Europe : tout faire pour ne pas en parler
A trois semaines des élections européennes personne ou presque n’en parle. Et lorsque on le fait, c’est, la plus part du temps pour ne parler que de soi. Tandis que les frontières sont de type Schengen, c’est à dire « ouvertes à la libre circulation des biens et des personnes » on dirait que la pensée, les habitudes, les débats s’enferment dans des coquilles nationales - voir locales -, que la presse oublie que des centaines de millions d’européens sont appelés aux urnes, qu’on élit un parlement qui a des prérogatives non négligeables (comme mettre son véto à la nomination des commissaires ou voter le budget), que des choix y seront faits et qui nous concernent, qu’une crise financière mondiale est passée par là et que, tout compte fait, les députés européens trancheront dans les années à venir sur beaucoup plus de sujets que les parlements nationaux qui ne sont désormais que des caisses enregistreuses pour plus de quatre vingt pour cent de lois à venir.
Tout cela est connu me direz vous, et bien connu. Or, on envoie à Strasbourg ce que l’on n’en veux pas chez soi, mais on s’étripe pour une place de député. Pourquoi donc ? Est-ce la fonction, désuète mais toujours bien payée et ouvrant des sésames pour soi ? Est-ce la force de l’habitude ? Est-ce le fait justement que personne ne veut accepter le fait marginal de sa fonction ? Qu’il veut toujours faire croire que les parlements nationaux sont le centre du monde ?
Toujours est-il que d’Athènes à Varsovie, de Paris à Rome, la campagne européenne ne parle que de non - sujets.
Tandis que tout le monde ou presque critique l’Europe des technocrates, des commissaires irresponsables, de faire passer des politiques en catimini, (même ceux qui se servent de ce levier pour faire adopter ailleurs ce qu’ils trouvent électoralement problématique chez soi), les europhobes, les eurosceptiques, les euronaifs, les europragmatiques, les eurofanatiques (s’il en reste) tous, oublient que des groupes vont se former à Strasbourg, des alliances vont se constituer, des majorités vont se dégager.
Ces majorités vont décider de notre sort au même titre que les Commissaires et le Conseil, c’est à dire nos leaders nationaux.
Cela se fera au sein d’une institution gigantesque, possédant des moyens que nous lui avons concédé, que des représentations permanentes (ambassades) gèrent une politique étrangère toujours pas déclarée et officialisée avec des moyens importants, que la politique industrielle, agricole, commerciale, à venir, y seront décidés, tout comme des grands travaux, des axes de circulation, une politique énergétique, de sécurité, régionale et périphérique avanceront et trancheront, toujours au dépit de nos parlements nationaux et de nous mêmes.
Bref, les choses vont continuer comme avant, en dépit de toute logique citoyenne. En effet, dans toute structure démocratique, et celle de l’Union est une des plus imparfaites, il existe toutefois des temps d’action et de temps de contrôle. Ce dernier, par un « désintérêt organisé » tend à disparaître au lieu de se renforcer.
Dans tout mécanisme de gouvernance contrôlé, on est sensé porter une appréciation et l’approuver ou le sanctionner. Or, on est toujours en train de parler d’idées (une Europe forte, démocratique, citoyenne, des Nations, écologique, respectueuse, sans ou avec frontières et j’en passe) tandis qu’il s’agit, lors de ces élections de répondre aux questions classiques : la législature précédente était bonne et efficace ? La Commission a répondu à nos désirs et nos besoins ? Le conseil a-t-il fait les bons choix ? Que voulons nous changer ? Qu’est-ce qui marche ? Existe-t-il des partis à dimension européenne qui peuvent agir selon nos intérêts, etc…
Certes, l’Europe a été en premier lieu une idée et un projet de coopération économique (acier, agriculture, atome, etc) mais depuis longtemps elle est surtout « un appareil d’Etat », un gestionnaire, un « agissant » et qui touche tous les aspects de notre vie quotidienne. Pourquoi donc se désintéresser de sa gestion, des moyens de sanction, d’un changement de sa politique concrète ? Ou pensons nous, à l’américaine, que les seuls moyens d’agir c’est de multiplier à l’infini des boites de lobbyistes, d’intermédiaires, de pression ?
Le vide sidéral et éparpillé des programmes des partis, indique sans doute qu’après le naufrage constitutionnel, on préfère faire son trou et agir en catimini tout comme ceux que l’on critique. Qu’on abandonne la politique européenne à nos présidents, via le Conseil. Qu’on préfère « influencer l’opinion des décideurs » qui, suspendus dans un non-lieu décisionnel, sont libérés des pressions citoyennes.
Est-ce ce que nous voulons ?
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