Un point à l’envers et un point à l’endroit : le (dé)tricotage du « Brexit »
Soumis à des opérations de rapiècements aussi hâtives qu’inutiles, l'accord de transition conclu entre le gouvernement conservateur du Royaume-Uni et l'UE commence à s'effilocher et à laisse apparaitre la trame par endroits.
En réalité, l'accord équivaut à un renouvellement d’adhésion au club du marché « libre » pour 21 mois après la sortie officielle, mais sans que la Grande-Bretagne n’ait plus aucune influence significative sur les nouvelles politiques européennes auxquelles elle sera liée jusqu'à fin 2020.
L'objectif affiché de cet arrangement transitoire est d'éviter que les relations économiques entre Grande-Bretagne et UE ne s’écroulent brutalement dès le lendemain du Brexit le 29 mars 2019, sans que de nouvelles dispositions aient été mises en place.
En fait, la véritable raison est de maintenir l'accès au marché unique en prétendant sortir de l’Union Européenne pendant que les plus gros financiers, industriels et commerçants britanniques en embuscade derrière le parti conservateur continuent à chercher une alternative à un départ de l'UE qu'ils n’avaient pas prévu et ne souhaitaient pas.
C'était d’ailleurs déjà la raison pour laquelle Madame Theresa May avait différé le plus longtemps possible la publication officielle de la décision de son pays de quitter l'UE avant d’entamer des négociations de sortie neuf mois après les résultats du référendum.
Le plus gros travail du Premier ministre a été de trouver le moyen de maintenir un semblant d'unité au sein de son propre parti divisé, avec ses partenaires de la coalition constituant la majorité et entre les membres du gouvernement, tout en subissant les pressions des lobbies.
Les banques pro-européennes et les grandes entreprises ont clairement indiqué qu'elles préféraient que la Grande-Bretagne reste soumise aux règles et aux institutions du marché unique de l'UE puisqu’il semblait qu’une annulation des résultats su référendum fût impossible. Cette position apparait d’ailleurs chez de nombreux parlementaires du parti travailliste et chez les dirigeants des LibDems, du SNP, du Plaid Cymru et du Parti vert avec lesquels il faut bien composer. Ils préféreraient que la réglementation de la pêche, de l'agriculture, des marchés publics et des aides continue à venir de Bruxelles plutôt que d'être rapatriés à Londres, Edimbourg et Cardiff.
L'alternative aurait pu être d'accepter le verdict du référendum, de faire jouer l'article 50 dans les jours ou les semaines qui ont suivi le scrutin et de préparer les négociations pour remplacer l'adhésion à l'UE par des arrangements bilatéraux avantageux pour toutes les parties, tout en répondant aux aspirations de la majorité des électeurs.
Il n'y aurait pas eu besoin d'une transition, ni avant ni après le Brexit.
Le leader travailliste, Jeremy Corbyn, avait proposé une telle perspective, mais ses propres députés pro-européens ont failli l’étriper et l'ont contraint à « reformuler son offre ».
Pendant ce temps, chez les conservateurs, la confusion et les conflits d’intérêts conjugués à l'intransigeance et aux manœuvres de l'UE, ont parfois transformé les négociations de sortie en une mêlée ouverte. C'est pourquoi l’annonce cet « accord » mi-chèvre mi-chou mardi dernier a stimulé la livre sterling et les cours de la bourse londonnienne.
Mais l'euphorie risque d'être de courte durée. Il apparaît déjà clairement que l' « accord de transition » ne prévoit aucun « accord définitif » sur l'alignement avec les règles du marché unique de l'UE, la compétence de la Cour de justice européenne par rapport aux entreprises et à la circulation des travailleurs, le commerce transfrontalier nord-sud, ni sur les transactions financières ou l'avenir de l'industrie de la pêche. Sur toutes ces questions, la population est dans l’expectative et se demande à quelle sauce elle sera mangée demain.
Mais ce n’est pas encore demain qu'un gouvernement britannique mettra en œuvre des politiques qui donnent la priorité aux services publics, à l'investissement public et à un développement économique planifié et équilibré. La « gauche » anglaise n’a rien à envier ses sœurs des pays européens en matière de détricotage.
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