Chronique d’Avalon 1
Education et pleine présence était le thème d'un colloque très riche de cette fin d'été. De nouvelles perspectives s'ouvrent sous nos yeux.

23 pages de notes sur la table. Deux jours que je suis rentré de cet îlot joyeux niché dans la montagne de Belledonne, l’éco-site d’Avalon en Savoie où, avec Edgar Morin, Patrick Viveret, Denis Rinpoché et beaucoup d’autres, la réflexion sur notre avenir commun à tous a fait un petit pas de plus. C’était le colloque international « Humanisme et Mindfulness, une éducation pour le XXI siècle », il s’est déroulé les 11, 12 et 13 septembre 2015.
Une démarche profonde et laïque
L’espace où nous nous trouvons est magnifique et apaisant. Nous sommes plus de 300 de France, Belgique, Angleterre, Espagne, Pays Bas... Autour de nous, ce n’est que paysage montagnard et forêt. Il y a fort à parier qu’on y pratiquait déjà la contemplation avant la construction de la chartreuse de Saint Hugon en 1173. Ce qui est formidable, c’est qu’on y médite toujours. En 1979, des moines tibétains en exil y trouvent refuge et y réalisent un travail incroyable de reconstruction de l’ancienne abbaye qui en a vu pas mal depuis la révolution, la voilà aux couleurs du bouddhisme. Le site accueille aujourd’hui des sessions sur l’apprentissage de la pleine conscience et des évènements sur les thèmes de l’écologie et de la spiritualité comme celui de ce week-end. Comme l’a dit le maire d’Arvillard en clôture, l’institut Karma Ling participe à la vie économique du pays et tous s’en félicitent. Le conseiller départemental était là aussi et semble se retrouver tout à fait dans cette démarche à la fois profonde et laïque. Les élus sont fiers de cette belle réalisation, l’intégration est visiblement une pleine réussite.
Des éducateurs à l’environnement sont là
49 intervenants, dont beaucoup de chercheurs et d’universitaires. Les spécialistes des neuros sciences sont foule, mais il y a aussi des philosophes, des enseignants et même des cadres de l’Education nationale, une économiste, des médecins, des psychologues, des psychiatres, des psychanalystes, des coachs, des agronomes, des paysagistes, des acteurs sociaux, des artistes… Il y a aussi quelques éducateurs à l’environnement. Pierre Baudoin de la FRAPNA et FNE est venu en voisin, Evelyne Reinhart, Jean-Paul Biessy, Christel Delamézière… sont là. Ce moment d’échange et de réflexion bénéficie du parrainage de Pierre Rabhi et d’Edgar Morin. Pierre Rabhi n’est pas là mais il a envoyé un message. Il nous invite à renoncer à la compétitivité dans l’éducation, il dit que le rapport à la nature est nécessaire, souligne l’enthousiasme d’apprendre et dénonce l’angoisse de l’échec. A ce propos, c’est assez dramatique, c’est un trait de caractère des petits français, ils préfèrent ne pas essayer plutôt que de prendre le risque d’échouer, on le reverra plus loin.
La reconnaissance au centre
Dans sa brève introduction, Denis Rinpoché nous dit que l’échec des idéologies ouvre une voie médiane à - l’humanisme - et qu’Edgar Morin est le symbole de l’humanisme d’occident. C’est une transformation de soi qui transforme le monde. Une éducation qui ne soit pas uniquement mentale, conceptuelle. « Nous espérons une éducation émotionnelle, sensitive et transformante ». Edgar Morin relève tout de suite, en entamant son propos, qu’une ambiguïté se cache dans le mot « humanisme ». Il y a celui qui fait de l’être humain un être isolé de la nature et supérieur à elle. Cet humanisme souverain du monde a des racines très fortes en occident. Dans la bible, l’homme est à l’image de Dieu. Descartes a donné à la science le projet de faire de l’homme le maitre et possesseur de la nature. « Cet humanisme-là, il faut le rejeter ». Je colle aux mots des intervenants avec le plus de précision possible, mais ne peux dans cette chronique donner qu’un aperçu des choses*. Edgar Morin continue. Il y a l’autre humanisme fondé sur la reconnaissance, le besoin de chaque être humain d’être reconnu. Les colonisés, les exploités, les femmes… ne peuvent pas toujours jouir de cette reconnaissance. « L’humanisme doit mettre cette reconnaissance au centre ».
Vivre poétiquement, c’est la grande finalité
Qu’est-ce que l’humain ? Dans aucune classe on ne l’enseigne. L’humain est fait de trois éléments : un individu, une part de la société humaine, une part de l’espèce humaine. « Nous sommes des producteurs et des produits de l’espèce humaine ». La raison de l’homo sapiens, la folie dans cette idée mégalomane : nous allons conquérir le monde. En lui (en l’Homme) il y a des possibilités inouïes ! Nous, esclaves de croyances, esclaves du prosaïque… « vivre poétiquement c’est la grande finalité ». Le mot – sujet- ça veut dire « moi je », je m’affirme et je me mets au centre de mon monde et du monde. Heureusement, il y a un autre aspect de nous, le besoin de nous. « L’épanouissement de l’être humain c’est l’épanouissement du je dans le nous ». Penser la complexité. Les contradictions sont présentes. « Nos systèmes d’éducation donnent des connaissances séparées qui nous livrent à une nouvelle ignorance ». Il faut relier les connaissances.
« Nous allons vers la catastrophe »
L’humanisme prend un sens planétaire. « Je reconnais en tout homme mon compatriote » disait Montaigne. Dire que le barbare est ailleurs nous permet d’ignorer notre propre barbarie. Sagesse du confucianisme. La bienveillance – care - le souci d’autrui. Sagesse du bouddhisme, compassion, impermanence, lutte contre l’illusion… Edgar Morin parle ensuite du lien entre transformation intérieure et transformation sociale. Il dénonce le « processus d’occidentalisation à marche forcée sous le mot développement », tout en reconnaissant ses vertus. Mais « le calcul a trop d’importance ». Sondage, PIB, taux de croissance… cela nous empêche de voir ce que sont les êtres humains. Règne du calcul, du profit, de l’anonyme. Les carences s’accroissent et transforment beaucoup de pauvreté en misère. Le monde occidental introduit de nouvelles tyrannies… l’argent. Cette course folle nous amène à la catastrophe, armes nucléaires, cyberguerre, drones… « Nous allons vers la catastrophe ».
Une nouvelle civilisation veut naître
Il importe de changer de voie et de changer de sens. Une nouvelle civilisation veut naître, elle apparaît dans des îlots de fraternité et d’amitié. Une convivialité qui veut vivre partout. Il faut créer un vaste mouvement qui soit infra-politique venant de la société civile et supra-politique en s’occupant des grands problèmes. Nous sommes appelés à changer de voie dans tous les sens. Aujourd’hui, être humaniste c’est sentir que chacun de nous est un instant fugitif, nous sommes des moments. Nous faisons partie de ce tout à l’aube d’une culture nouvelle.
A suivre
RG
* Ce qui est bien c’est que toutes les interventions ont été filmées et que bientôt nous pourrons tous avoir accès à tout ce qui a été vécu par l’image. En plus, suite à ce colloque très riche, doit paraître un livre.
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