Le 12 octobre 2006, l’Assemblée nationale adoptait une proposition de loi socialiste visant à punir de 45 000 euros d’amende et d’un an de prison la négation du génocide arménien. Cette proposition de loi soulève deux grands problèmes que nous allons traiter dans l’ordre suivant : 1) la violation de la liberté d’expression ; 2) l’instauration d’une histoire officielle.
Quarante-cinq mille euros d’amende et un an d’emprisonnement : c’est ce que pourrait bien risquer une personne qui voudrait exprimer ce qu’elle pense au sujet du génocide arménien, en France. C’est cher payer l’expression de ses idées. Ainsi, cette loi, comme la loi Gaysot visant à châtier certaines personnes exprimant leurs opinions à propos du génocide commis contre les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, bafoue l’un des droits les plus fondamentaux de l’individu : celui d’exprimer ses idées. En clair, le délit d’opinion existe dans notre pays. Rien que pour cette raison, cette loi doit être condamnée. Car c’est une manifestation d’intolérance, au sens exact du terme, c’est-à-dire le refus de la liberté d’opinion d’autrui.
Et c’est la patrie des droits de l’homme qui vote ce genre de lois liberticides. Mais l’étiquette ne correspond plus au produit depuis un moment déjà. Car que dit la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui se trouve en préambule de notre Constitution ? L’article 10 affirme : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public. » L’article 11 stipule quant à lui : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » On ne voit pas en quoi nier l’existence d’un crime passé depuis plusieurs décennies est un abus. On ne voit pas en quoi de telles idées provoqueraient un trouble de l’ordre public. Exprimer des idées négationnistes ou racistes ne porte nullement atteinte à la liberté d’autrui. Les personnes qui condamnent ces idées sont libres d’émettre leur point de vue ainsi que les arguments et les faits qui viendront défendre leur opinion. C’est ainsi que fonctionne la liberté d’expression dans une démocratie digne de ce nom.
Voltaire avait déclaré ceci : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. » Comme il avait raison ! Et il va de soi que la liberté d’expression doit être le plus farouchement défendue surtout lorsqu’il s’agit d’idées auxquelles nous n’adhérons pas, aussi nauséabondes soient-elles, tant il est vrai que la liberté d’expression est d’abord celle des personnes avec qui nous ne sommes pas d’accord. Ce n’est pas parce que des propos peuvent être scandaleux qu’il faut les interdire. Le rôle de l’Etat est, tout au plus, d’adresser des mises en garde, mais certainement pas d’ôter des droits fondamentaux à des individus. Chaque personne est libre d’avoir les idées qu’elle souhaite, de se forger elle-même ses propres opinions. C’est dans les régimes totalitaires qu’on tente d’inculquer la pensée unique.
Ainsi, la proposition de loi adoptée le 12 octobre dernier constitue déjà un viol grave des droits de l’homme, c’est-à-dire de notre Constitution puisque ces droits ont une valeur constitutionnelle. Mais, second viol, qui découle du premier, cette loi instaure des privilèges dans la mesure où le résultat est que certaines personnes bénéficient de la liberté d’expression et pas d’autres. Autrement dit, c’est le premier article des Droits de l’Homme et du Citoyen qui est bafoué. Il affirme en effet que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Il est évident que Robert Faurisson, Bruno Gollnisch ou Oriana Fallaci, tous déjà condamnés pour avoir eu le malheur de dire ce qu’ils pensaient, n’ont pas les mêmes droits que les autres dans le domaine de la liberté d’expression.
Les hyperconsciences favorables à ce genre de lois rétorqueront sans doute qu’il y a une certaine morale derrière ces mesures liberticides, qu’il s’agit de ne pas nier des faits incontestables, qu’il s’agit du respect de la mémoire d’un peuple, qu’il s’agit de lutter contre la haine. Ces remarques appellent plusieurs objections.
Tout d’abord, on ne juge pas sur les intentions, mêmes quand elles sont bonnes. Avec les meilleures intentions du monde il est possible de commettre les pires catastrophes. Il faut seulement tenir compte des faits, des résultats. Et le résultat des lois contre la contestation de crimes est celui que nous avons décrit : la suppression de la liberté d’expression pour certaines personnes, le rétablissement du délit d’opinion - habituellement réservé aux dictatures - et l’inégalité des droits.
De plus, l’argument selon lequel il faudrait interdire aux négationnistes la possibilité d’exprimer leurs opinions sous prétexte qu’ils remettent en cause des faits incontestables, établis, reconnus par les scientifiques, n’est pas recevable. Une montagne d’ouvrages mentionnent des faits irréfutables, il suffit de les lire. Ce n’est pas à la loi de décréter que la Terre est ronde. Va-t-on poursuivre un hurluberlu qui publierait un livre dans lequel il « démontrerait » que la Terre est au centre de l’univers et que le Soleil et les autres planètes tournent autour ? Va-t-on punir quelqu’un qui affirmera que la guerre de Cent Ans est une machination orchestrée par Jeanne d’Arc qui voulait s’offrir une immense publicité et se faire canoniser ? Non, alors qu’on laisse les autres imbéciles s’exprimer également !
Ensuite, il est évident que le message implicite des négationnistes est une parole de haine. Donc, il faut, selon nos hyperconsciences, interdire les messages de haine. Sauf qu’un problème de taille se pose : la haine, par définition, est un sentiment. Il n’y a rien de plus subjectif qu’un sentiment et, surtout, la perception de ce sentiment. Il est donc dangereux de vouloir l’introduire dans le domaine du droit comme si on pouvait le mesurer, le qualifier de manière objective, car ce serait la voie ouverte à toutes les demandes et à tous les arbitraires, comme nous allons le constater plus loin.
En vain les donneurs de leçon de morale invoqueront la « provocation » à la haine : car il faudrait prouver dans ce cas le lien de cause à effet entre des écrits en question et certains actes commis par ailleurs. Il est peu probable que les idiots qui profanent des cimetières musulmans aient lu les œuvres de Bardot ou de Houllebecq. Il est peu probable que ceux qui agressent des Juifs aient lu les œuvres de Faurisson ou de Garaudy.
Sur cette question du négationnisme et de la haine, on perçoit très bien la scandaleuse inégalité des droits qui existe dans certains pays : des individus peuvent impunément tenir des propos négationnistes ou de haine, et même appeler au meurtre, d’autres non.
Intéressons-nous d’abord au négationnisme. Thierry Meyssan publia en 2002 son fameux torchon antiaméricain intitulé L’effroyable imposture et sous-titré « Aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone ! » Il a obtenu un succès dans le monde entier, et en particulier en France. Meyssan aurait pu être poursuivi pour propos négationnistes. Mais non. En revanche, Faurisson ou Garaudy, qui émettent leurs opinions en contestant eux aussi des crimes, ces personnes-là, elles, sont inquiétées par la justice et condamnées. Deux poids, deux mesures.
Si à l’extrême droite il devient très difficile d’exprimer ses opinions, à l’extrême gauche, par contre, les négationnistes n’ont pas à craindre de poursuites judiciaires. En effet, a-t-on poursuivi Ludo Martens quand il a publié en Belgique son Autre regard sur Staline ? Voici comment l’éditeur du livre, sur son site, présente cet ouvrage : « Dans ce livre, Ludo Martens démonte scientifiquement, [sic] avec des sources “occidentales” inconnues du grand public, les grands mensonges déversés depuis des décennies contre la construction du socialisme en URSS : la famine en Ukraine, les 12 millions de morts du Goulag, le testament de Lénine, la collectivisation et l’industrialisation imposées par un Parti autoritaire, la terreur aveugle des purges, la collusion Staline-Hitler... » [1] Il est évident qu’il s’agit d’un ouvrage négationniste. La Belgique, comme la France, possède elle aussi une loi, datant du 23 mars 1995, visant à réprimer la négation, la justification ou l’approbation de crimes contre l’humanité. Pourquoi donc ce Ludo Martens n’a-t-il pas subi les foudres de la justice belge ? Pour le comprendre, il faut lire la suite du texte de la loi en question : cette dernière ne concerne que le génocide commis par les nazis. Selon la loi belge, seuls ces derniers auraient commis des crimes contre l’humanité, pas les communistes. Cela aussi, c’est du négationnisme. En clair, le négationnisme communiste, lui, peut rester impuni. Encore une fois, deux poids, deux mesures.
L’appel au meurtre et la haine ne sont pas forcément susceptibles, eux non plus, de faire l’objet de poursuites judiciaires systématiques.
Il est ainsi interdit de s’exprimer sur l’islam. Houellebecq et Fallaci en ont fait l’amère expérience. Michel Houellebecq a simplement manifesté son opinion sur l’islam en 2002 en le qualifiant de « monothéisme intolérant et violent ». Oriana Fallaci quant à elle a eu le malheur d’écrire dans son livre intitulé La Rage et l’orgueil [2] que « les fils d’Allah se reproduisent comme des rats ». Ces auteurs n’ont même pas appelé au meurtre. Pourtant, ils furent poursuivis. Pour avoir exprimé leurs opinions.
Maintenant, considérons les manifestations islamistes, pseudo pro-palestiniennes, qui eurent lieu en France en 2002 les 2 mars, 19 et 28 avril, ainsi que les 18 et 28 mai. Lors de ces manifestations, des personnes brandissaient le drapeau du Hezbollah, appelaient au jihad contre les Juifs, braillaient « Allah Akbar ! » et vociféraient « Mort aux Juifs ! » et « À mort Israël ! » Il se trouve que des organisations de gauche côtoyèrent parfois ces islamistes, notamment les « altermondialistes » d’ATTAC, le PCF, la LCR et les Verts. En outre, figuraient aussi la Ligue des Droits de l’Homme et le MRAP - Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples - : ces « antiracistes » déclarés ne paraissaient pas gênés par les appels au meurtre de certains manifestants. [3] Les islamistes qui se sont illustrés lors de ces défilés antisémites ne furent pas persécutés. Deux poids, deux mesures.
Pourquoi n’interdit-on pas le Coran qui fourmille d’appels au meurtre contre les infidèles ? Pourquoi nos pseudos antiracistes n’ont-ils pas fait en sorte de condamner des élèves qui, en classe, tinrent également des propos clairement antisémites : « Les nazis ont trouvé une méthode ingénieuse pour éliminer le plus de Juifs à la fois » ? [4] Silence du côté du MRAP ou de la Ligue des Droits de l’Homme qui portent décidément très mal leur nom...
Étant donné qu’en France il semble que les propos antimusulmans sont condamnables, nos prétendus antiracistes, animés par leur immense intolérance, devraient lancer l’offensive contre ceux qui osent publier la Chanson de Roland. Voltaire aussi ferait un bon gibier pour nos antiracistes autoproclamés. Dans sa tragédie intitulée Le fanatisme ou Mahomet le Prophète écrite en 1741, le philosophe dénonce en effet les crimes de Mahomet qui veut asservir les Arabes et conquérir le monde, et considère l’islam comme une « fausse religion ». On n’interdit pas ces propos. Mais quand il s’agit d’un Houellebecq ou d’une Fallaci, nos prétendus antiracistes redeviennent soudainement réceptifs... Deux poids, deux mesures.
L’expression d’autres opinions sont interdites dans notre pays, comme les opinions racistes par exemple. Mais en est-on vraiment certain ? Dans la soirée du 11 septembre 2001, dans le 18e arrondissement de Paris où vit une importante communauté musulmane, des propos menaçants, antiaméricains et antifrançais, ont été tenus au sujet des attentats qui avaient été commis ce jour-là : « Ben Laden, il va tous vous niquer ! On a commencé par l’Amérique, après ce sera la France. » Ou encore « Ça va donner une leçon aux Etats-Unis. Vous, les Français, on va tous vous faire sauter. » [5] Il n’est pas venu à l’esprit de nos soi-disant antiracistes de la Ligue des Droits de l’Homme ou du MRAP de traquer les personnes qui exprimaient ainsi une xénophobie évidente.
Nos pseudo-défenseurs des droits de l’homme devraient ajouter à leur tableau de chasse les œuvres marxistes. Depuis « La question juive » de Karl Marx jusqu’à la correspondance entre Engels et ce dernier, les propos racistes et antisémites ne manquent pas. Par exemple, voici ce qu’écrivait Engels à Marx le 8 octobre 1868 à propos d’un dénommé Borkheim, qui était juif : « Étant youpin, il ne peut cependant pas se dispenser de tricher... » Rappelons que le mot youpin, péjoratif, est une injure raciste pour désigner un Juif. Le 2 décembre 1854, Marx écrivait : « Les Espagnols sont déjà des êtres dégénérés. » Le 23 mai 1851, il déclarait : « Tout ce que les Polonais aient jamais fait dans l’histoire, ce sont des sottises ». Il évoquait aussi la « vulgarité » et la « malpropreté slaves ». [6] Silence du côté de la Ligue des Droits de l’Homme et du MRAP... De quel droit, alors, interdit-on Mein Kampf ou les Protocoles des Sages de Sion en France ? Deux poids, deux mesures.
Mais alors, puisque toute haine basée sur des critères d’appartenance à une nation ou à un peuple doit être supprimée, interdisons les manifestations d’antiaméricanisme. Car, rappelons-le, ce dernier est un sentiment et un discours de haine vis-à-vis des Etats-Unis. Traînons en justice Le Monde diplomatique ou Télérama, revues dont l’antiaméricanisme est connu. Un hors série de Télérama, publié en 2002 [7], est à ce titre très significatif. Entre autres âneries, il était écrit que l’Amérique était « dévastée économiquement, humainement, socialement » : on croirait un état des lieux de la Corée du Nord... Les Etats-Unis sont un enfer ? La preuve : chaque année des millions de migrants tentent d’y trouver une vie meilleure. Ce numéro de Télérama affirmait aussi que le « nationalisme » renaissait après le 11 Septembre : André Kaspi, spécialiste des Etats-Unis, soulignait qu’il s’agissait en réalité de patriotisme, mais aux yeux de Télérama il doit être incompétent puisqu’il est historien. Enfin, un article rappelait que les Américains avaient formé Ben Laden : c’est bien connu, chacun le sait, l’URSS fut toujours une puissance pacifique et respectueuse des droits de l’homme.
Au fond, tout propos de haine devrait être interdit. Logiquement, par exemple, on devrait harceler les personnes qui tiennent des propos de haine à l’égard des pauvres. Cela s’inscrirait dans la continuité de l’article 21 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne qui stipule : « Est interdite toute discrimination fondée notamment sur [...] la fortune » Mais alors, François Hollande, qui a déclaré « Je n’aime pas les riches ! », ainsi que tous ceux qui pestent contre les patrons, les actionnaires et autres capitalistes, ces gens-là devraient aussi figurer sur la liste des personnes à persécuter de la Ligue des Droits de l’Homme ou du MRAP...
Il faudrait attaquer en justice tous ceux qui vomissent leur haine du nazisme, de l’islamisme, du racisme... Il faudrait attaquer en justice ceux qui se lancent dans de violentes diatribes contre Brigitte Bardot, Robert Faurisson ou Bruno Gollnisch. On ne le fait pas. Deux poids, deux mesures.
À travers tous ces exemples, nous avons voulu montrer que la liberté d’expression doit s’appliquer à tous... ou à personne. La proposition de loi sur le génocide arménien est donc d’abord une atteinte grave aux deux principes constitutionnels que nous avons évoqués plus haut, à savoir la liberté d’expression et l’égalité des droits.
Une autre lecture doit être faite de cette proposition de loi, avec le regard de l’historien cette fois. Elle s’inscrit en effet dans la continuité des autres lois « mémorielles » qui visent à l’instauration d’une histoire officielle.
Quelles sont ces lois ? C’est d’abord celle du 13 juillet 1990 qui sanctionne ceux qui contestent l’ampleur ou l’existence du génocide des Juifs commis par les nazis. C’est ensuite la loi du 29 janvier 2001 qui reconnaît le génocide arménien. C’est encore la loi Taubira du 23 mai 2001 qui qualifie de « crime contre l’humanité » la traite atlantique - et elle seule, bizarrement, ce qui reflète la vision extrêmement étriquée de l’Histoire de madame Taubira. C’est enfin la loi du 23 février 2005 qui ose ordonner aux historiens d’enseigner le rôle « positif » de la colonisation française.
Nous le redisons : la France est en train d’instaurer une histoire officielle, ce qui est absolument intolérable [8]. L’histoire officielle concerne les régimes totalitaires. La recherche historique ne progresse pas à coups de décrets. La vérité historique ne se décrète pas au Parlement. En fixant une vérité étatique, les lois mémorielles empêchent tout débat et tout progrès de la recherche en histoire. Comme le dit très bien Michel Winock : « C’est par le débat qu’on se rapproche de la vérité, et non par une vérité que le législateur nous assène d’en haut. » [9]
Comme le montre le cas d’Olivier Pétré-Grenouilleau, injustement attaqué en justice par un collectif d’Antillais-Guyanais-Réunionnais, les lois mémorielles peuvent susciter la crainte d’aborder tel ou tel sujet en histoire et provoquer ainsi une autocensure. Des vides resteront et ils seront comblés par des vérités étatiques, des vérités officielles.
Ces mesures liberticides ont été prises par des députés qui ont cédé à la pression de lobbies qui n’ont rien à voir avec l’histoire. Ces lois ne concernent que des mémoires. Or, la mémoire n’est pas l’histoire. À force de sacraliser des mémoires si différentes, la société française court ni plus ni moins à son éclatement. Les lois mémorielles violent le principe d’universalité des lois : ces dernières doivent s’appliquer à des individus en tant que tels : un musulman, un Arménien ou un Juif, sont d’abord et avant tout, des êtres humains avant d’être musulman, arménien ou juif. Il n’y a pas à faire des lois pour satisfaire de petits intérêts catégoriels. Les mémoires divisent, l’Histoire rassemble disait Pierre Nora. Les mémoires - individuelles ou collectives - sont toujours singulières, tandis que l’Histoire est universelle dans la mesure où elle concerne tout le monde. L’histoire du génocide arménien concerne l’ensemble des citoyens, et pas seulement les Arméniens, loin de là.
La proposition de loi sur la négation du génocide arménien semble montrer que les « historiens » autoproclamés qui nous gouvernent n’ont pas fini d’étendre la mainmise de l’Etat sur l’histoire. Eh bien allons-y ! Nous suggérons donc aux députés de renforcer le carcan législatif dans ce domaine en reconnaissant comme « crime contre l’humanité » le massacre de la Saint-Barthélémy de 1572, à charge pour eux d’assumer les éventuelles conséquences néfastes sur les relations entre catholiques et protestants dans notre pays. Nous invitons aussi nos députés à reconnaître le « génocide » franco-français de 1793, le prétendu « génocide » vendéen, et à nous pondre une loi reconnaissant la Terreur comme un « crime contre l’humanité » également. Comme nos « députés-historiens » ont une immense compétence à déceler des conséquences heureuses de certains événements passés, nous leur suggérons aussi de voter une loi sur le « rôle positif » des croisades. Quant à la Ligue des Droits de l’Homme, qui porte très mal son nom, pourquoi ne pas concocter une loi rien que pour elle, la condamnant moralement pour sa complicité dans certains crimes commis par Staline ? [10]
Mais la France ne prétend pas seulement décréter sa propre histoire, mais aussi celle des autres pays, à commencer par la Turquie, comme nous l’avons vu. Par conséquent, en complément de la loi Taubira, nous préconisons à nos députés de reconnaître la traite négrière musulmane comme un « crime contre l’humanité ». Pourquoi les musulmans seraient-ils exemptés de cette assignation devant le Tribunal de l’histoire ? Après tout, ils ont fait pire que les Occidentaux en matière de traite et d’esclavage. Condamnons la Suède ! Un député devrait soumettre l’idée de condamner le « crime contre l’humanité » commis par le gouvernement social-démocrate suédois qui avait entamé, à partir de 1935, un programme préconisant la stérilisation des Tsiganes, des débiles mentaux et des handicapés profonds, programme qui s’est poursuivi bien au-delà de la guerre. Pourquoi nos députés ne condamnent-ils pas l’Allemagne pour le génocide commis contre les Herero en Namibie au début du XXe siècle ? [11] Pourquoi s’arrêter aux frontières de l’Europe ? Continuons ! Adoptons une loi condamnant le Canada, les Etats-Unis, le Mexique, le Panama, le Pérou, la Colombie, le Venezuela, le Brésil, le Chili, l’Argentine... pour l’anéantissement des Amérindiens, anéantissement que certains intellectuels ignorants qualifient à tort de génocide.
Les parlementaires de la Patrie des Droits de l’Homme savent mieux que les historiens ce qu’est l’histoire et se permettent de l’écrire à leur sauce : voilà l’image que l’on peut se faire de notre pays. L’arrogance de la France qui prétend écrire l’histoire à coups de lois et dicter la leur aux autres pays du monde semble donc avérée. Parlons de l’arrogance des Etats-Unis après cela...
Voilà les problèmes que posent la deuxième loi sur le génocide arménien en particulier, et les lois mémorielles en général : elles bafouent l’égalité des droits en plaçant des barrières dans la liberté d’expression, en ôtant à des citoyens la possibilité d’exprimer leurs opinions ; et elles contribuent à l’établissement progressif d’une histoire officielle. Et cela sous couvert de bonnes intentions ! Les bonnes intentions... L’enfer en est pavé. Et c’est au nom des bons sentiments que la France s’oriente insensiblement dans une dérive totalitaire.
Notes
[2] Publié en mai 2002.
[3] TAGUIEFF, Pierre-André (entretien), « Une menace planétaire », in L’Histoire, octobre 2002, n° 269, pp. 70-75.
[4] ASKOLOVITCH, Claude, « Mahomet, Darwin, la Shoah... Y a-t-il des sujets tabous à l’école ? », in L’Histoire, septembre 2005, n° 301, pp. 77-85.
[5] Le Parisien-Aujourd’hui, 12 septembre 2001.
[6] Marx, Engels, Correspondance, Éditions sociales, cite par VILLIERS, Bernard, « Florilège Marx-Engels », in Histoire & Liberté, printemps-été 2006, n° 27, pp. 31-36.
[7]
« 11 Septembre
», Télérama, hors série, septembre 2002, n° 109.
[8] Nous avions déjà traité de ce problème dans notre éditorial intitulé « Non à une histoire officielle ».
[9] WINOCK, Michel (entretien), in Télérama, 1er novembre 2006,n° 2964, page 18.
[10] Voir notre article « La Ligue des Droits de l’Homme ».
[11] Voir notre article « Le génocide des Herero ».