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Seront pris ceux qui croyaient prendre…

Sur la société du 80-20

« La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu’il faut, et à ne dire que ce qu’il faut. » Essayons donc aujourd’hui de suivre ce conseil qu’offre la 250ème maxime de La Rochefoucauld. Nous échouerons certes, mais nous aurons tenté !

Au sujet des devenirs de nos sociétés, voici une observation répandue : face à l’automatisation des moyens de production, le capitalisme ne sait que faire d’une grande partie de l’humanité. D’après ses propres conclusions1, 80% de la population n’a aucune utilité pour maintenir l’activité économique et industrielle.

Pour faire face à toute révolte de cette plèbe désoeuvrée, le tittytainment2 pourvoira efficacement à contenir toute velléité de critique radicale, ou de soulèvement structuré dépassant l’émeute de ghetto, anarchique et inoffensive.

Il est d’usage encore de faire le lien entre la volonté d’instaurer cette société du 80-20 et les politiques d’éducation commandées par l’OCDE3 (APC, constructivisme, savoir-faire contre savoir, etc.). En somme, pas d’instruction pour ces 80%, mais un conditionnement à leur destinée future.

On souligne souvent la malignité de l’intention, et l’on conclut communément à la noirceur d’un avenir où les masses, incultes et abruties, devenues consommatrices-automates, n’auraient plus aucun moyen de secouer le joug qui les écrasera.

Cette conclusion pourtant plausible manque en réalité de perspectives.

En réalité, en détruisant l’instruction minimale, l’oligarchie contemporaine hâte sa chute.

Passons sur les « élites » que ce nouveau système saura reproduire : autant par réflexe de classe que par intérêt, elles adhéreront toujours aux folies de leurs maîtres. L’ Histoire est pleine de ces notables d’alors, dont la pensée n’a jamais servi qu’à la perpétuation de l’architecture sociale. Cela ne les empêchera cependant jamais d’être de brillants techniciens ou de grands savants. Le cas de Paul Veyne4 aujourd’hui en est une illustration parfaite.

Disons plutôt l’essentiel : les classes moyennes des trente glorieuses, cadres du tertiaire, bien instruites en mille choses, sauf en sciences politiques et en économie, ont été ces dernières décennies plus efficaces que toute propagande verticale dans l’instauration du monde nouveau.

Pourquoi ? Car contrairement à une légende à la peau dure, ce sont les individus éduqués qui sont les plus sensibles à la propagande. Qui lit et forme sa pensée dans les grands journaux du manufacturing consent5  ? Qui est capable de propager la doxa oligarchique auprès de plus humbles, si ce n’est cette classe sociale qui les côtoie et qui se veut raisonnable et respectable. Par intérêt de classe bien sûr, mais aussi parce qu’elle a reçu l’instruction suffisante pour être sensible à la propagande.

Faire disparaître culturellement et économiquement cette catégorie intermédiaire (fonctionnaires, petits cadres, etc.), c’est pour notre oligarchie détruire de ses propres mains la digue qui la sépare du torrent.

Globalement illettrée, la population devient insensible à toute propagande sophistiquée. Reste alors seulement la propagande élémentaire et passionnelle pour diriger les foules, et pour cela, nulle besoin de corporations techniciennes ! Notre oligarchie actuelle se retire ainsi elle-même l’instrument de sa puissance, défaillance propre à toute caste décadente.

Lors, son renversement devient inévitable.. rendant en réalité l’avenir proche imprévisible.

Cela voudrait donc dire que l’instruction serait la condition sine qua non de notre oppression ?

Non, ce serait absurde, bien sûr !

Tout comme il était absurde de confondre hégémonie culturelle6 et « culture bourgeoise » !

Deux pièges sont ici tendus devant nous : le premier serait d’identifier toute science à une domination culturelle. Le second de croire les humanités comme étant seulement un outil d’émancipation : elles sont aussi les fondations de l’art de gouverner l’homme et ses passions.

Ceux qui tombent dans ces premier filets finissent par proclamer que transmettre un savoir est une agression liberticide. Ou encore que la culture classique serait encore la culture dominante.

Ceux qui sont pris dans le deuxième lacet en oublient l’ambivalence des humanités : pourquoi émancipe-t-elles ? Car elles sont est une arme. Elles servirent autant Napoléon que Robespierre. Elles servirent autant Alexandre que Diogène, autant Camus que Sartre.

Instruire n’est pas émanciper, instruire est armer.

Enfin, si une note d’espoir est permise, comme les idéaux romantiques et fantasques finirent par se lever contre un rationalisme travesti et outrancier, une nouvelle génération saura, à contre courant et hors de toute institution, répondre à des décennies de postmodernisme par un retour à l’exigence classique.

Et leurs armes seront invincibles. Mais dans quel monde vivrons-nous alors ?

 


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7 réactions à cet article    


  • mac 29 août 2016 12:05

    Rien ne dit que ce que vous prévoyez est pour demain tant la base est amorphe et hypnotisée par le Tittytaiment.
    On a l’impression que certains « pauvres » préféreraient se priver de bouffer que de se priver l’OM et autre PSG...


    • Kevin Queral Kevin Queral 29 août 2016 13:11

      @mac
      C’est entendu ! Je ne prévois pas forcément ici des jours meilleurs pour nous tous, mais plutôt la chute de l’oligarchie en place. Cela pourrait être pour le meilleur comme pour le pire !


    • alinea alinea 29 août 2016 18:48

      Vous tirez tant de fils ! en deux minutes :
      C’est pour ça que rien que l’évocation des classes moyennes supérieures me donnent de l’urticaire, ces classes dont je suis issue et où sont mes « connaissances », amis qui me traitent de complotiste, certains d’extrême droite, parce que je ne gobe pas la propagande qui les nourrit et qui les rassure sur notre supériorité et la barbarie sanguinaire de quelques autres qu’il n’est finalement pas si illégitime de vouloir détruire.
      L’instruction aujourd’hui, mieux vaut s’en passer puisqu’elle n’est plus que formatage, la fabrication de bons outils vivants au service du capital.
      Aujourd’hui, l’école, elle ne fait pas naître des Sartre, des Camus, des Badiou,etc, mais tous ceux-ci existent encore, par leurs écrits.
      Avoir détruit la culture populaire était le coup le plus fort, le plus fatal ; celle-ci, imprégnée de bon sens, et de méfiance et de tolérance mêlées, de métiers qui exigeaient un savoir-faire et une responsabilité, faisaient des hommes aptes, le cas échéant, à se défendre.
      Cela fait trente ans que l’école fabrique ses élites et ses servants, on se demande si on a bien envie que nos enfants, nos petits-enfants, en ressortent avec quelque accessit !


      • Le421... Refuznik !! Le421 29 août 2016 20:28

        @alinea
        Je dirais même que l’école fabrique intentionnellement une ribambelle d’idiots, beaucoup plus faciles à manipuler, mais malheureusement, peu productifs et peu réactifs !!
        Sauf pour chasser le pokémon...


      • Kevin Queral Kevin Queral 29 août 2016 21:12

        @alinea
        Oui, nous souffrons de ces classes moyennes supérieures mal instruites... et le rapport à l’institution scolaire devient si ambivalent que je ne peux que bous rejoindre sur votre diagnostic !


      • aimable 30 août 2016 07:29

        @alinea
        vous avez raison , nos élites sortant des « grandes écoles » , sont formatés donc sans projets politiques
        nous constatons tous les jours que se sont des suiveurs , des gestionnaires des affaires courantes et qu ils vont tous dans le même sens , les dernières réformes sont la pour le démontrer


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