Washington veille à ce que les habitants du Yémen continuent de souffrir
La guerre au Yémen a déjà coûté la vie à plus de 10 000 civils. Plutôt que d'essayer d’y mettre fin, les dirigeants américains ont décidé d'aider la coalition saoudienne à poursuivre son intervention même si cela signifie mort et destructions massives.
Depuis le début du conflit début 2015, la coalition menée par les Saoudiens et soutenue par les États-Unis a tué d'innombrables civils dans les raids aériens détruisant les maisons, les écoles, les usines, les marchés, les hôpitaux et ciblant même les enterrements. "L’attaque des enterrements a été vraiment, vraiment difficile à avaler", a déclaré un haut fonctionnaire de l'administration Obama.
Au cours des derniers mois, la situation s'est aggravée. Le choléra sévit dans tout le pays, tuant des centaines de personnes. L’accès à la nourriture est devenu impossible dans de nombreuses villes à cause des combats : « des millions de personnes sont au bord de la famine, en raison de l'impact des combats", a reconnu le secrétaire d'État Rex Tillerson.
Cette situation a provoqué certaines dissensions à Washington à propos du rôle des États-Unis dans la guerre. Certains responsables demandent une réduction du soutien des États-Unis à la coalition dirigée par l'Arabie Saoudite et l’organisation de négociations avec les rebelles dirigés par les houthis (du nom de leurs dirigeants, Hussein Badreddine al-Houthi et ses frères), une organisation armée zaïdite hostile à la famille Saoud. Mais d'autres dirigeants politiques sont favorables au soutien américain à la campagne militaire dirigée par l'Arabie saoudite.
L'administration Trump a peu communiqué sur cette guerre, mais une série de mesures indique qu'elle continuera à soutenir les États-Unis pour la coalition saoudienne. Bien que les responsables de l'administration Trump soient conscients des risques terribles que les combats font courir aux habitants du Yémen, ils ont entrepris de réapprovisionner la coalition saoudienne en armes et de l'aider à poursuivre sa campagne militaire.
La dissension qui se fait jour à Washington s’est manifestée au Congrès. En mars, un débat sur le sujet a été organisé par le comité sénatorial des relations extérieures. L'ancienne responsable du département d'Etat, Dafna Rand, a soutenu qu'il était devenu incohérent d'aider la coalition saoudienne à lancer des opérations militaires offensives contre les Houthis : "Aider la coalition à lancer de nouvelles agressions sur le territoire contrôlé par les Houthi peut permettre la conquête de nouvelles villes, mais cela fera couler encore plus de sang et il est peu probable que cela modifie les exigences des deux". Convaincue que plus de combats conduiraient à plus de souffrance, elle a appelé à un règlement négocié : "Les Houthis recherchent des garanties d'inclusion politique dans le processus formel du gouvernement. Ce n’est pas la question de savoir si la coalition reprend ou non quelques villes de plus qui règlera ce problème".
De son côté, l'ancien ambassadeur des États-Unis au Yémen Gerald Feierstein a soutenu que la coalition saoudienne devait maintenir la pression militaire sur les Houthis. Bien qu'il ait convenu avec Madame Rand que la solution consistait en un règlement négocié, il a insisté sur le fait que les Saoudiens devaient être en position de force pour commencer les négociations : « Le résultat final doit être celui dans lequel les Saoudiens installent installation un « gouvernement amical » au Yémen ».
Les deux responsables ont convenu que les combats étaient dans l’impasse et que les habitants du Yémen étaient confrontés à d'énormes difficultés, y compris le risque de famine. Mais ils n’ont pas indiqué d’échéance pour la tenue de négociations finales avec les Houthis pour mettre fin à la guerre.
Madame Rand est restée convaincue qu'il était temps d'arrêter de lancer des opérations militaires offensives contre les Houthis, et qu’il était inutile de continuer à provoquer des souffrances inutiles : "Nous appliquons depuis deux ans cette stratégie pour reprendre des territoires dans le but de changer la dynamique politique au prix de nombreuses pertes humaines chez les civils du Yémen, et au risque de nous discréditer. Je ne crois pas que les risques en vaillent la peine".
Concrètement, l'un des principaux dilemmes auxquels sont confrontés les stratèges américains concerne le port de Hodeidah, une plaque tournante commerciale importante située dans le territoire contrôlé par les Houthis sur le littoral de la mer Rouge. Environ 70 % des importations alimentaires du Yémen et 90 % de l'aide alimentaire de l'ONU transitent par cette ville, ce qui en fait un lien vital pour les Yéménites.
Au cours du débat au Congrès en mars dernier, M. Feierstein a soutenu que la coalition saoudienne devrait lancer une offensive pour prendre le contrôle de ce port. Mme Rand n'était pas d'accord et considérait que toute tentative de prendre la ville par la force "constituerait une grave erreur." Elle a expliqué que "les combats eux-mêmes rendraient difficile l'accès humanitaire nécessaire", et que les Saoudiens pourraient mettre en place un blocus du port pour punir les personnes vivant dans un territoire contrôlé par les Houthis et bloquer leur accès à la nourriture.
Une autre question clé concerne les « bombes intelligentes » (precision-guided munitions - PGM), que le gouvernement saoudien a utilisées au Yémen. En décembre 2016, l'administration Obama avait annoncé qu'elle mettait temporairement un terme à une vente prévue des armes au gouvernement saoudien, après avoir constaté que la coalition dirigée par l'Arabie Saoudite avait continué à cibler des objectifs figurant sur une liste « à ne pas attaquer ».
Au début de ce mois-ci, Feierstein a proposé que l'administration Trump annule la décision de l'administration Obama et commence à réapprovisionner le gouvernement saoudien en PGM : "Je crois que nous devrions aller de l'avant sur la vente des PGM".
Dans une déclaration écrite au comité du congrès l'ancien responsable du département d'Etat, Tom Malinowski, développe des arguments qui s’opposent à cette vente : "les Saoudiens ont utilisé des armes fournies par les États-Unis de manière à causer des dommages excessifs et évitables aux civils et ont exacerbé une terrible crise humanitaire. Alors que les armes de précision sont souvent utiles pour éviter les victimes civiles, ce n'est pas le cas au Yémen : la précision ne protège pas les civils quand on vise délibérément les mauvaises cibles".
Malgré ces prises de conscience croissantes, l'administration Trump a pris une position plus agressive sur les différents points du débat :
- Premièrement, l'administration Trump a décidé de soutenir de nouvelles attaques pour s’emparer du port de Hodeidah. Le Secrétaire d'État Rex Tillerson a expliqué ce mois-ci à un comité du Congrès : « Nous travaillons avec les Emirats et les Saoudiens pour obtenir un accord sur la façon dont nous pourrions avoir le contrôle de ce port. Nous pensons que nous pouvons prendre le contrôle du port sous le contrôle d'une autre autorité tierce".
- Deuxièmement, l'administration Trump a décidé de fournir au gouvernement saoudien les munitions guidées de précision mises en cause. "Les fonctionnaires de l'administration Trump ont consacré des heures avant le vote, à passer des appels téléphoniques et à tenir des séances d'information avec les élus pour que le Sénat autorise cette vente", est-il écrit dans The New York Times.
- Plus largement, l'administration Trump a également décidé de continuer à aider la coalition saoudienne à maintenir ses opérations militaires contre les Houthis en connaissant parfaitement le risque de famine. M. Tillerson est clair : « Les rebelles au Yémen doivent savoir qu'ils n’auront jamais le dessus militairement. Mais ils ne le comprennent que lorsqu'ils ressentent la puissance militaire. C’est pourquoi il est important de garder la pression sur eux".
L'administration Trump a choisi la position dure sur de nombreux aspects clés de la guerre au Yémen. Plutôt que d'essayer de minimiser les pertes civiles, de bloquer la vente de munitions, de préserver les réseaux de distribution de nourriture et de prévenir la famine en cessant l’aide aux opérations militaires saoudiennes, Washington veille à ce que les habitants du Yémen continuent de souffrir.
Sur le même thème
L’accord saoudo-iranien tiendra-t-il le coup ?La réaction américaine à l’accord irano-saoudien
L'hégémonie américaine et ses périls - Rapport du Ministère des Affaires étrangères de la République Populaire de Chine (20/02/23)
Livre / La Guerre des Drones de Seth J Frantzman / Editions Le Jardin des Livres
Théorie d'un complot ou coup d'état mode d'emploi (part 1)
32 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON