L’immigration n’est ni un bienfait ni une calamité
Il y a de plus en plus de débats sur l’immigration dans nos sociétés. Certains prétendent qu’elle est indispensable, d’autres contestent ce point de vue. Ce problème se pose autant pour le Québec que pour la France, car l’immigration n’est pas une simple affaire économique, elle est aussi au coeur de la question identitaire.
L’intégration de « l’Autre » dans la collectivité québécoise est un sujet piégé qu’on n’aborde qu’avec prudence, parce qu’il touche aujourd’hui à la culture et aux valeurs identitaires. En parler crûment, requiert de sortir de la langue de bois de la bienpensance politique, dont le dernier avatar est le rapport de la commission Bouchard/Taylor.
Tout d’abord, il faut rappeler que les mouvements de population ont toujours existé et sont constitutifs de la plupart des sociétés humaines. L’Australie, le Canada et les Etats-Unis sont trois pays récemment construits par des immigrants ; plus près de nous, le Québec est une nation bâtie initialement par des français expatriés. Dans chacun de ces cas, l’édification s’est faite en subjuguant les premiers habitants au prix de féroces nettoyages ethniques, puisque les diverses nations indiennes, inuit d’Amérique du Nord et aborigènes d’Australie sont réduites aujourd’hui à vivre assez misérablement dans des réserves si elles veulent maintenir leurs coutumes ancestrales, ou bien à vivre dans la société de l’homme blanc au prix d’une mise à l’écart de leurs modes de vie et de leurs cultures.
Les choses étant ce qu’elles sont, oublions pour un moment ce péché originel.
La plupart des pays développés connaissent depuis quelques décennies un fort accroissement de leur diversité ethnique du fait d’importants courants migratoires. De nombreuses études confirment qu’à long terme, l’immigration a généralement des impacts substantiels et bénéfiques pour les pays d’accueil. Les floraisons artistiques et scientifiques des pays d’accueil ont été considérablement enrichies par la diversité des provenances migratoires si on inclut les immigrants de deuxième et troisième générations. Passés les ajustements initiaux, les apports culturels viennent ajouter des tresses nouvelles à la trame identitaire du pays hôte ; le Québec d’aujourd’hui est culturellement très différent, en mieux je crois, de ce qu’il était il y a à peine quarante ans et ce en bonne part grâce aux immigrants. Quant au développement économique, bien qu’il y ait des controverses à ce sujet entre économistes, la majorité de ceux-ci concluent qu’à moyen et long terme, la balance des coûts et des bénéfices de l’immigration est favorable au pays d’accueil. Toutefois le facteur central qui guide aujourd’hui les politiques d’immigration des pays occidentaux, c’est la nécessité pour la majorité de ceux-ci d’assurer par une immigration si possible choisie, que leur pyramide démographique demeure équilibrée en termes de ratio actifs/oisifs. Et ce du fait que leur faible taux de natalité est insuffisant pour le renouvellement des générations et menace donc à long terme, leur dynamisme économique ainsi que leur stabilité sociale et politique. C’est soit plus d’enfants, soit la chute du niveau de vie, soit l’appel à l’immigration !
Si les avantages de l’immigration pour le pays d’accueil sont si clairement établis, pourquoi cette question crée-t-elle alors tant d’anxiété dans de nombreux pays occidentaux et pas seulement au Québec ?
Une phrase d’un dirigeant politique allemand dans les années 90, commentant la difficulté d’intégrer les résidents turcs en Allemagne me revient en mémoire, « On avait importé des travailleurs turcs pour faire tourner la machine économique ; trente ans après, on se rend compte que ce sont des êtres humains avec une identité et une culture différentes des nôtres, et ils sont là pour rester ; que doit-on faire ? » C’est le dilemme de toutes les sociétés d’accueil qui n’ont aucune raison de mettre entre parenthèses leur identité propre pour accueillir et intégrer l’immigrant, mais qui doivent en même temps pour des raisons morales, accommoder la différence du nouveau venu, dans la mesure du possible. Comment concilier l’obligation de demeurer soi-même tout en s’ouvrant à la différence de l’autre est une question qui ne cesse pas d’être à l’ordre du jour des pays d’accueil. La première solution fut imaginée par les Etats-Unis. Pour tenir compte de la diversité des treize colonies fondatrices, le congrès américain lors de la création des Etats-Unis avait adopté une devise, E Pluribus Unum, « Un à partir de plusieurs » parce qu’ils savaient que leur unité ne pouvait être basée ni sur une origine ancestrale commune ni sur une unique religion. Ce qui devait assurer idéalement l’unité de la collectivité nationale américaine ne pouvait dès lors qu’être un ensemble de valeurs universelles partagées, non négociables, formant le socle de l’identité nationale commune ; tout le reste étant laissé à la liberté de chacun. Liberté, égalité absolue de l’homme et de la femme, laïcité, et non ethnicité ou religion, constituent aujourd’hui la promesse affichée des états occidentaux.
La nation québécoise moderne s’est donnée elle aussi depuis la révolution tranquille, un ensemble de valeurs similaires exprimant les aspirations de son peuple fondateur. Certains politiciens et intellectuels, dont le plus éminent fut le Premier Ministre Trudeau, ont voulu que l’arc en ciel canadien et donc québécois repose sur une simple juxtaposition de multiples cultures, ethnies et mouvances identitaires, au motif que toutes les communautés qui les composent, y compris celles des immigrants de fraîche date, auraient une égale valeur et une égale légitimité à définir le cadre de vie commun, c’est-à-dire l’espace public de la nation. Une telle approche reflète, soit un idéal désincarné et absurde puisqu’il remettrait constamment en question le socle identitaire du pays avec chaque inclusion d’une nouvelle communauté culturelle, ethnique ou religieuse ; soit plus probablement un processus politique visant d’autres fins que celles proclamées de son discours. Une vision quelque peu similaire mais surement sincère de ce qui devrait fonder le Québec inspirait Gérard Bouchard en 1999. Robert Leroux professeur à l’université d’Ottawa rapporte dans le devoir du 5 juin 2008, que « Gérard Bouchard avait confié en 1999 à Michel Lacombe dans un ouvrage d’entretiens qu’il fallait concevoir la société québécoise comme un assemblage de groupes ethniques, les canadiens français ou franco-québécois, les autochtones, les anglo-québécois, toutes les communautés culturelles... ». Cette égalité ontologique qui accorde à chaque groupe ethnique ou religieux le même poids et la même légitimité pour infléchir le destin collectif est une négation de l’Histoire et de la réalité. Elle n’est même pas moralement acceptable. Aucune collectivité nationale n’a jamais laissé l’Autre, le nouveau venu, redéfinir son socle identitaire, à moins d’avoir été écrasée militairement. C’est pourtant cette même logique d’accommodement irréaliste et excessif de l’autre qui a amené au Canada comme au Québec, des intellectuels et des politiciens bien intentionnés à laisser croire aux immigrants, aux communautés culturelles ethniques et religieuses, que la préservation de leur identité pouvait se faire en ignorant ou en contournant si nécessaire l’obligation de respecter le socle de valeurs fondamentales communes (Charles Taylor avait décrié la décision de l’Ontario de refuser la mise en place de tribunaux islamiques basés sur la charia, contournant de ce fait la loi du législateur). Cette vision d’un Québec patchwork de Bouchard et la position "d’excessive ouverture accommodante" à la différence de l’autre de Taylor, sont les exemples mêmes des errements à l’origine des tensions sociétales ayant amené le Gouvernement québécois à créer la commission sur les « accommodements raisonnables ». Après toutes les bavures qu’ont connues plusieurs pays occidentaux européens dans leurs politiques de laisser-faire vis-à-vis de certaines pratiques culturelles inacceptables ou même illégales de la part de certains groupes d’immigrés refusant le dénominateur commun propre à l’occident, on s’attendrait à ce que tout le monde soit conscient aujourd’hui, que complaisance et laisser-faire ne peuvent amener que des dérapages toxiques pour tous.
Le Québec ne peut être qu’enrichi par la diversité des multiples groupes d’immigrants, si ceux-ci au travers d’un vrai processus d’interculturalité, c’est-à-dire de convergence avec les valeurs essentielles du peuple québécois, comprennent et acceptent que ce pays a une culture commune, une langue commune et des idéaux communs qui structurent son espace public, la Res Publica de tous, gouvernée par une seule loi et assise sur les valeurs déjà citées de liberté, d’égalité de l’homme et de la femme et de laïcité. La responsabilité de ce processus d’interculturalité incombe d’abord au gouvernement du Québec, lequel doit préciser sans équivoques les règles pour venir s’épanouir dans ce pays et qui doit mettre en œuvre les voies et les moyens pour favoriser la convergence culturelle.
Quant-à-moi, je pense qu’en dépit des bonnes intentions de tous, sans une véritable conscience historique de ce que représente le bien public pour tous et chacun, ce que l’école publique fait mal, l’ambigüité ne disparaitra pas du rapport de l’immigrant avec sa nouvelle terre d’accueil, car il aura peu de raisons d’inscrire son parcours personnel dans une vision citoyenne du désir de parfaire sa collectivité d’adoption. Le civisme est pourtant à ce prix.
Léon Ouaknine
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