TVA sociale (ou anti délocalisation) : pour ou contre ?
En vue de lutter contre les délocalisations tout en envisageant d’autres formes de financement de la protection sociale, La TVA sociale revient sur la scène des débats politiques, prônée par des économistes (voir l’article de Bernard Meheut dans Les Echos, et par des personnalités politiques : certaines à droite (mesure défendue par Alain Juppé et Jean-Louis Boorlo et récemment par Jean-François Copé la rebaptise TVA anti-délocalisation même si Xavier Bertrand s’en moque et Jean-Pierre Raffarin ne l’approuve pas,), certaines au centre (Jean Arthuis en est un ardent défenseur, Hervé Morin la soutient aussi) et certaines aussi à gauche (Manuel Valls et Jean-Marie Le Guen bien que le PS se soit déclaré défavorable lors de l’élection présidentielle 2007). François Bayrou quant à lui reste réservé sur cette proposition (bien que certains élus du MoDem soient pour, comme Jean-Jacques Jégou, sénateur vice-président de la Commission des finance du Sénat), jugeant l’idée intéressante mais comportant des risques d’effets secondaires, notamment d’impact sur le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes.
En quoi consiste la « TVA sociale » ou « TVA anti-délocalisation » ?
Le mécanisme de "TVA sociale" consiste à basculer une partie du financement de la Sécurité sociale des entreprises vers les ménages via une baisse des cotisations patronales et une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ne faisant ainsi plus peser tout le financement de notre protection sociale sur les travailleurs (certes … mais en revanche sur les consommateurs !). L’astuce consiste à neutraliser l’effet de hausse de TVA sur le consommateur par une baisse équivalente du prix HT, rendue possible par la baisse du coût salarial que l’entreprise devra répercuter sur le prix de vente. CQFD.
Ainsi, au final, rien de change pour le consommateur qui achète un produit français, alors que la hausse de TVA, s’appliquant aussi aux biens et services importés, renchérit le prix des importations. Ce qui revient au même qu’une dévaluation monétaire compétitive, même entre pays de la zone euro, permettant de renforcer la compétitivité de nos entreprises à la fois sur le marché national face aux concurrents étrangers et sur les marchés internationaux à l’exportation puisque, exprimé en hors taxe, le prix de l’exportateur français serait réduit du gain en charges sociales. L’idée semble au premier abord séduisante.
Il est vrai que les cotisations patronales grèvent plus les coûts des entreprises en France que dans d’autres pays de l’Union européenne. Mais ce n’est pas forcément un bon argument, car ceux qui chargent plus la part salariale des cotisations compensent peut-être en salaire, ce qui revient au même au final en coût pour l’entreprise. De plus, il faut regarder le niveau des prestations face aux cotisations. Une protection sociale moins forte peut se traduire aussi par la nécessité de souscrire des assurances privées et un niveau de salaire plus fort pour y parvenir.

Serait-elle vraiment efficace ?
La théorie repose sur une répercussion totale de la baisse des charges sociales par l’entreprise sur le prix de ses biens et services vendus. Par exemple si les salaires représentent 50% du chiffre d’affaire (CA) de l’entreprise, dont les charges patronales comptant pour environ 50% du salaire net pour simplifier (environ 43% sur un salaire moyen,voir ici le détail), soit 33,3% du brut donc 16,6% du CA, une baisse de charges patronales de 20 points (20 sur 50) reviendrait ici à passer les charges à 23,1% du salaire brut (-10,2%) représentant 5,1% du CA, ce qui autoriserait une baisse du prix HT de 5,1% et donc une hausse équivalente de la TVA (passant de 19,6% à 24,7%).
Le problème étant que toutes les entreprises n’ont pas la même proportion de salaires dans leur coût de production ou chiffre d’affaire. Si le taux de TVA est en revanche lui uniforme, ceci signifie que même si les entreprises jouent le jeu en répercutant à 100% sur leur prix de vente HT la baisse de charges, il y aura quand même une hausse de prix TTC sur les biens dont la part des salaires est inférieure à la moyenne et au contraire une baisse sur les biens donc la production est fortement consommatrice en main d’œuvre. Or, les biens purement alimentaires produits en France ou à forte composante matérielle, sont dans ce cas. Ce ne serait pas neutre pour le consommateur, selon ce qu’il consomme !
On peut aussi douter de cette répercussion en pratique, surtout de la part d’entreprises qui ont besoin de reconstituer leurs marges. La baisse de TVA sur la restauration, pourtant très importante (de 19,6% à 5 ,5%) n’a eu finalement que très peu d’effet sur la baisse des prix pour le consommateur …
La TVA sociale n’est-elle pas paradoxalement « antisociale » ?
C’est un reproche qui a été opposé par les partis de gauche, dont le PS, justifié du point de vue de l’impact sur le pouvoir d’achat des catégories les moins favorisées. Une hausse des prix, ne serait-ce que sur les biens et services importés, touche davantage les ménages les plus pauvres qui consacrent une partie plus importante de leurs revenus à la consommation. Or les importations touchent 54% de la consommation des biens manufacturés (étude Insee 2005). Une grande part de l’alimentation est aussi importée, directement ou indirectement au travers de biens produits en France utilisant des denrées importées. Sur une hypothèse d’un salaire de 1000 euro, dont 30% de dépenses sont touchées à 50% par des importations subissant une surtaxe de 5%, on arrive à 7,5 euros mensuel.
La TVA est un impôt indirect, frappant à même proportion un bien acheté quel que soit le niveau de revenu du consommateur, contrairement à l’impôt direct, comme l’impôt sur le revenu ou la CSG, qui est assis sur un barème progressif. La mise en place d’une TVA sociale pourrait, sur la partie des biens importés, avoir un impact non négligeable sur le pouvoir d’achat des classes moyennes et notamment des plus défavorisées. Pour en faire une étude d’impact, il faudrait tenir compte de la structure de consommation des ménages et de la part des produits importés dans leur consommation, en plus de la part des biens produits en France selon que leur production est fortement consommatrice en main d’œuvre, comme vu précédemment …
On peut alors légitimement se demander si pour ne pas léser les catégories sociales modestes, il ne faudrait pas prévoir une compensation sous forme de crédit d’impôt (y compris et même en particulier pour ceux non assujettis à l’impôt sur le revenu). Mais cela rend la mise en pratique plus complexe.
D’autres pays l’ont fait … mais quelle marge de manœuvre autorise d’Union européenne ?
L’Allemagne l’a fait en 2007, faisant passet le taux de TVA de 16 % à 19 % pour financer une partie de la protection sociale (la TVA sur les produits alimentaires n’étant, elle, pas modifiée).
Entre 1987 et 1989, le Danemark, qui dispose d’un niveau élevé de protection sociale, avait abaissé les cotisations sociales des employeurs de 50 % à 30 % en finançant la mesure par une hausse de 3 points du taux de TVA, porté à 25 %.
Les pays européens n’ont plus la maîtrise de leur taux de TVA depuis la directive TVA. , la logique est celle d’une harmonisation fiscale européenne. L’Union européenne est attentive à contenir le taux de TVA dans un spectre assez étroit pour ne pas en faire un instrument de concurrence déloyale au sein de l’Europe. Le taux de TVA se situe en UE entre 15 et 25%, avec une majorité de pays au niveau de 19 ou 20%. L’Allemagne a donc rejoint cette majorité des pays dont le taux est à 19 ou 20%, ce qui explique sans doute qu’elle ait été autorisée à augmenter son taux à 19%. En revanche, la Commission européenne opposera certainement une forte résistance à accepter un taux de 24% pour la France …

Poser le problème plus globalement et dans une logique de concurrence loyale et solidaire : proposer une taxe sociale et environnementale solidaire aux frontières de l’Europe
Il faut viser l’harmonisation européenne en matière fiscale et aussi en matière de protection sociale. Pour éviter une concurrence déloyale intra européenne induite par des taux de TVA différents, il est néanmoins possible d’envisager au niveau européen une TVA sociale européenne, c’est-à-dire une augmentation de TVA qui soit la même pour tous les pays de l’UE, compensée par une baisse de prix HT, ayant pour effet de ne renchérir que les biens et services importés de pays hors zone UE.
Mais les arguments de réserve que j’ai exposé, notamment l’impact négatif sur le pouvoir d’achat des classes moyennes et modestes, demeurent. De plus, l’OMC pourrait s’opposer à une telle mesure, en la jugeant anticoncurrentielle. Elle pourrait être légitimée dans le cas de pays pratiquant le dumping social et environnemental mais pas dans les autres qui respectent les normes de protection.
La véritable concurrence déloyale est celle des pays émergents à faible coût de main d’oeuvre, qui peuvent pratiquer des bas salaires sans contrainte de protection sociale et environnementale. Pour éviter une concurrence déloyale intra européenne induite par des taux de TVA différents, tout en taxant la concurrence déloyale pratiquée par des pays hors de l’UE, il faut donc viser une TVA européenne qui soit la même pour tous les pays de l’UE, et un complément de TVA touchant les produits et services venant des pays émergents, de la Chine notamment, s’il est démontré que le pays n’a pas respecté des normes sociales et environnementales. Mais cela rejoint alors l’idée de surtaxer aux frontières de l’Europe les biens fabriqués à bas coût car sans protection sociale ni environnementale. Si on veut justifier devant l’OMC d’une telle surtaxe, celle-ci devrait alors être basée sur une évaluation de ce que chaque pays importateur aurait dû appliquer s’il avait donner la protection nécessaire à son peuple et à l’environnement, basé sur une norme qui bien évidemment dépend de chaque pays, de son niveau de vie, donc ne peut être une taxe identique pour tous. Appliquer une taxe finançant la protection sociale sur base du coût européen aux pays émergents ne serait pas loyal pour eux. De plus, si on justifie l’application d’une taxe aux frontières aux produits et services importés de ces pays par l’insuffisance de protection sociale chez eux (cela vaut aussi pour les centres d’appel, les prestations informatiques, ...), il serait logique de verser en retour le montant de la taxe à un fonds qui devrait servir à protéger les citoyens de ces pays, ce qui ne financerait plus du coup notre propre protection sociale, ...
Autant je comprends la justification aux frontières de l’Europe d’une taxe sociale et environnementale "anti concurrence déloyale" appliquée aux pays qui ne respectent pas la protection sociale et environnementale et peuvent ainsi vendre leurs produits à bas prix, cette taxe pouvant alimenter un fonds de solidarité sociale et environnementale qui serait d’ailleurs reversée aux pays en question, autant je trouve malsaine l’idée de transférer ainsi une charge sociale nationale sur une TVA équivalant finalement à une surtaxe douanière sur ces pays.
Cette idée est dans la droite ligne des thèses de Maurice Allais sur la mondialisation. Il a développé des idées simples, évidentes, claires, argumentées, équilibrées et constructives, sur la manière de réguler le libre-échange dans la mondialisation par une organisation de régions homogènes dans le monde, qui admette une forme "légitime protection" (un protectionnisme raisonné et raisonnable) entre ces régions, qui préserve un seuil de consommation intra-communautaire assurée par la production communautaire (d’autosuffisance) qui pourrait se situer en moyenne à 80%, au sein de chaque région. Cela vaut pour l’Europe comme pour l’Afrique.
Marielle de Sarnez, députée européenne et vice-présidente du Mouvement Démocrate, a défendu ces positions lors de plusieurs interventions au Parlement européen, notamment celle-ci le 8 octobre dernier à propos de la Chine.
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