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Systèmes politiques : de l’aube au crépuscule

Comment diriger les groupes humains, des tribus jusqu'aux sociétés ? Les ressorts sont-ils identiques ? 

SYSTÈMES POLITIQUES : DE L’AUBE AU CRÉPUSCULE

Jacques-Robert SIMON

 

 Le système le plus simple fait intervenir la seule force physique comme facteur d’interaction entre entités constitutives. Pour deux individus isolés, le plus « fort » va dominer le plus faible. Pour un groupe d’individus, la désignation du « chef » est plus difficile car l’alliance de deux quelconques des autres membres permettrait de vaincre un quelconque chef autoproclamé. Le degré d’ « interaction » entre individus et sa nature, la « connectique », sont donc primordiaux pour déterminer la pyramide hiérarchique. En plus de la force brute, l’affect, les sentiments, le désir de reconnaissance, la faculté de convaincre, les dons magiques... peuvent intervenir de façon décisive. Des processus de « rétroaction », caractéristiques importantes des systèmes, doivent alors être tenus en compte. Un membre de la tribu déclare par exemple : « je suis le plus fort », ce qui ne peut pas être vrai dans l’absolu. Toutefois, par leur faiblesse constitutionnelle ou leur attrait pour la soumission, certains de ses congénères agréent à cette déclaration. Le chef auto-désigné acquiert grâce à eux la force requise pour dominer l’ensemble. De fausse initialement, la proposition devient vraie grâce au renfort d’autres membres du clan : il s’agit là d’un processus de « rétroaction ». Les Hommes de Cro-Magnon (∾ -15 000) se regroupaient ainsi en tribus.

 Mais les forces assurant la connectique dérivant de l’instinct ou des « sentiments », se révélèrent vite insuffisantes pour assurer la cohésion d’un groupe important en nombre. Au sein des 12 tribus d’Israël (∾ -1200 ans) l’emprise sur autrui prit un tout autre visage en faisant appel à l’immatériel : l'unité des tribus résidait dans le culte d’un dieu, Yahvé. Une notion insaisissable et indiscutable par le commun des mortels permit de cimenter les communautés. Les plus actifs zélateurs devinrent les puissants ou leurs servants. Dans ce « système » qui se construit, la connectique fait intervenir toutes les caractéristiques des humains, la force, la pensée, les émotions, les calculs, la peur de l’inconnu…mais, de plus, un dieu doué de pouvoirs aussi vastes qu’inconnus.

  Constantin (272-337) va peaufiner une forme théocratique du pouvoir en mettant le Dieu chrétien au-dessus de son rôle d'empereur. Ainsi il pouvait s’approprier la puissance divine pour mener à bien ses visées terrestres. La dualité pouvoir divin / pouvoir terrestre se révéla extrêmement efficace pour la cohésion de diverses populations. Le peuple n’échangeait en son sein que des informations utilitaires (connectique faible) tout en se pliant aux forces supérieures du monarque divinisé (connectique forte).

 Les systèmes incluant un dieu étaient d’autant plus stables qu’une multitude de processus avec effet de rétroaction pouvaient prendre place. Dans un groupe de païens, l’un d’entre eux pense « Il y a sûrement une force supérieure et invisible ». Le dieu n’existe pas encore car l’effet sur les païens ne se fait pas sentir. Mais le mystère attire les Hommes et quelques coïncidences, que l’on assimile à des miracles, se produisent : les païens se convertissent tour à tour, par mimétisme le plus souvent, par peur de devenir différent, par peur d’une invisible puissance qui les anéantirait. L’oracle voie sa divination confirmée et son influence sur les autres augmentée. Cette emprise lui permet de contraindre les sceptiques qui n’ont pas encore adhérés à sa foi. La proposition diffuse d’une divinité peu crédible, car n’ayant aucune prise sur le réel, devient un Dieu qui existe et qui peut agir ! Il s’agit d’une prophétie auto-réalisatrice.

 La structure de « cheffitude » alliant Dieu céleste et absolutisme terrestre dura fort longtemps en France où se succédèrent moult Philippe, Charles, Henri, François pour atteindre l’acmé avec le roi Soleil. Une révolution survint ! La nature des interactions entre les Hommes changea significativement de nature sous l’influence des philosophes et des scientifiques qui s’opposaient à la superstition. La Raison réfutable prit, au moins en partie, la place de la transcendance divine que l’on ne pouvait pas réfuter. La République substitua aux commandements divins les principes, les valeurs morales, les lois, toutes choses pensées et élaborées par les Hommes, pour les Hommes. La Raison, ersatz du divin, était suffisamment crédible pour assurer l’indispensable cohésion de la société. Toutefois, la Raison d’origine humaine peut être diversement interprétée si les valeurs prônées ne sont pas quasiment divinisées comme la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » le fut. La transcription matérielle de la Raison se fit sous forme de lois, de décrets, de règlements… L’adoption de ce tissu réglementaire était soumise à des votations : la Démocratie en naîtrait, avec quelques nuances importantes.

 Au sein de la Démocratie électorale, les élus ne peuvent pas, même si ils l’aimeraient, se réfugier dans des cieux où ils deviendraient inaccessibles. Ils ne peuvent pas non plus promettre lors d’élections le nécessaire qui est toujours associé à des efforts. Alors pour accéder aux responsabilités, ils organisent des « spectacles » électoraux permettant de convaincre suffisamment de gens émerveillés par le verbe. De nombreux mécanismes de rétroaction sont alors sciemment utilisés. Il faut trouver un processus qui modifie les comportements ou les esprits de telle sorte que la prophétie ou un désir se réalise, bien que ceux-ci n'étaient qu'une possibilité parmi d'autres. Dans ce cas de figure, cause et effet tendent à s’enchevêtrer jusqu’à remettre en cause le principe de causalité qui dit que l'effet ne peut pas précéder la cause. Les prophéties auto-réalisatrices dans le domaine des idées politiques sont courantes et utilisées massivement par les politiciens. Un embryon de proposition, une réforme par exemple, est lancé. Les militants vont tenter, non pas de prouver la pertinence de cette proposition, mais de rassembler tous les éléments qui établissent le bien-fondé de celle-ci en ignorant tous les autres qui ne vont pas dans le sens désiré. La proposition étayée de certitudes claniques permet alors de convaincre plus largement ; les idées de l’individu disparaissent au profit de celles du groupe : un doute devient une certitude partagée. Il ne reste plus qu’à propager la bonne parole parmi le maximum d’électeurs. En conséquence, la « politique » devint essentiellement basée sur l’émotion, le raisonnement mais non pas la Raison. Ainsi, la jalousie, l’esprit de domination, une des innombrables formes de schadenfreude, le désir de vaincre à tout prix, s’immiscent dans ce qui devrait être purement rationnel. Les ressorts sous-tendant le fonctionnement du groupe deviennent proches de ceux déjà présents à l’aube de l’humanité.

 La généralisation du capitalisme à l’échelle planétaire survint alors. Les processus de rétroaction constituent cette fois le cœur du système capitaliste : on spécule, le prix monte, on revend. La concurrence est censé réguler le tout. Le capitalisme n’interdit pas la formation de pyramides hiérarchiques, mais il est difficile de créer des dynasties sur le long terme.

 Le capitalisme ne comporte plus de Dieu, si ce n’est celui que l’on confine dans les églises, plus d’empereur, plus de roi, plus de président, plus de dogme, plus de valeurs morales autres que celles ostensiblement et épisodiquement affichées, plus de pays militairement dominateur, la leçon du colonialisme ayant été retenue… Le capitalisme a une logique propre qui est identique en tout point du globe, pour toute culture, pour tout tissu sociologique. Le capitalisme, d’essence universelle, trouve donc aisément des relais partout dans le monde. Ce système ne comporte plus de structure hiérarchique rigide, et l’amassement du capital, qui est la clé du pouvoir, devient l’affaire de (presque) tous. Une imprégnation sociétale, dans tous les domaines, du Levi’s à iPod, permit d’asseoir la suprématie des promoteurs de ce système. Le désir de « produire vite et consommer beaucoup » supplante toutes les autres formes d’échange. Il n’y a plus de prise de décision proprement dite, le système étant devenu autarcique. La « connectique » entre individus devient quasi-uniquement « guerrière » même si une superficielle rationalité est mise en avant.

 Le crépuscule de l’humanité s’annonce peut-être et bientôt les tags succéderont à l’art pariétal de nos lointains ancêtres, les murs des banlieues remplaceront la paroi des grottes.


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14 réactions à cet article    


  • lsga lsga 30 mars 2015 17:08

    du Marx en moins bien. Hey, au lieu de prétendre réinventer la roue, commencez par lire ça .... ça dit ce que vous dites, en mieux... 

     
    Les premiers paragraphes s’attaquant aux hégéliens sont un peu lourd, je vous conseille de commencer à lire à partir de : « La condition première de toute histoire humaine est naturellement l’existence d’êtres humains vivants. Le premier acte historique de ces individus, par lequel ils se distinguent des animaux, n’est pas qu’ils pensent, mais qu’ils se mettent à produire leurs moyens d’existence. »

    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 30 mars 2015 17:37

      @lsga Je ne fais aucune distinction entre Hommes et animaux. Ceux-ci peuvent également produire leurs moyens d’existence et du point de vue d’un système ils sont équivalents. 


    • lsga lsga 30 mars 2015 18:04

      oui oui, la citation n’était là que pour donner un start à la lecture. Je ne dis pas que vous dites exactement la même chose, mais que vous dites sensiblement la même chose. Mais lisez le texte, ça vous plaire.


    • lsga lsga 30 mars 2015 18:49

      et je viens de voter « plus », j’oublis souvent. Malgré tout, même si vous réinventer l’essentiel par vous même, vous allez dans le bon sens.

       
      Vous avez conscience que ce que vous essayer de définir, c’est ce qu’on nomme « Lutte des Classes » ? mais bien sûr, vous ne connaissez pas la vraie définition de « Lutte des Classes ».... donc non. 

    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 31 mars 2015 10:11

      @lsga Vous avez parfaitement raison : il y a des liens de parenté avec le fragment de l’ « idéologie Allemande » que vous m’avez communiqué (et que je ne connaissais pas).

       Il est fait mention de systèmes et il signale un fait important « chacun isole un aspect du système et le tourne contre le système tout entier », ce qu’il ne faut jamais faire avec un système Physique, celui dont je parle.
       Quelques citations époustouflantes :
        - tout rapport dominant est religieux
        - la conscience politique est une conscience religieuse
        - les intérêts particuliers se heurtent aux intérêts collectifs
       …. 
       Je pense comme vous que je n’apporte que des détails par rapport à l’ouvrage que vous citez. Un intérêt du mien cependant, il est infiniment plus court.
       Je vais essayer de lire plus complètement Marx et Engels.
       Merci ! 

    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 30 mars 2015 18:46

       Merci pour le texte que je vais lire attentivement. Cependant, je connais déjà le « Manifeste », les « Crises du capitalisme » et « Le Marxisme de Marx » de R. Aron, livre (bizarrement) intéressant. 


      • lsga lsga 30 mars 2015 18:59

        ok, désolé alors, j’ai tendance à dégainer plus vite que mon ombre. 

        mais oui, le premier chapitre de l’Idéologie allemande est vraiment très proche de votre texte.
         


      • Boogie_Five Boogie_Five 31 mars 2015 01:07

        Euh, sujet intéressant mais je n’ai malheureusement pas tout compris... N’y a t-il pas une confusion entre société et politique ? Le système politique est une organisation particulière, liée à la gestion de la cité - la polis. La politique n’est pas la seule forme historique de l’organisation sociale. La définition qui est donnée ici de la politique est issue d’une acception moderne plus proche du totalitarisme contemporain que de la monarchie divine antique. 


        Mais en dehors de ces problèmes de définition, c’est plutôt ici la question de l’Etat qui est posée ici, si j’ai bien compris, car postuler que la société a toujours été politique et conclure que le capitalisme abolit la politique (ce qui n’est pas faux, du reste), c’est dire en même temps que c’est la fin des sociétés, or ça je n’y crois pas vraiment. En fait, c’est plutôt la fin des Etats territoriaux tels qu’on les a connus jusqu’à présent, mais rien n’interdit la possibilité d’un Etat mondial, adossé au capitalisme mondial. 

        • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 31 mars 2015 09:43

          @Boogie_Five La notion de système existe et est précisément définie en Physique et en Chimie : il s’agit d’éléments interconnectés ; ceci produit des propriétés quelquefois surprenantes, en particulier le mélange cause-effet. J’ai évité de m’écarter de cette approche en ne prenant pas de mots trop connotés.

          Il peut y avoir un État mondial adossé au capitalisme, mais sans une morale, l’individu est réduit à un élément productif et de graves problèmes peuvent se poser (euthanasier les retraités pauvres par exemple).
           La société du futur sera forcément sobre et écologique : le capitalisme peut-il y conduire ? Ce n’est pas exclu. 

        • Boogie_Five Boogie_Five 31 mars 2015 14:22

          @Jacques-Robert SIMON

          C’est tout le débat d’aujourd’hui. Je te laisse à tes combustions synergiques propres, mais ne nous brûlez pas avec ! 

        • Le p’tit Charles 31 mars 2015 09:42

          Dans notre « JUNGLE »...c’est la LOI du plus fort qui ^prédomine tout simplement...

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