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Accueil du site > Tribune Libre > Violences à l’école : armons les profs !

Violences à l’école : armons les profs !

Soixante actes de violence par jour (en moyenne) dont les enseignants sont les cibles ! Quelles sont les causes profondes de cette hostilité ? L’organisation pédagogique est-elle en cause ?

Un peu d’histoire

En 1882, l’âge légal de scolarisation passa de 7 à 13 ans. C’était l’époque du fameux « certificat d’étude primaire », si cher à nos aïeux et qui tient encore une grande place dans notre mémoire collective comme une sorte de paradis perdu. Pourtant, seule une petite proportion de Français l’obtenaient (environ 35% dans les années 20) : la sélection était sévère.L’âge légal de scolarisation fut ensuite porté à 14 ans en 1936 puis à 16 ans en 1959. Cet allongement de la scolarisation s’est accompagné d’une nouvelle ambition : l’accès au savoir pour tous. Mais le système restait élitiste et conservait des voies d’orientation dès la sortie de l’école élémentaire. Une belle et généreuse idée pris corps dans les années 70 : offrir à tous les enfants de France un même accès au savoir, un moule unique. Ce fut la réforme du « collège unique », dite loi Haby, votée en juillet 1975. Cette dernière réforme devait entraîner ce qu’on a appelé la « massification » du système éducatif : une augmentation très importante de l’effectif du système scolaire et l’émergence de problèmes nouveaux.

Les conséquences pour l’école

Les conséquences de la réforme Haby se sont déployées au fil du temps et jusqu’à maintenant. La scolarité obligatoire rallongée enchaîne élèves et professeurs dans une cohabitation forcée à durée déterminée, sans autres possibilités que de s’apprécier ou de se supporter.

La conséquence essentielle du maintient en milieu scolaire d’enfants qui, autrefois, auraient été éliminés beaucoup plus tôt, est de créer une très grande hétérogénéité dans les classes : tout se passe comme si un enseignant pratiquait son cours devant trois niveaux : environ 1/3 d’élèves performants qu’il faut freiner pour maintenir à l’allure moyenne du groupe, 1/3 d’élèves moyens, sensiblement au niveau de la classe qui est faite, et 1/3 d’élèves en grande difficulté pour qui le discours du professeur n’est pratiquement pas intelligible (ces proportions varient sensiblement suivant les zones : je vous laisse deviner comment...) Je décris ici un système d’enseignement dit « frontal » où une classe correspond à un niveau. L’enseignant est alors comme le guide d’une colonne en marche où il doit veiller à ne pas se laisser déranger par les meilleurs en les occupant autant que possible (« M’sieur, j’ai fini qu’est-ce que je fais ? ») et essayer de relever ou de traîner les élèves qui ont du mal à suivre.

Les « mauvais élèves »

Comment se forge un état de mauvais élève ? Je dis « mauvais élève » à dessein car la terminologie officielle est « enfant en difficulté ». Mais ce type d’élève est considéré souvent comme « mauvais », « non méritant », bref des élèves de mauvaise volonté. Pourquoi ? Tout d’abord, ce sont presque toujours des trublions. Ensuite, il s’est développé dans l’influence généreuse de mai 68, l’idée que tous les enfants étaient égaux en capacité, ce qui est évidemment faux pour diverses raisons, parfois passagères. Donc, dans l’inconscient ou parfois le conscient de nombreux enseignants, un élève qui ne travaille pas est un élève qui ne veut pas travailler, qui ne joue pas le jeu et qui, de ce fait, subit une certaine hostilité des professeurs mis en face de l’échec de leurs pratiques pédagogiques. En fait, tout enseignant le sait bien, les retards se forgent au cours de nombreuses années de scolarité, au gré des circonstances, et ceci dès qu’un enfant ne suit plus le rythme moyen imposé à tous. Quelles en sont les causes ? Un élève peut être plus lent que la moyenne, prendre du retard et finir par décrocher. Mais ce peut être aussi la conséquence d’une perturbation passagère, parfois d’ordre psychologique, comme un divorce, etc. Bref, la réalité c’est que les enfants sont très différents, qu’ils n’apprennent pas au même rythme, tant s’en faut, et que, si l’on ne veut plus les éliminer, il faut prendre en compte leurs problèmes spécifiques. La réponse classique, lorsqu’un retard important est détecté, est le redoublement. Il est mal vécu et de moins en moins pratiqué. Tout le monde le considère comme un échec. De plus, il coûte très cher : environ 7000 Euros en moyenne par enfant et par an. Son efficacité est discutée et à juste titre ! Les professeurs sont donc dissuadés d’utiliser cette solution. Alors, on fait comme si... On « fait passer » tant qu’on peut et le retard s’accumule... Jusqu’au jour (ça arrive en général au collège) où la distance entre les savoirs de ces enfants et l’enseignement auquel on les soumet est tellement grande, que tout le monde a le sentiment d’une situation irrattrapable, du moins dans le cadre du système pédagogique pratiqué. Pour donner une idée du retard effarant de certains élèves au collège, je donnerai quelques exemples : en maths niveau 3ème, ne pas savoir qu’un nombre multiplié par 1 est inchangé, ne pas savoir qu’une fraction dont le numérateur et le dénominateur sont égaux vaut 1, ne pas être capable du calcul mental, même le plus simple. En français, au même niveau, ne pas être capable d’écrire correctement la moindre phrase ne mettant en jeu que des temps simples (en fait, écrire en « SMS »), être incapable de comprendre un texte même simple (niveau CE2) et de le résumer... Ce sont des exemples vécus et très banals, pris dans de beaux quartiers ! Pourtant, les élèves auxquels je pense ont suivi leur scolarité normalement et sont passés sans problème de classe en classe. Jusqu’au jour où le comportement s’en mêle...

Mauvais élèves, puis sauvageons

Comment des enfants arrivés dans ces difficultés vivent-ils leur scolarité ? Tout d’abord ils perçoivent qu’on n’est pas contents d’eux. On les renvoie à leurs responsabilités, on tance leurs parents... On menace... On fait signer des contrats irréalistes dont le non-respect augmentera encore la rancune de tous... « Ils pourraient s’ils voulaient », puisque le dogme en cours veut qu’ils en aient les capacités. Ils sont donc fautifs. C’est un message rabâché à longueur de temps par nos élites : seuls les bons et très bons méritent de la considération, et tout le monde peut en être : ce n’est qu’une question de travail. Ce qui est évidemment faux et injuste.

Le système éducatif, incapable de les faire réussir, a une exigence très forte : qu’il se tiennent calmes, qu’ils ne perturbent pas les élèves « méritants », qu’ils fassent « comme si » jusqu’à leur seizième anniversaire où ils pourront quitter l’école (très souvent sans aucun diplôme)...

Je conseille au lecteur une petite expérience : qu’il se glisse le matin dans un cours d’une grande université, par exemple en maths, mettons un cours sur les « équations aux dérivées partielles » puis, l’après-midi qu’il enchaîne avec un cours de « mécanique quantique ». Maintenant, qu’il imagine qu’on lui impose de faire ça six heures par jour, tous les jours, en restant calme et en ayant l’air attentif. Qu’on ajoute à cela des reproches incessants pour ne pas avoir résolu l’exercice de « géométrie algébrique » donné pour le lendemain et autres. Je pense que quiconque soumis à un tel traitement devient rapidement fou et violent. C’est la même chose pour ces enfants en difficulté... Leur agitation et leur inattention se muent progressivement en violence au fil des reproches et de l’énervement de leurs professeurs qui voudraient bien les voir ailleurs, même s’ils s’en défendent. Une détestation mutuelle s’installe, chacun reprochant à l’autre (consciemment ou non) de ne pas faire son travail. Et l’aboutissement en est la violence antiprof (et parfois anti-élèves...) surtout dans les zones où la proportion de tels enfants est plutôt 50% que 30% .

Que faire ?

L’Education Nationale a bien vu les difficultés issues d’une telle hétérogénéité dans les classes et elle a réagi...par un vœu pieux : c’est la fameuse loi d’orientation de 1989, confirmée en 2005, qui précise que l’élève doit être au centre du système éducatif. Bref, il faut prendre les enfants où ils en sont et leur donner les savoirs dont ils ont besoin. Le moyen pour faire cela s’appelle la pédagogie différenciée. Les spécialistes diront qu’il faut toujours se trouver dans la « zone proximale de développement » (Vigotsky) c’est-à-dire ne donner ni un travail trop facile, qui serait ennuyeux, ni un travail trop difficile qui mettrait l’élève en échec. Un enfant repéré en 3ème avec un niveau en maths de CE1 devrait se voir proposer des travaux de CE1 sur des supports adaptés jusqu’à ce qu’il ait comblé son retard. Est-ce cela qui se fait en pratique ? Non. Le système est resté très largement frontal (« une classe, un niveau ») avec de petits temps de « soutien » qui ne changent pas grand-chose.

Pourquoi les enseignants (à quelques rares exceptions) ne pratiquent-ils pas de différenciation ? Tout simplement parce qu’ils n’en ont pas les moyens matériels. Organiser une classe en différencié ne se fait pas à moitié. Il faut que l’enseignant dispose de supports permettant un travail (presque) autonome de toute la classe, prévoyant l’entraînement, la remédiation et l’évaluation. Dans une telle organisation, l’enseignant n’a plus le rôle de dispenser un magister : il doit évaluer chaque élève pour lui donner un travail adapté à son niveau et être une aide, une ressource (on dit une « personne-ressource ») pour le débloquer en cas de difficulté. Fabriquer de tels supports couvrant tout le programme de la scolarité obligatoire n’est absolument pas à la portée d’un enseignant, surtout débutant. Le faire au cours de sa pratique est une tâche très difficile demandant des décennies de travail. De tels supports sont-ils disponibles dans le commerce ? Pas à ma connaissance. De tels supports existent-ils ? Oui et ils sont la propriété de l’Education Nationale !

Les supports du Centre National d’Education à Distance (CNED) : un outil presque unique au monde

Depuis de nombreuses années, l’Education Nationale a développé, dans le cadre du CNED et pour les enfants qui ne peuvent être scolarisés normalement, des supports permettant d’effectuer une scolarité en autonomie et par correspondance. Tout y est prévu et remarquablement bien fait : leçons, devoirs autocorrectifs d’entraînement, évaluation, etc. Peut-on vraiment faire sa scolarité en autonomie à distance ? L’autonomie totale est difficile, mais une « personne-ressource » intervenant (rarement) lorsque l’élève en a besoin, rend le système très efficace.

Développer l’ensemble des supports du CNED a été, et demeure, un travail de titan dont l’institution peut être fière. Les enseignants ont-ils le droit d’organiser leurs classes en utilisant les support du CNED, et en intervenant comme personne ressource dans leur classe ? Non. Le CNED, au niveau de la scolarité obligatoire, est réservé aux rares élèves qui ne peuvent être scolarisés normalement ! Peut-on (tout de même) acheter les cours du CNED et s’en servir ? Non. Le règlement impose au CNED de s’en tenir à sa mission d’éduquer à distance les rares enfants qui justifient d’une situation particulière qui les empêchent de suivre une scolarité normale et de leur réserver ses supports. Il est donc impossible d’utiliser ce fantastique outil dans sa classe.

Armons les prof

Ce cantonnement d’un outil aussi extraordinaire que le CNED, dont les niveaux enseignés s’étendent du CP jusqu’à la licence, à quelques rares cas particuliers est tout simplement ahurissant. Je suis moi-même un ancien élève du CNED (suite à un accident) et je peux témoigner de la quasi-autonomie qui est rendu possible par les supports de cet organisme. Un enseignant disposant d’un tel corpus et l’utilisant dans sa classe (et non plus par correspondance) serait à même de faire une vraie différenciation en donnant à chaque élève le travail adapté à son cas. Dans cette situation, l’enseignant devient une « personne-ressource » toujours disponible pour tous, permettant à ce système de fonctionner à plein rendement. Les meilleurs élèves n’auraient plus de freins et pourraient avancer à leur rythme pour atteindre éventuellement des niveaux d’excellence. Les enfants plus lents, ou de moindre capacité, disposeraient enfin d’un travail accessible et n’auraient plus le sentiment de perdre leur temps. Les professeurs, en cas d’absence, seraient facilement remplacés, les élèves disposant de leur programme de travail individuel. Et enfin l’enseignant ne serait plus perçu comme un ennemi mais comme une personne qui aide, une personne dont le savoir rend service. Tout le monde sait bien qu’une classe affairée est une classe calme et la réciproque est vraie : l’agitation et la violence, ainsi privées de leur source qui est le désoeuvrement, disparaîtraient. Combien cela coûterait-il ? Presque rien : tout est déjà fait et bien fait. Cela nuirait-t-il au droit des enseignants et à leur liberté pédagogique ? Nullement. Les enseignants sont déjà tenus de pratiquer un enseignement différencié. La très grande majorité ne le fait pas, faute de moyens. C’est à ces enseignants qu’on proposerait ce corpus. Libre à eux de l’utiliser ou non et, éventuellement, de le modifier progressivement, au fil de leur expérience, suivant leurs besoins spécifiques. Mais au moins auraient-ils une base de départ. Et qu’on ne m’oppose pas le risque de tomber dans une sorte de préceptorat ni que l’école républicaine doit aussi enseigner la rencontre de l’autre. Il serait temps que les enseignants et les élèves se rencontrent. Et quant aux enfants entre eux, la mise en place de tuteurs, choisis parmi les meilleurs élèves, et qui assisteraient les enseignants (lorsqu’ils sont en avance) en aidant leurs camarades est une méthode efficace et qui marche : je l’utilise tous les jours dans ma classe.

Messieurs les politiques, abandonnez donc les casiers judiciaires en maternelle, les commissariats dans les écoles et toutes les autres mesures farfelues prises au gré de l’actualité qui ne jouent que sur les effets et non sur les causes. Ayez le courage d’armer vos prof, de les armer de pédagogie, de les armer de ces supports différenciés auxquels ils n’ont pas accès, d’imposer enfin une vraie différenciation prévue par les textes, une pédagogie où l’enseignant se doit de prendre son élève tel qu’il est et où il en est.

Vous ne serez pas déçus.


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2 réactions à cet article    


  • lorenzo (---.---.190.64) 30 janvier 2006 12:14

    et si on prenait plutôt le probleme à sa base ?


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 15 décembre 2012 18:43

      6 ans plus tard, ça me semble toujours d’actualité. Un très bon article !

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