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Traçabilité des cigarettes : le blanc-seing laissé aux fabricants à l’origine de la contrebande ?

La lutte contre le tabac n'a pas de frontière. Le trafic de cigarettes non plus – et cela, les géants de la nicotine l'ont bien compris. En Europe, en Amérique du Sud ou encore sur le continent africain, nouvel eldorado des vendeurs de mort, la résistance s'organise. Avec toutes les difficultés du monde, tant le lobby des cigarettiers s'acharne à contrecarrer la moindre initiative visant à mieux contrôler un secteur qui se joue des règles de droit commun. Et fait perdre quelque 40 milliards de taxes diverses au niveau mondial.

Ainsi au Chili, où le sénateur Guido Girardi, appuyé par plusieurs ONG de lutte contre le tabagisme, est récemment monté au créneau. Président de la commission de la Santé du sénat chilien, Guido Girardi a dénoncé, début octobre, l'ingérence des cigarettiers dans un appel d'offres public destiné à établir une traçabilité des produits du tabac. Une nécessité, pour lutter contre le trafic et, in fine, le tabagisme – notamment des plus jeunes : plus de 35% des Chiliens de moins de 18 ans seraient déjà accro à la cigarette.

Sur les trois candidats ayant répondu au marché public, deux sont en effet accusés d'être proches des industriels du tabac. Une collusion « incompréhensible et inacceptable », pour Guido Girardi, selon qui les cigarettiers ne peuvent se contrôler eux-mêmes.

Autre continent, même combat. Le Kenya, où le gouvernement a également décidé de mettre en place un système de traçabilité des cigarettes, fait face à un intense lobbying, mené de main de maître par le mastodonte BAT (British American Tobacco). BAT qui a d'abord mis tout son poids – et son argent – dans la balance pour éviter qu'un tel système soit généralisé ; en vain.

Mais l'industrie est pleine de ressources et a donc sorti de sa manche son propre système, à l’origine appelé Codentify, à présent connu sous le nom d’Inexto Suite – le même qu'elle tente d'imposer au Chili, et un peu partout dans le monde. Inexto Suite ? Un marquage digital, développé par plusieurs géants du secteur, dont tous les acteurs, des ONG à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), estiment qu'il s'apparente à une « boite noire » permettant aux industriels du tabac de continuer à passer sous les radars des autorités publiques. Alors que les cigarettiers se détournent des marchés occidentaux, en déclin, et misent tout sur une Afrique jeune en développement, l'enjeu en matière de santé publique est gigantesque.

La nécessité d'une traçabilité indépendante

Des solutions de traçabilité non indépendantes des fabricants eux-mêmes, cela signifie tout simplement un manque d'efficacité. Et la porte ouverte à un marché parallèle largement alimenté par les cigarettiers eux-mêmes. Pour ces derniers, l'objectif est double : contourner les lourdes taxes imposées par les Etats, d'une part, et d'autre part conserver leurs volumes de vente. L'Europe, l'une des régions du monde où la fiscalité sur les produits du tabac est la plus lourde, est en première ligne.

Historiquement, la tête de pont du trafic européen se situait dans les Balkans ; au Monténégro, pour être précis. Dans les années 1990, les mafias italienne et balkanique se répartissaient la contrebande de tabac en Europe, en étroite concertation avec les autorités monténégrines et les industriels du tabac. Le marché noir explose alors, jusqu'à ce que plusieurs Etats européens, suivis par la Commission européenne, mettent un coup d'arrêt au trafic. Au cours des années 2000, Bruxelles condamnera les quatre plus grands groupes cigarettiers au monde à des amendes cumulées de plus de 2 milliards d'euros. Fin de l'histoire et de ce qui s'apparentait à l'un des plus importants trafics en Europe durant les vingt dernières années ?

Malgré les promesses de l'industrie, la contrebande a repris de plus belle au Monténégro où, en 2014, le marché noir de cigarettes était estimé à près de 120 tonnes... En Europe de l'ouest, les industriels sont également fortement soupçonnés d'alimenter le marché parallèle, en suralimentant les pays voisins de la France, où les taxes sont moins lourdes : Belgique, Luxembourg, Andorre, etc. Manière de garder les fumeurs captifs de leur addiction – et de réduire à peau de chagrin les efforts des autorités pour lutter contre le tabagisme.

Une directive européenne trop souple ?

Signé par la France en 2015, le protocole de l'OMS sur la lutte contre le tabac visant à établir une traçabilité indépendante des paquets (lieu de fabrication, de stockage et de livraison) est en passe d'être traduit dans les faits. Mais comme au Kenya ou au Chili, l'Etat – qui perd chaque année 3 milliards d’euros de taxes – se heurte au lobbying sauvage des cigarettiers. S'ils ont perdu la bataille de principe, ceux-ci entendent bien retarder au maximum l'application de ces mesures, voire les dénaturer en imposant leur système maison.

Comment, alors que les recommandations de l’OMS, auxquelles la France s’est engagée à se conformer, semblent explicites ? Elles ne le sont en fait pas tant. Les industriels du tabac, soucieux de préserver leurs intérêts, ne reculent devant aucune pirouette sémantique pour interpréter le protocole de l’OMS en leur faveur. Et si Bruxelles peaufine actuellement une directive dont la prétention est d’assurer l’indépendance des dispositifs de traçabilité, dans les faits, ONG et fournisseurs de solutions de sécurité indépendantes regrettent que ce texte ne garantisse en rien l’indépendance du stockage des données relatives aux échanges de produits du tabac, du témoin anti-effraction ou des dispositifs de sécurité. 

« Les cigarettiers tentent de détourner le protocole, s'indigne l'eurodéputé français Philippe Juvin, en proposant leur propre système de traçabilité clé en main ». Selon le parlementaire, « l'activité des lobbies pro-tabac à Bruxelles n'a jamais été aussi phénoménale ». Et de rappeler que le protocole de l'OMS prévoit une traçabilité « strictement indépendante des fabricants », seule à même d'assurer un véritable suivi des produits du tabac. « Chaque jour qui passe sans mise en œuvre du protocole de l'OMS est une victoire » pour Marlboro, Camel et autre Lucky Strike, avertit Philippe Juvin.


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5 réactions à cet article    


  • zygzornifle zygzornifle 27 octobre 2017 11:24

    En période de gastro on a la traçabilité dans son slip ......


    • Pere Plexe Pere Plexe 27 octobre 2017 17:51

      @zygzornifle
      Quand un article fumeux engendre des commentaires merdiques...


    • zygzornifle zygzornifle 27 octobre 2017 11:29

      J’achète des clopes de l’alcool une partie de ma bouffe le lévotyrox ancienne version et bientôt je ferai le plein de gas-oil en Italie car c’est beaucoup moins cher, mare de laisser tout mon pognon dans un pays de dictature qui ne pense qu’a vous ratisser et quand la retraite de ma femme arrivera je me casserai sans état d’âme de ce pays de merde ou on risque en plus un coup de couteau et ou on trouve un flic en embuscade tout les 100m ....


      • Eric F Eric F 27 octobre 2017 12:29

        Certains pays voisins ont baissé leur taxe sur le tabac, pour attirer les clients français
        http://dnf.asso.fr/Belgique-le-prix-du-tabac-baisse.html?debut_articles=0
        L’UE se mêle de plein de choses qui ne sont pas de son ressort, mais l’harmonisation des taxes sur les produits aurait du être un préalable au « marché unique ».
        La dangerosité du tabac n’est pas différente pour un Belge ou un Français (ou tout autre européen), donc les mesures de lutte -dont la taxation- devraient être identiques. En réalité, de même qu’il y a un green washing fiscal, il y a un health washing fiscal, tout est bon pour notre état pour des ponctions fiscales destinées à combler la baisse des recettes sur les placements financiers.

        PS : à propos de la coordination dans l’UE, en va de même pour le glyphosate, prendre unilatéralement des mesures d’interdiction en France et ensuite importer des produits qui l’ont utilisé est un non-sens, il faut une sortie concertée et coordonnée, avec l’accompagnement de la mutation agricole, et mise à disposition de produits de substitution efficaces.

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S.Revon


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