De Jean-Charles Naouri à Matthieu Pigasse, petite histoire des « patrons de gauche »
« Il y a des patrons de gauche. Il y a aussi des poissons volants... mais qui ne constituent pas la majorité du genre ». La réplique de Gabin, signée Audiard, n’a pas pris une ride à l’ère du sarkozysme et de la collusion généralisée entre politique et monde médiatico-financier.

Le patron de gauche est une espèce rare en France. Pendant longtemps, Jean-Charles Naouri, l’ancien bras droit de Pierre Bérégovoy devenu PDG et actionnaire majoritaire du groupe Casino, était le seul électeur socialiste parmi les 100 premières fortunes de l’hexagone.
Le rachat du groupe Le Monde par le trio Bergé-Niel-Pigasse est peut être en train de changer la donne. Il fait en tout cas souffler un vent nouveau sur le petit monde médiatique… un vent à l’odeur d’une pluralité devenue rare.
Qu’il s’agisse de Pierre Bergé, compagnon de route de Ségolène Royal, ou Mathieu Pigasse, ex-éminence grise de DSK, des hommes d’affaires de gauche ont pris le contrôle de l’un des fleurons de la presse au nez et à la barbe des cercles sarkozystes.
Hasard ? Coming-out de patrons de gauche décomplexés, qui ne perçoivent pas leur succès professionnel comme un reniement politique ?
Faute de combattants, l’histoire des grands patrons de gauche est forcément courte…
Jean-Charles Naouri, le précurseur
Jean-Charles Naouri est une tronche. Bac à 15 ans (mention très bien), doctorat de mathématiques, premier au concours d’entrée à Normale Sup’, major de sa promo à l’ENA,…
De quoi se faire repérer par Pierre Bérégovoy qui l’embauche à 32 ans comme directeur de cabinet. Jusqu’aux législatives perdues de 1986, il sera son inamovible bras droit, notamment au ministère des Finances.
La cohabitation le marginalise et il se lance dans la finance comme partenaire à la banque Rotschild d’abord, puis en créant son propre fond d’investissement, Euris.
En 1992, Jean-Charles Naouri devient l’actionnaire majoritaire du Groupe Casino qu’il dirige depuis. Le fakir de la finance se transforme en chef d’entreprise, multipliant les acquisitions et diversifiant les activités du groupe.
Homme de coups et de flair, l’ancien protégé de Bérégovoy pèse aujourd’hui 630 millions d’euros, ce qui le place en 61e position des fortunes françaises… les 60 devant lui et les 40 derrière étant évidemment de droite
Pigasse, la gauche décomplexée aux affaires
Il faudra attendre vingt ans pour voir éclore une nouvelle génération d’industriels de gauche. Le parcours de Matthieu Pigasse ressemble d’ailleurs à celui de son prédécesseur.
Sciences-Po… ENA… Cabinet ministériel… Il sait se rendre indispensable à Dominique Strauss-Kahn, puis à Laurent Fabius au ministère de l’Economie.
Il quitte le navire PS avant le naufrage de 2002 et se fait corsaire de la finance « équitable » : pour restructurer la dette argentine d’abord, puis pour préparer la nationalisation du gaz bolivien promise par le président Evo Morales.
Les années 2000 sont des années fric pour Matthieu Pigasse qui devient l’une des coqueluches des milieux financiers et entre comme associé gérant à la banque Lazard.
Jusqu’à cet automne de 2010, où il décide de tenter à son tour sa chance dans l’univers en décrépitude de la presse écrite et de placer ses billes dans Le Monde. Un acte militant en soi dont la rentabilité semble hasardeuse.
Des patrons comme les autres ?
Face aux Pinault, Lagardère et autre Arnault, il n’est peut être pas inutile de voir enfin apparaître des patrons de sensibilité de gauche.
Naouri. Pigasse. Des industriels qui ne font peut être pas beaucoup plus de cadeaux à leurs employés que leurs collègues du CAC, mais qui ont au moins le mérite de contrebalancer un tant soi peu la domination idéologique de la droite dans les hautes sphères économiques.
A l’heure où la quasi-totalité des médias français appartiennent à des proches de Nicolas Sarkozy, le fait qu’un socialiste (même enrichi) prenne la barre du Monde, fait souffler un vent de pluralisme nécessaire dans les médias.
Un patron de droite se serait-il lancé dans la guerilla de Casino contre Nestlé ? En commercialisant ses propres dosettes de café et en faisant tomber le tabou du monopole de Nescafé dans ce domaine, Jean-Charles Naouri a fait plus que nombre d’orthodoxes de gauche.
Il a permis de battre en brèche l’hypocrisie dégoulinante du système des brevets qui verrouille l’innovation et fait trinquer les consommateurs. Ce n’est peut être pas le Grand Soir, mais ça mérite une réflexion qui aille au-delà du manichéisme.
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