomislav II ne mettra jamais les pieds dans son "royaume". Depuis Florence, il se contente d’apprendre le croate et de rêver à une Dalmatie qu’il refuse de voir cédée à Mussolini. Pavelić, lui, jubile : ce monarque fantôme lui laisse les mains libres. En réalité, le Poglavnik est le seul maître, un dictateur absolu dans une coquille monarchique vide.

 

Bestand:Designacija Aimone Tomislava II. 18.05.1941.jpg

 

L’État indépendant de Croatie devient vite un laboratoire de l’horreur. Pavelić, obsédé par une Croatie "pure", lance une campagne d’épuration ethnique contre les Serbes, les Juifs et les Roms. Des lois raciales, calquées sur celles de Nuremberg, dépouillent les minorités de leurs droits. À Zagreb, on murmure que le Poglavnik garde sur son bureau une corbeille d’yeux humains, un "cadeau" de ses miliciens . une rumeur invérifiable, mais qui dit tout de la terreur qu’il inspire. En quelques mois, son régime dépasse les attentes de ses parrains nazis, qui le trouvent souvent trop "bestial", selon des rapports allemands.

 

Stamp Croatia Sc B029-30 1943 WWII 3rd Reich General Pavelic MH | eBay

 

 

Le règne de la terreur : les camps de la mort croates

Sous Pavelić, la Croatie se mue en abattoir. Les Oustachis, fanatisés par leur chef, traquent sans répit les "indésirables". Le camp de Jasenovac, surnommé "l’Auschwitz des Balkans", devient le symbole de cette barbarie. Ouvert en août 1941 près du village de Jasenovac, ce complexe de cinq sous-camps s’étend le long de la Save, un fleuve bientôt rougi par le sang. Ici, pas de chambres à gaz sophistiquées : les prisonniers sont égorgés, éventrés ou fracassés à coups de masse par des gardes qui rivalisent de cruauté. Le général Vjekoslav "Maks" Luburić, un sadique promu par Pavelić, dirige cette usine de mort avec une efficacité glaçante.

Les chiffres varient, mais les estimations sérieuses – croisant archives yougoslaves, témoignages et études démographiques – évoquent entre 80 000 et 100 000 victimes à Jasenovac seul, dont 45 000 à 60 000 Serbes, 12 000 à 20 000 Juifs, 15 000 Roms et des milliers de Croates antifascistes. Au total, le régime tue entre 300 000 et 500 000 personnes, selon l’historien Ivo Goldstein et le United States Holocaust Memorial Museum. Les méthodes sont si brutales que même des officiers SS, habitués aux atrocités, s’en émeuvent. Une anecdote circule : un visiteur de marque allemand, haut dignitaire SS, aurait vomi en voyant des enfants décapités à coups de hache.

 

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Le Poglavnik ne se contente pas de Jasenovac. Des dizaines de camps secondaires, comme ceux de Stara Gradiška ou de Sisak, ciblent femmes et enfants. À Gospić, des familles entières sont jetées dans des gouffres naturels, les foibe. Pavelić justifie cette boucherie par une rhétorique mystique : les Serbes sont des "parasites orthodoxes", les Juifs des "comploteurs ", les Roms des "sous-hommes". Dans ses discours, il promet une Croatie "débarrassée de ses ennemis", un rêve qui se transforme en cauchemar collectif. Pourtant, dans les villages, certains Croates, horrifiés, cachent leurs voisins serbes, défiant la folie du régime.

 

La fin d’un cauchemar sanglant

En 1944, le vent tourne. Les Partisans de Tito, mélange de communistes et de résistants de toutes origines, gagnent du terrain. L’Allemagne vacille, et avec elle ses satellites. Pavelić, sentant la fin proche, tente un ultime pari : il exécute deux ministres, Mladen Lorković et Ante Vokić, soupçonnés de négocier avec les Alliés occidentaux. Mais ce geste désespéré ne sauve pas son trône. Le 6 mai 1945, alors que les Partisans entrent dans Zagreb, il fuit avec sa famille et une garde rapprochée, abandonnant ses fidèles à leur sort.

 

Tito 9. svibnja 1945: Četnici i ustaše, položite oružje! - Portal Novosti

 

Sa cavale est rocambolesque. Déguisé en civil, il traverse l’Autriche, puis se réfugie en Italie, aidé par des prêtres catholiques controversés. Un réseau que le Vatican démentira plus tard, avec beaucoup de véhémence. À Rome, il échappe aux chasseurs de nazis grâce à de faux papiers. En 1948, il s’embarque pour l’Argentine du général Juan Perón, terre d’asile pour bien des criminels de guerre. À Buenos Aires, il vit sous le nom d’"Antonio Serdar", entouré d’une petite cour d’exilés croates. Le 10 avril 1957, un attentat le blesse grièvement : Blagoje Jovović, un émigré serbe, lui tire dessus dans la rue. Pavelić survit, mais ses jours sont comptés.

 

Peron Juan - Mémoires de Guerre

 

Forcé de quitter l’Argentine, il trouve refuge en Espagne franquiste, un dernier havre pour les parias du fascisme. À Madrid, il s’éteint le 28 décembre 1959 dans un hôpital, rongé par ses blessures et une infection. Enterré au cimetière de San Isidro, il laisse derrière lui une Croatie brisée et une mémoire empoisonnée. Sa fille Višnja, recluse dans un appartement madrilène, perpétuera son culte jusqu’à sa mort en 2015, entourée d’archives jaunies et d’un amour filial aveugle.

 

Le règne fantôme de Tomislav II : un roi sans couronne

Le rôle de Tomislav II dans cette tragédie est presque comique tant il est tragique. Aimone de Savoie-Aoste, un aristocrate italien cultivé, membre de la famille royale, est propulsé roi par un caprice de Mussolini. Il accepte le titre à contrecœur, espérant jouer un rôle modérateur. Depuis son bureau florentin, il rédige des lettres en croate, étudie l’histoire de son "peuple" et proteste contre l’annexion de la Dalmatie par l’Italie. Mais à Zagreb, personne ne l’attend. Les Oustachis le méprisent, le voyant comme un pion italien, tandis que Pavelić savoure son impuissance.

 

La extraña muerte del último rey de Croacia y el largo peregrinar de sus  restos: de Recoleta a Turín - LA NACION

 

Le 25 juillet 1943, la chute de Mussolini change la donne. Tomislav II abdique six jours plus tard, sur ordre de Victor-Emmanuel III, mettant fin à une monarchie qui n’a jamais existé que sur le papier. À partir de septembre 1943, Pavelić assume officiellement le rôle de chef d’État, reléguant le souvenir de Tomislav II aux oubliettes. Aimone, redevenu simple duc d’Aoste, mourra en 1948 à Buenos Aires, loin des Balkans qu’il n’a jamais vus. Son règne, éphémère et illusoire, incarne l’absurdité d’un régime bâti sur des chimères.

Pour les Croates, Tomislav II reste une note de bas de page, sauf pour les monarchistes les plus endurcis. Les vrais stigmates sont ceux laissés par Pavelić : des villages vidés, des familles déchirées, une nation hantée par la culpabilité et la division. Si le roi fantoche rêvait d’unité, le Poglavnik n’a semé que la haine. Aujourd’hui, son nom est à peine enseigné dans les écoles croates, éclipsé par la honte et le silence.

 

Un héritage toxique

L’aventure de Pavelić soulève une question brûlante : comment un tel homme a-t-il pu régner ? La réponse réside dans les fractures de la Yougoslavie : un royaume artificiel où Serbes, Croates et autres ethnies cohabitaient dans une méfiance mutuelle. Le nationalisme croate, exacerbé par des décennies de domination serbe, a trouvé en lui un porte-étendard. Mais en s’alliant aux nazis, il a vendu son pays à des puissances qui ne voyaient en lui qu’un pion. La Croatie, pendant la Seconde Guerre mondiale, n’a jamais été indépendante : elle était une marionnette, manipulée par Berlin et Rome.

Les conséquences sont immenses. Le génocide perpétré par les Oustachis a creusé un fossé entre Croates et Serbes, alimentant les haines qui exploseront lors des guerres yougoslaves des années 1990. En Croatie, le souvenir de Pavelić divise encore : pour une minorité d’extrême droite, il est un héros ; pour la majorité, un criminel. L’absence de procès – due à la protection de Franco et à la guerre froide, qui a poussé les Alliés à fermer les yeux – a laissé une plaie ouverte. À Jasenovac, un mémorial sobre rappelle les victimes, mais les chiffres exacts restent disputés, entre révisionnisme et quête de vérité.

 

Fichier:KZ-Jasenovac-Denkmal-Seitenansicht.JPG — Wikipédia

 

À l’échelle européenne, Pavelić incarne l’échec des nationalismes extrêmes. Son alliance avec l’Axe a condamné la Croatie à l’isolement moral et politique. Pourtant, son exil révèle une autre vérité : les dictateurs vaincus trouvent souvent refuge là où l’histoire préfère oublier. En Espagne, son tombeau, parfois vandalisé par des Serbes en colère, reste un lieu de pèlerinage pour quelques nostalgiques. L’homme qui voulait être un libérateur n’a légué qu’un spectre.

 

Croatie : la tombe d'Ante Pavelić, le chef des oustachis, a été vandalisée  - Le Courrier des Balkans


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2 réactions à cet article    


  • Seth 26 mars 19:50

    En ce temps-là déjà ils se faisaient tailler les douilles chez barber shop.  smiley


    • Julian Dalrimple-sikes Julian Dalrimple-sikes 27 mars 06:25

      Nous sommes toujours dans la deuxième guerre mondiale, elle n’a jamais été fini, elle est devenue plus souterraine mais ça c’est en cours, avec éruptions vers l’est et au moyen orient..avec désir de tout faire péter, par certains peu nombreux mais qui eux coopèrent pour ça.

      remarquons que si je marche toujours vers l’est j’arrive en fait à l’ouest et si je suis à l’ouest et continue j’arrive à l’est...

      histoire de poisson rouge donc.

      la prochaine WW3 sera atomique ou chute, oups !! désolé dit l’Origine,, chute de débris de comètes sur la terre comme il y a 12800 ans, ce qui a créé le pseudo déluge et l’éradication d’une partie immense de la culture nous ayant précédé.

      D’après Platon qui le tenait des Égyptiens anciens, cette culture précédente en était rendu en fait exactement là où nous sommes, nous avons donc refait les mêmes conneries mentales aboutissant au reste.

      Nota Bene 2 : en anglais on utilise flood qui veut dire inondations, ce qui ne dit rien de la cause, ni de sa vitesse , donc tout est ouvert niveaux causes et effets , alors que en Français ça suggère de la pluie donc une inondation lente et progressive donc sujet fermé, est ce un hasard ? je ne crois pas..

      Nota Bene : toutes les cultures ont une telle histoire de « Flood »..

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