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Sociétés anonymes : enfin un peu de simplification !

« Un record absolu du nombre des chômeurs, le record mondial des prélèvements obligatoires, une balance commerciale en chute libre, une croissance atone : face à ce triste constat, une des priorités (…) doit être de simplifier la vie des entreprises pour renforcer leur compétitivité et libérer leur potentiel de croissance. » (Véronique Louwagie, députée, le 10 février 2016).



Les adaptations des structures de l’économie française aux nécessités de l’époque sont toujours très longues à se mettre en place. Il faut donc saluer l’occasion de rénover des règles très anciennes concernant la structure des sociétés anonymes. Les SA (comme on les appelle) sont les entreprises qui ont adopté la structure la plus lourde (nécessité d’un commissaire aux comptes pour approuver le compte de résultat et le bilan annuel, etc.) mais aussi la plus rassurante et la plus protectrice pour d’éventuels investisseurs, en particulier les actionnaires du grand public lorsque la société est cotée.


Le contenu de la réforme

Quelle est la réforme ? Réduire de sept à deux le nombre minimal d’actionnaires pour les sociétés anonymes non cotées.

Cette modification n’est pas anodine. Jusqu’à maintenant et depuis le loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales (reprise par la loi n°66-537 du 24 juillet 1966 et codifiée à l’article L. 225-1 du code du commerce), l’obligation d’avoir sept actionnaires rendait parfois nécessaire de mettre dans la boucle des personnes qui étaient complètement étrangères à l’entreprise, en particulier des membres de la famille, des conjoints, des amis.

Or, dans le cas de divorces ou séparations, ou de décès, l’entreprise pouvait se retrouver avec un avenir très incertain en raison du comportement d’actionnaires qui n’iraient pas forcément dans le sens de l’intérêt de l’entreprise (un conjoint qui veut revendre les actions après un décès, etc.). De plus, surtout en démarrage d’entreprise, un grand nombre d’actionnaires peut handicaper la gouvernance de l’entreprise ou même empêcher toute décision d’être prise.

L’abaissement du nombre minimal d’actionnaires à deux permet ainsi de n’impliquer formellement que les vrais entrepreneurs, en évitant d’inclure des "prête-nom" aux conséquences parfois fâcheuses. Comme l’a exposé le compte rendu du conseil des ministres du 2 décembre 2015 : « Cette mesure favorise l’attractivité des sociétés anonymes, notamment pour les petites et moyennes entreprises et les structures familiales en évitant le recours à l’actionnariat de complaisance, et contribue à accroître la compétitivité de la France qui restait le seul pays d’Europe à avoir maintenu la règle des sept actionnaires. ».

La réforme étend cette disposition aux sociétés d’exercice libéral à forme anonyme (apport des sénateurs), et précise pour les sociétés à capital public que l’État peut être l’unique actionnaire. Les sénateurs ont en effet rétabli l’article 32 de l’ordonnance n°2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique qui avait été abrogé par l’ordonnance n°2015-1127 du 10 septembre 2015 : « Cet article permet en effet à l’État d’être actionnaire unique des sociétés qu’il détient, par dérogation aux seuils minima d’actionnaires en vigueur. » (Jean-Michel Clément).

C’est déjà le cas, mais à titre exceptionnel (après vote d’une loi), pour des sociétés de l’audiovisuel public comme Radio France ou France Télévisions qui sont des sociétés anonymes à un seul actionnaire, l’État.


La méthode de la réforme

Le gouvernement de Manuel Valls a voulu aller vite en besogne pour ce genre de réforme qui, rappelons-le, ne rencontre aucune opposition politique et encore moins économique.

L’article 23 de la loi n°2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises a autorisé, dans les conditions prévues de l’article 38 de la Constitution, le gouvernement « à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de diminuer le nombre minimal d’actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées et d’adapter en conséquence les règles d’administration, de fonctionnement et de contrôle de ces sociétés, sans remettre en cause les compétences et les règles de composition, d’organisation et de fonctionnement de leurs organes. ».

Cela a abouti in extremis (l’autorisation à légiférer par ordonnances ne durait que neuf mois) notamment à l’article 1 de l’ordonnance n°2015-1127 du 10 septembre 2015 portant réduction du nombre minimal d’actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées qui prévoit d’inclure dans l’article L. 225-1 du code du commerce un alinéa qui indique que la société anonyme « est constituée entre deux associés ou plus. Toutefois, pour les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, le nombre des associés ne peut être inférieur à sept. ».

En première lecture le 28 janvier 2016, les sénateurs ont adopté unanimement le projet de loi ratifiant cette ordonnance (texte n°77). Les députés ont, eux aussi unanimement, adopté le texte le 10 février 2016 en première lecture (texte n°680), mais avec quelques modifications de forme (des corrections de dates nécessaires d’un point de vue juridique), si bien qu’un passage en seconde lecture est indispensable au Sénat (qui a été saisi de ce projet modifié le 16 février 2016).

Ces discussions parlementaires ont été faites en procédure accélérée (on peut noter par exemple que la discussion complète en première lecture pendant la séance publique au Sénat a duré seulement trente-sept minutes, je n’ai pas l’équivalent pour l’Assemblée Nationale mais c’est du même ordre).

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À l’origine, cette disposition provient du "choc de simplification en faveur des entreprise" annoncé par François Hollande le 28 mars 2013. Selon le député Jean-Michel Clément, rapporteur du texte, « 56% des 320 mesures annoncées touchant à la vie des entreprises sont devenues effectives ». Une cinquantaine de ces mesures proviennent des propositions du Conseil de la simplification pour les entreprises présentées le 14 avril 2014.

Pour ce genre de réforme, légiférer le plus vite possible me paraît pertinent d’autant plus qu’elle est consensuelle et ne peut qu’apporter de la souplesse et de la simplification à la constitution de nouvelles sociétés anonymes. En 2014, sur 550 700 entreprises créées, seulement une centaine de sociétés anonymes a été immatriculée contre plus de neuf mille sociétés par action simplifiées (SAS).

Néanmoins, on pourrait émettre cette réserve de principe sur le fait que vouloir légiférer par ordonnance en 2015 (pour des raisons de rapidité) se comprend mal puisqu’en François Hollande a débuté son quinquennat en mai 2012, soit trois ans auparavant. S’il avait décidé de réformer (enfin) l’économie française dès le début de son mandat, la procédure par ordonnances aurait été largement inutile.

Décréter une urgence économique ou sociale à la fin de son mandat, c’est assurément prendre les citoyens pour des demeurés, puisque les problèmes économiques n’ont pas fait irruption aussi soudainement que les terroristes des attentats de 2015 : le chômage est une grave maladie que la France connaît depuis le début des années 1980…


Quelques citations du débat au Palais-Bourbon

La personne qui, à l’époque (elle a changé d’attributions), était chargée du dossier au gouvernement, Clotilde Valter, Secrétaire d’État chargée de la Réforme de l’État et de la simplification, a expliqué le 10 février 2016 : « Cette règle [des sept actionnaires] est (…) contestée depuis longtemps, car elle ne repose sur aucune justification économique ou juridique et se trouve en outre en décalage avec la pratique, notamment, des entreprises familiales, ce qui se traduit dans certains cas par le recours à des actionnaires de complaisance. Le premier objectif de l’ordonnance est donc de renforcer l’attractivité de la société anonyme qui, en raison de la stabilité et de la prévisibilité de ses règles de fonctionnement, assure une meilleure protection des associés. Le deuxième est de nous rapprocher du droit et de la règle en vigueur dans les pays européens voisins. ».

Jean-Michel Clément, le rapport du projet de loi, a insisté sur l’actionnariat de complaisance : « Ce seuil [des sept actionnaires] (…) a favorisé le développement de pratiques d’évitement, dont le recours à des actionnaires de complaisance. Ces pratiques ont pu générer, ou génèrent encore, bien des difficultés quant au sort de ces actions détenues par des associés qui en ont parfois même oublié l’existence. L’expérience nous enseigne que de nombreux problèmes apparaissent lors de la cession de l’entreprise ou lorsque celle-ci doit recapitaliser, par exemple en cas de difficultés économiques. (…) Le droit des sociétés n’est pas compatible avec des situations de façade. » (10 février 2016).

Le député Joël Giraud a rappelé l’intérêt du statut de SA : « Le régime de la société anonyme présente des avantages en ce que les actionnaires ne sont pas responsables de l’ensemble, ni solidaires des dettes de la société. Ils n’engagent en effet leur responsabilité sur les dettes qu’à due concurrence de leur apport : ainsi, le patrimoine des associés de la société anonyme ne répond pas des dettes sociales. De plus, l’adhésion à la société anonyme se fait par voie de souscription et les dirigeants peuvent bénéficier du statut de salariés sur le plus fiscal et social, plus protecteur. » (10 février 2016).

La députée Véronique Louwagie a proposé, quant à elle, de nouvelles pistes de simplification : « La véritable réforme consisterait plutôt dans la mise en place d’un régime globalement simplifié pour les petites sociétés non cotées. Au-delà de la simplification pour les seules sociétés anonymes, nous appelons le gouvernement à engager une démarche bien plus vaste en matière de simplification du droit des sociétés cotées ou non. (…) D’autres mesures pourraient être aisément prises afin de supprimer des contraintes juridiques coûteuses et par ailleurs de faible utilité. C’est le cas lorsqu’une société doit recourir à un commissaire aux avantages particuliers quand celle-ci émet des actions préférentielles. Notre droit des sociétés doit être aménagé afin que les événements juridiques, qui sont autant de contraintes pour nos sociétés, pèsent encore moins en terme de coûts sur la vie de l’entreprise. Il s’agit non seulement de coûts financiers, mais aussi de coûts administratifs qui, en termes de moyens humains, ont des conséquences financières pour les entreprises. Une autre piste consisterait à associer les salariés, en leur permettant d’entrer au capital de leur entreprise via l’intéressement au capital et ce, avec des formalités qui pourraient être facilitées. » (10 février 2016).

Le député Philippe Gomes a même évoqué le coût de la complexité pour les entreprises : « Il est de notre devoir d’alléger le fardeau administratif qui pèse sur toutes les formes d’activité en France. (…) Les dirigeants de TPE et de PME consacrent ainsi en moyenne un tiers de leur temps de travail à la gestion des tâches administratives, au lieu de mettre ce temps et cette énergie à développer l’activité de leur entreprise. L’OCDE a évalué à 60 millions d’euros (…) le coût de la complexité administrative pour les entreprises, ce qui, d’après le Forum économique mondial, place la France au cent trentième rang sur 148 pays en matière de poids des normes. Les normes inutiles forment aujourd’hui un carcan, mis en place année après année par les uns et les autres, qui enserre notre appareil productif et condamne notre pays à la morosité économique. (…) Le choc de simplification annoncé par François Hollande le 14 mai 2013 par le Président de la République ne s’est pas pleinement matérialisé pour nos entreprises. Certes, nous sommes sur le chemin mais nous nous hâtons lentement. Cette ordonnance en est une illustration. » (10 février 2016).

Enfin, le député Jean Lassalle a parlé de son expérience personnelle : « Pourquoi sept actionnaires alors qu’un couple peut très bien y arriver ? Combien de fois ne l’avons-nous pas vérifié ? À sept, il suffit que votre belle-sœur divorce, que votre sœur épouse le patron de votre concurrent et vous voyez dans quelle situation l’entreprise se trouve soudain plongée ! Lorsque j’ai créé mon entreprise (…), j’ai pris un cousin pour associé. Je suis allé vivre chez lui pendant trois mois afin de mieux faire connaissance avec sa femme et comprendre comment elle se comporterait le joue où notre affaire marcherait. Tant que les choses ne marchent pas, en effet, l’enjeu est nul et on fait preuve de courage mais si un jour l’entreprise vient à gagner un peu d’argent, (…) il n’est pas possible d’empêcher la belle-sœur de considérer que l’autre est mieux habillée ou que le beau-frère dispose d’un meilleur statut, etc. (…) En ce qui me concerne, j’avais donc voulu m’assurer que l’épouse de mon cousin serait capable de comprendre tout cela et elle l’a bien compris puisque nous sommes restés finalement ensemble PDG de l’entreprise pendant trente-trois ans. » (10 février 2016).


Consensus parlementaire très limité…

Il est heureux que les parlementaires de tous les groupes politiques se soient mis d’accord pour révolutionner, car il s’agit quand même d’une petite révolution (la loi datait de 1867, il a 150 ans, presque !), la structure minimale d’une société anonyme avec l’objectif de favoriser l’activité économique en France et donc, l’emploi.

Il semble en revanche que la réforme du code du travail, lui aussi beaucoup trop complexe, pour libérer les énergies, ne démarre pas sur la même base de consensus de politique…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 février 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les sociétés anonymes.
L’investissement productif en France.
Une chef d’entreprise…
Le chômage.
La France est-elle un pays libéral ?
Le secteur de l’énergie.

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2 réactions à cet article    



    • Doume65 27 février 2016 17:16

      « Néanmoins, on pourrait émettre cette réserve de principe sur le fait que vouloir légiférer par ordonnance en 2015 (pour des raisons de rapidité) se comprend mal puisqu’en François Hollande a débuté son quinquennat en mai 2012, soit trois ans auparavant. »

      J’ai du mal à comprendre cette charge. Vous dites vous-même que la loi a 150 ans. Ce qui fait que certes, Hollande a mis trois ans à s’apercevoir de l’absurdité de la contrainte, mais ces prédécesseurs ne s’en sont même pas rendu compte durant tout leur mandat. A partir du moment où il a été conseillé pour modifier cette règle et qu’il a été convaincu de cette nécessité. Pourquoi alors lui reprocher de vouloir aller vite, d’autant plus que tout le monde est d’accord, affirmez-vous ?

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