• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Technoscience, Religion et Utopie (2/2)

Technoscience, Religion et Utopie (2/2)

Dans un article précédent (1), nous avons tenté de passer en revue les principaux changements survenus dans le monde et dans les esprits depuis 1990. Nous avons abordé l’éventualité d’une possible sortie de la religion sous l’effet de ces changements. Nous avons notamment traité de la nature de l’homme, du transhumanisme et de la promesse d’un allongement significatif de l’espérance de vie humaine. En conclusion, nous nous demandions si l’homme « augmenté » serait meilleur que l’homme actuel.

 

Avant de continuer, collons à l’actualité en plaçant les obsèques de Johnny Hallyday dans le contexte de la déclaration du Beatle John Lennon, en 1966 : « Aujourd'hui, nous sommes plus populaires que Jésus... Je me demande bien ce qui va disparaître le premier, le rock ou le christianisme ». Cinquante ans plus tard, l’âme (en peine ?) du célèbre Beatle rôdait peut-être parmi les musiciens rockers. Et, cachée dans son Ravissement (2), l’hôtesse du jour, Marie de Magdala, se consolait du sacrilège de la militante Femen qui, trois ans plus tôt, avait mimé ici un avortement avant de pisser devant l’autel.

DE L’INTERNET DES OBJETS AU TRANSFERT DU CERVEAU

La première démarche de l’homme souhaitant s’augmenter consiste le plus souvent à se glisser dans le flot grossissant de l’Internet des objets c’est-à-dire l’échange d’information entre des objets connectés au réseau Internet. Inconsciemment peut-être, il se met au rang des machines schématisables, mesurables et réparables : il se détache du monde animal, se déplace de l’organique vers le minéral. C’est un vieux rêve : les uniformes, les défilés au pas (de l’oie ou autre), voire la danse ne cherchent-ils pas, quelque part, à transformer l’homme en soldat ou en ballerine prévisibles répétant invariablement les mêmes séquences de gestes ? Un lavage de cerveau par-dessus le marché et les pensées comme les paroles resteront strictement dans le cadre défini par un Big Brother. Rien de bien nouveau dans un tel désir de normalisation puisque nous avons toujours cherché à maintenir notre vie et notre santé hors d’atteinte des aléas par le truchement de pharmacopées, de prothèses, de trocarts, de ventouses, de sangsues, de clystères, d’asticots nettoyeurs de plaies et de mille remèdes de bonne femme. Il ne s’agissait alors que de procédés analogiques. Ils étaient à nos appareils numériques actuels ce qu’étaient les serrures de Louis XVI aux serrures à détection d’empreintes digitales ou de pupilles. Sans que nous nous en rendions compte, des expressions comme « il est branché » ou « on l’a débranché » nous préparaient à notre insertion sans état d’âme majeur dans des réseaux extérieurs totalement exogènes de notre condition biologique. Dans moins de 10 ans, des centaines de milliards d’objets communiqueront entre eux par l’Internet (3). Quelques milliards d’humains, une broutille, se seront joints progressivement à eux. Par exemple, une voiture électrique autonome recherchera la station de rechargement la plus mieux placée sur son itinéraire en fonction de multiples paramètres. Ou encore, un urinoir indiquera sur-le-champ à une banque de données les résultats anormaux (traces de sang...) de l’analyse des produits d’une miction. Beaucoup plus sophistiqués que l’Apple Watch qui compte vos pas, des nanomédicaments personnalisés (conçus en fonction de votre génome, dans un but préventif) transmettront leurs mesures permanentes à votre dossier médical situé à des milliers de kilomètres.

IMMORTALITE

Cependant, tout ce qui précède n’est qu’un modeste prologue en attendant le graal du transhumanisme c’est-à-dire le transfert du contenu intégral de votre cerveau dans une machine. C’est quand même plus élégant qu’un patouillage cryogénique ne trouvez-vous pas ? Ca sent l’immortalité en béton quoi !

Pour rester général, j’ai utilisé le mot « machine » là où certains parlent de robots, d’avatars ou d’ordinateurs. Ray Kurztweil (Voir article précédent) écrit « Télécharger un cerveau humain signifie scanner tous les détails essentiels et les installer ensuite sur un système de calcul suffisamment puissant. Ce processus permettrait de capturer l'intégralité de la personnalité d'une personne, sa mémoire, ses talents, son histoir... Si nous sommes vraiment en mesure de capturer les processus mentaux d’une personne, alors cet esprit nécessitera un corps... lorsque nous aurons les outils nécessaires pour capturer et recréer le cerveau humain dans toute sa subtilité, nous aurons aussi un grand choix de corps disponibles à la fois pour les humains non biologiques et biologique » (4).

Tout cela pose quand même quelques problèmes.

D’abord, aujourd’hui, rien ne permet d’affirmer que le contenu d’un cerveau est transférable dans un système de calcul quelle que soit la puissance de ce système. Pour le dire autrement, l’opération pose des questionnements touchant plus à la structure et la nature de la «  chose » à transférer qu’à sa quantité même si cette dernière, résultant de plus de cent mille milliards de synapses, ne saurait rester mince affaire.

Ensuite, est-on sûr que la conscience est transvasable entre le cerveau et le nouveau contenant ? Après tout, nous ne savons rien de très fiable en ce qui concerne la conscience. Certains idéologues vous assureront qu’elle émerge de la matière, ce que d’autres jugeront impossible.

Enfin, il serait intellectuellement malhonnête de ne pas rappeler ici les positions monistes et dualistes. Les monistes, disons les matérialistes pour simplifier, réduisent tout à la matière. Les dualistes, quant à eux, distinguent la matière de la pensée. Platon reste sans doute le meilleur exemple de dualiste. Pour lui, à côté du monde que nous appréhendons par nos sens, le monde sensible et illusoire, existe un monde différent, celui, intelligible, des idées, totalement étranger au premier car réel et porteur de la Vérité. Le Grec s’en explique dans son Allégorie de la Caverne. Descartes était, lui aussi, dualiste. Pour lui, les animaux, comme notre corps animal, ne sont que des machines très sophistiquées mais évoluant dans un cadre déterministe. De plus, l’Homme bénéficie d’un double bonus : une âme et la raison. Lors du transfert du cerveau vers la machine, la raison et, surtout, l’âme passeraient elles le « syphon » au même titre que les informations physico-chimiques et que celles des données à mémoriser ? Pour être plus précis, l’idée que vous vous faites du bien et du mal est-il localisable et codifiable au même titre que le souvenir du visage de votre grand-mère ?

AME

Si les âmes n’existent pas, les religions de salut perdent toute légitimité. Au sujet de l’existence de l’âme, le Christ est très clair ; « Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? » (Matthieu, 16,26). Si un scientifique, disons un prix Nobel, se targuait d’avoir transféré l’intégralité cérébrale et mentale d’un être humain dans une machine, il est probable que les religions perdraient des fidèles. Les matérialistes y trouveraient matière à propagande à la manière de Khrouchtchev : « Pourquoi vous soucieriez-vous de Dieu ? Nous avons ici Gagarine qui a volé dans l'espace et il n'y a pas vu Dieu » (5). Les réactions de l’église catholique seraient-elles alors aussi inadéquates que celles qu’elles eurent face à Bruno, Galilée et Darwin ? Opposer foi et raison lorsqu’il n’y a pas lieu de le faire n’est-il pas le pire des péchés, celui contre l’esprit ? Avant de clore ce paragraphe, rappelons, sans entrer dans les détails, que la misologie (haine de la raison) est aussi une faute contre l’esprit. Et souvenons-nous de Chesterton :« Le fou n’est pas l’homme qui a perdu la raison. Le fou est celui qui a tout perdu excepté la raison ».

Pour le moment, on ne peut dire que les visées transhumanistes s’opposent frontalement aux religions. Après tout, la Bible nous apprend que Mathusalem vécut 969 ans. L’immortalité s’inscrit dans un morceau l’éternité mais notre système solaire lui-même n’est pas éternel. Et puis, au bout de quelques siècles dans l’Univers, n’aura-t-on pas fait le tour de la question et en voudrions-nous encore ? Ne dirions-nous pas alors, à l’instar de Baudelaire :

 

... Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !

Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,

Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !

 

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !

Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?

Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

 

(Le voyage, Charles Baudelaire)

 

ll faut savoir éteindre les lampions à la fin de la fête ou, selon la philosophe Simone Weil « Tuer par la pensée tout ce qu'on aime : seule manière de mourir ».

PREDIRE OU PROPOSER L’AVENIR

Pour le moment, le transhumanisme n’en est encore qu’au stade de la futurologie mais, comme nous l’avons vu en première partie, le néolibéralisme semble décidé à mettre les moyens nécessaires pour hâter son avènement.

D’autres, il en est beaucoup, ne prédisent pas le futur mais proposent des avenirs qu’ils jugent possibles et souhaitables. C’est le cas d’Aymeric Caron avec Utopia XXI (6). Le 22 novembre 2017, il en parle dans l’émission Le Grand Oral des Grandes Gueules sur RMC – BFMTV. Il rappelle que le terme d’utopie a été inventé il y a 500 ans par un auteur qui s’appelle Thomas More. Cela lui écorcherait sans doute la gueule de préciser que Thomas More est un saint de l’église catholique. Manque de courtoisie flagrant si ce n’est marque de goujaterie ! Au fait, c’est quoi le contraire d’un saint ? Si vous ne voyez pas, questionnez Dante. Caron propose un programme de gouvernement, « une troisième voie assez proche du marxisme » dit-il. La propriété, sauf celle des objets courants (PC, voiture, godasses...) n’est pas autorisée et toute forme de commerce du vivant est prohibée afin d’éviter les génocides animaux du passé. Il ne dit pas, comme Proudhon que la propriété c’est le vol mais demande à quoi ça sert puisqu’elle tombe avec la mort. Pas question, bien entendu, de posséder son logement. Bref, nouveau Fourier, il souhaite nous embrigader en sinistres phalanstères. Il aurait pu au moins rappeler que le nom de Thomas More a figuré en bonne place, de 1918 à 2013, sur l’Obélisque des Penseurs Révolutionnaires érigé, à la demande de Lénine, dans le jardin Alexandrovsky, près du Kremlin. Il était nommé là en tant que penseur influent qui avait lutté afin de libérer l’espèce humaine de l’oppression, de l’arbitraire et de l’exploitation (7). Pour conclure, lorsque je vois Aymeric Caron je pense à « … les systèmes saint-simonien, phalanstérien, fouriériste, humanitaire, ont été trouvés et pratiqués par les diverses hérésies ; que ce que l’on nous donne pour des progrès et des découvertes, sont des vieilleries qui traînent depuis 1500 ans dans les écoles de la Grèce et dans les collèges du moyen-âge » (Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand)

CHAOS DETERMINISTE

Il y a quelques jours, le 12 décembre 2017 exactement, l’éditorial d’Ouest-France s’intitulait « Quand ces lignes paraîtront... ». Il s’agissait d’un texte post mortem de François Régis Hutin, ancien patron du quotidien, disparu deux jours plus tôt. Editorialiste pendant plusieurs décennies, il se confie « J’ai essayé de contribuer à mon humble place à cette montée humaine lente trop lente mais montée quand même qu’a entreprise cette immense cohorte des hommes depuis la nuit des temps. Je sais que c’était une tâche un peu présomptueuse que d’essayer de lire les signes des temps ».

L’être humain désire ardemment connaître de quoi demain sera fait. Son demain personnel d’abord, ceux de son pays, de ses croyances et de l’humanité ensuite. Quête impossible, bien entendu, sinon la condition humaine ne serait pas ce qu’elle est.

Chacun de nous est porteur de conditions initiales qui contribuent, comme dans le chaos déterministe, à l’évolution du système humain dans sa globalité. Ce qui, mathématiquement, exclut toute possibilité de prévoir ladite évolution.

QUARANTE-QUATRE

 Nous avons tenté de passer en revue quelques tendances et changements majeurs survenus dans le monde entre 1990 et 2017, soit au cours de 27 dernières années. Nous n’avons pas examiné tout ce qui méritait de l’être, tant s’en faut. Par exemple, nous avons fait l’impasse sur le monde virtuel et sur la continuation accélérée des changements sociétaux. Nous pensions peut-être constater, expliquer et prévoir l’influence des tendances sur l’adhésion aux religions. Pure spéculation sans doute mais ne sommes-nous pas des êtres attirés par les opérations spéculatives ? Ne suffirait-il pas qu’un astéroïde menaçât la Terre ou que les nuages cendreux d’un énorme volcan compromissent les récoltes mondiales pour que temples, églises et mosquées se remplissent comme en l’an mil ?

 

L’Homme n’est qu’un courtier

Penché sur ses cahiers.

De Dieu ne se soucie

Lorsque tout réussit.

 

El les astres lancés

Sur leurs sages ellipses

Ne lui donnent à penser

Qu’en leurs sombres éclipses.

 

Dans 27 ans, nous serons en 2044. Ray Kurzweil, encore lui, a prédit que ce sera l’année où « l’intelligence non-biologique sera des milliards de fois plus intelligente que son homologue biologique ».

Personnellement, je n’aime guère le nombre 44, je le déteste même et je vais vous expliquer pourquoi. Donc, il y a 25 ans, mon boss m’avait chargé de créer une société dans un pays du sud-est asiatique. Cherchant à louer quelques centaines de mètres carrés pour commencer, je m’adressai au gestionnaire d’une tour de bureaux de plus de 200 mètres de haut. Il me déclara que j’avais de la chance car il ne lui restait, en tout et pour tout, qu’un seul étage : le 44ème. Il se trouve que le chiffre 4 est fui comme la peste dans de nombreux pays asiatiques (tétraphobie) car il se prononce comme le mot « mort ». Jouant au malin, je dis à mon interlocuteur qu’il ne fallait pas me prendre pour un naïf, que je connaissais très bien l’aversion de la plupart des locaux pour le 4 mais que moi, esprit fort, je n’accordais aucun crédit à de tels boniments. Je louai donc le 44ème tout de go. Nous commençâmes à recruter quelques ingénieurs pour les envoyer en formation à Paris. Hélas, l’un de ces jeunes gens fut victime d’un accident mortel le lendemain de son arrivée en France. Il avait 22 ans. Vous m’avez compris.

Au sein de l’immense cohorte des hommes dont parle François Régis Hutin, je porte et apporte, comme vous-même, le fagot de mes conditions initiales où se niche, une peur du 44 partagée par des centaines de millions d’autres humains.

Une chose semble sûre : le 30 janvier 2044 sera la date d’un nouvel an chinois placé sous le signe du rat.

 

(1)Eglises, mosquées et bien plus encore... (1/2) Agoravox, le 1er décembre 2017

(2)Le ravissement de sainte Marie-Madeleine, statue occupant le retable de l’autel de l’église de la Madeleine

3)A ce sujet, voir, par exemple, La nouvelle société du coût marginal zéro : L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme . Jérémy Rifkin, Les liens qui libèrent, 2016

 (4) Humanité 2.0 la bible du changement, Ray Kurzweil, mai 2007, M21 Editions.

(5) https://www.leforumcatholique.org/message.php?num=60177

(6)Aymeric Caron, Arthaud, novembre 2017

(7) « This monument, suggested by Lenin and built in 1918, lists Thomas More (ninth from the top) among the most influential thinkers "who promoted the liberation of humankind from oppression, arbitrariness, and exploitation." It is in Aleksndrovsky Garden near the Kremlin Kremlin.”https://thomasmorestudies.org/g-c1.html


Moyenne des avis sur cet article :  2.67/5   (3 votes)




Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité