Des plans européens scandaleux
Ce livre est une bonne surprise et j’en partage la majorité des constats. J’ai été étonné par la virulence des propos contre les plans européens. Il parle de «
hold up des rentiers » et de «
contribuables rançonnés par les plans de rigueur au profit des épargnants et de la finance »,
une analyse que j’évoquais il y a trois ans et que j’avais développée en 2011 en parlant du «
scandale du rachat des dettes souveraines ». Pour lui, ces plans consacrent «
l’enrichissement des rentiers au détriment de la prospérité collective, précipitant l’euro et l’Europe vers la ruine ». Il note que la crise de l’euro n’est que la variante de la crise mondiale de la dette.
Encore mieux, il dénonce également les politiques d’austérité menées par les pays « aidés » en disant que l’on «
approfondit la blessure », que le niveau du chômage et l’émigration d’une partie de la population est le signe d’un échec. Il affirme qu’en Espagne, «
l’amélioration des comptes extérieurs (est) obtenue au moyen de l’effondrement de la demande intérieure, qui a créé le chômage de masse ». Il dénonce le cercle vicieux de l’austérité,
dénoncé dès 2010 par NDA (à l’Assemblée Nationale), Jacques Sapir ou moi-même : les hausses d’impôts et les coupes dans les dépenses pèsent sur la croissance, et donc les recettes fiscales puis sur les déficits, ce qui impose toujours plus d’austérité. Il souligne que la dette des pays « aidés » s’envole. Il souligne les conséquences désastreuses pour l’économie réelle, les faillites et le chômage.
Comme je l’avais fait dès 2010, il critique de manière virulente les euro obligations, qui ne font que défendre les intérêts du monde financier. Il souligne également le paradoxe qui consiste à vouloir traiter une crise de la dette en créant de nouvelles dettes.
Comme je l’avais fait également et comme NDA, il dénonce le prêt de 1000 milliards à 1% de la BCE aux banques qui permet aux banques de prêter à 5 ou 6% aux Etats, «
une usine à gaz scandaleuse » au profit du monde financier. Il souligne justement le problème démocratique qui consiste à faire que «
les contribuables vont payer pour des bêtises faites en dehors de leurs frontières ». Pour lui, «
les créanciers ont réussi le tour de force de nationaliser les dettes privées irrécouvrables ».
Une crise du laisser-faire et de la finance
Il fait une lecture générationnelle de cette crise, produit de la génération mai 68, libérale, qui, à la veille de sa retraite, cherche à défendre son patrimoine en faisant payer les jeunes générations. Dans une analyse originale il soutient que la finance s’est d’abord alliée au Nord, pour tondre le Sud, mais, voyant que l’austérité ne marchait pas, elle s’est alliée au Sud pour demander la caution et l’argent du Nord ! Il dénonce le fait que le FESF et la BCE ne soient plus des créanciers privilégiés, concession obtenue par les lobbys financiers. Pour lui « la finance internationale trouve un nouveau pigeon pour éviter d’avoir à payer la note » et « la zone euro est faite par les vieux, pour les vieux, et diriger par le Vieuxland, l’Allemagne ». Mais c’est un calcul à court terme car l’exil des jeunes menace le paiement des retraites.
En rappelant qu’en 2005, les marchés prêtaient à 3,6% à la Grèce, contre 3,4% à l’Allemagne, il souligne «
la stupidité collective des marchés » qui préfèrent «
avoir tort avec les autres que raison seul ».
Cette crise est celle d’un libéralisme dévoyé, qui refuse toute limite (dette ou frontières) et «
comme toujours, les périodes libérales se terminent par un krach », faisant le parallèle entre 2008 et 1929. Il anticipe un grand retournement idéologique, un retour de l’Etat, des frontières et des nations et souligne que les élites seront en retard sur le peuple à ce sujet.
Il dénonce le fait que
rien n’ait été fait pour mieux réguler la finance, et que «
jamais les marchés avaient été aussi peu régulés ». Il appelle même à une nationalisation de la finance, pas au sens du rachat par l’Etat des banques, mais d’une démondialisation financière pour remettre le secteur financier sous le contrôle des Etats, quand l’absence de frontière lui permet au contraire d’être partout et nul part, et donc hors de contrôle, tout en imposant à la collectivité de l’aider s’il est en difficulté. Il propose plusieurs solutions : un moratoire de 3 ans sur le remboursement de la dette pour permettre aux pays de se redresser, ou un étalement sur 20 ans (avec décote), un contrôle des changes et une politique de « répression financière ».
Source : François Lenglet « Qui va payer la crise ? », éditions Pluriel