Transparence et intégrité : les nouvelles dérives du lobbying. L’exemple des laines minérales
Suite aux grands scandales sanitaires des années 1980 et 1990, la transparence est devenue le maître mot en matière de communication. Il s’agit, selon la définition donnée par l’AFNOR, de « l’aptitude à rendre compte des décisions et activités auprès des organismes, autorités administratives, autorités légales et, au sens large, auprès des parties intéressées ». En clair, la transparence doit permettre d’accéder facilement aux informations d’une société ou d’un organisme quant à son fonctionnement, son histoire voire son réseau. Cependant, la transparence peut également être érigée en trompe-l’œil : en donnant l’illusion de la transparence, on dissimule en réalité beaucoup plus d’informations importantes.
Le cas de l’EUropean CERtification Board for Mineral Wool Products (EUCEB) en est un parfait exemple. Créée en juin 2000, l’EUCEB est une association dont le rôle est de s’assurer que les produits en laine minérale (laine de verre, de roche ou de laitier) sont bien conformes à la note Q de la réglementation (EC) n°1272/2008. Ce texte définit les propriétés de non-cancérogénicité des laines minérales. L’EUCEB est donc tout spécialement chargée de contrôler si les laines minérales vendues sur le marché européen ne sont pas cancérogènes.
Or, si l’EUCEB, fidèle à ce principe de transparence, publie un certain nombre d’informations sur son site Internet, comme la liste de ses dirigeants ou des laboratoires d’analyse avec lesquels elle collabore, son discours n’en est pas moins paradoxal. En effet, se qualifiant elle-même d’organisme « indépendant » de certification, elle confesse dans le même temps être une « initiative » émanant de l’industrie des laines minérales. De fait, l’organisation est dirigée par des représentants des principaux industriels du secteur : Isover (filiale de Saint-Gobain), Paroc Oy Ab, Knauf Insulation et Rockwool International.
L’EUCEB possède également un « Quality Board », chargé de veiller à la qualité des contrôles qu’elle effectue (l’organisation est d’ailleurs certifiée ISO 9001 depuis 2005). Ce dernier comprend les membres du Management Board ainsi que deux auditeurs externes indépendants : Clare Collier, représentant Ricardo AEA, un cabinet britannique de conseil en management de l’environnement, et Martin Kilo, un chercheur allemand du Fraunhofer Institute for Silicate Research. Ce dernier apparaît comme la caution scientifique de l’EUCEB, le Fraunhofer ISC étant spécialisé dans l’étude des effets environnementaux et sanitaires des laines siliceuses (dont les laines de verre et de roche). A ce titre, il figure également parmi les laboratoires sur lesquels s’appuie l’EUCEB pour effectuer ses contrôles et mesures. Pour autant, comment s’assurer de l’indépendance de ces deux personnes quand leurs sociétés sont probablement des prestataires de l’EUCEB ?
En outre, la transparence exige une forme d’exhaustivité. Or, les liens de l’EUCEB avec l’industrie des laines minérales ne sont que partiellement évoqués. L’EUCEB omet de préciser sur son site Internet que son adresse physique n’est autre que celle de l’EURopean Insulation Manufacturers Association (EURIMA), l’association professionnelle des fabricants de laines minérales. Toutefois, on leur sera gréé d’avoir des numéros de téléphone distincts…
Car l’EURIMA n’est autre que le lobby des industriels des laines minérales. Fondé en 1950, son but est de défendre les intérêts des fabricants auprès du Parlement européen. Evidemment, son Management Board se compose de représentants des industriels, pour la plupart des cadres de très haut niveau, voire des dirigeants de sociétés membres comme Emmanuel Normant (directeur général d’Isover), Christian Michel (directeur général d’URSA Insulation) ou encore Tony Robson (chief executive officer de Knauf Insulation). Sa présidence est détenue par un spécialiste du lobbying, Pascal Eveillard, directeur « construction durable, affaires publiques et stratégie de communication » d’Isover.
L’EURIMA publie également les noms et postes de son équipe, pour la plupart des spécialistes des relations institutionnelles. Mais là encore la transparence est partielle, notamment en ce qui concerne les parcours de ces individus, et en particulier celui de Jan te Bos, le directeur général. Ce lobbyiste de nationalité néerlandaise a la particularité d’avoir occupé, par le passé, le poste d’advocacy director de PlasticsEurope, une association professionnelle qui défend les intérêts des fabricants de matériaux à base de plastique – dont des fabricants d’isolants en polystyrène – principaux concurrents des laines minérales. Bonjour le mélange des genres…
De même, la composition de l’équipe de gestion révèle une autre information intéressante. En effet, le profil d’Alain Herssens précise que ce dernier est « coordinator technical committee EUCEB ». Ainsi, cela signifie qu’un cadre de l’EURIMA est spécifiquement chargé de la coordination entre cette dernière et l’EUCEB. Encore une fois, où est l’indépendance annoncée ?
En conséquence, la relation entre l’EURIMA et l’EUCEB pourrait être qualifiée d’incestueuse. Or, à l’heure où la France se décide à poursuivre les responsables du scandale de l’amiante, il est intéressant d’analyser que des montages du type de ce qu’a été le Comité Permanent Amiante (CPA) dans les années 1980 et 1990 continuent d’exister. Ainsi, la soi-disant transparence promue par l’EURIMA et l’EUCEB n’est que trop partielle et partiale. Autant dire une nouvelle forme de manipulation.
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