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Allemagne de cocagne

Le 'modèle' allemand est une figure rhétorique qui agrémente bien des discours creux. Rappel.

Dans son édition de dimanche (20 novembre 2011), le plus gros tirage de la presse française a consacré une page entière à Jean-Louis Thiériot un l'un des co-auteurs du livre "France-Allemagne, l'heure de vérité" sorti chez Tallandier. Son comparse Bernard de Montferrand, ambassadeur à la retraite coule des jours heureux loin des journalistes d'Ouest-France. Seul Jean-Louis Thériot apparaît en effet dans l'entretien

Après avoir terminé sa carrière de diplomate à Berlin, Bernard de Montferrand gère depuis l'automne 2010 un organisme public à l'objectif ambitieux. Platform réunit les Fonds Régionaux d'Art Contemporain. Le site Internet précise que l'ex-ambassadeur préside le Frac Aquitaine. Le haut fonctionnaire dispose donc comme on peut le voir de toutes les qualités pour jauger de la compétitivité de la France et de l'Allemagne.

Pourquoi la France a décroché de l'Allemagne est le titre choisi par Ouest-France. Il y a là un clin d'oeil à la presse nationale qui a multiplié ces derniers temps les dossiers sur le même thème. En janvier 2011, le Point pose la question avec un point d'interrogation final : Pourquoi la France a décroché de l'Allemagne ? Le prétexte en est une étude commandée par le gouvernement à un 'cabinet d'analyse économique' (source). Le marché du travail sclérosé et les trente-cinq heures ont manifestement servi d'idées maîtresses. Celles-ci ont conditionné la démonstration. Le ministre de l'Industre, Eric Besson, a pu ensuite communiquer ses recommandations en s'appuyant sur la parole d'experts. Tout cela pour en arriver à un lieu commun : la compétitivité, c'est bien. Mais l'Allemagne, c'est mieux.

L'interviewé de Ouest-France - 'avocat et historien' si j'en crois sa notice bibliographique - ne s'intéresse pas vraiment à la question posée. Les réponses comptent plus que les démonstrations. 'La France a t-elle vraiment décroché par rapport à l'Allemagne  ?' demande Marc Mahuzier (OF). Jean-Louis Thiériot ressort de ses fiches trois arguments successifs : la part des deux pays dans le commerce mondial, leurs balances commerciales et leurs taux de chômage respectifs. Je ne conteste pas les données, mais rejette la comparaison des carottes avec des poireaux ou des pommes de terre.

On pourra lire dans le texte l'auteur (voir au-desssus) pour avoir une idée des lieux communs du moment : "France si loin de l'Allemagne", comme disait Porfirio Diaz du Mexique frontalier des Etats-Unis. Rigueur, goût de l'effort, force industrielle et intelligence des élus : tout ce dont l'Allemagne jouit, nous en manquons. La fierté nationaliste et cocardière a laissé place à une pathologie, une sorte d'auto-dénigrement. Ceux qui n'y succombent pas méritent d'autant plus les remerciements (La Tribune).

J'ai justement archivé un exemplaire de La Croix du 14 novembre (ci-joint). Michel Verrier ose se démarquer du concert habituel. Sous sa plume, l'Allemagne présente un visage douloureux. "Les incapacités de travail qui en résultent ont augmenté de 80 % depuis 1999, selon l'AOK, principale caisse d'assurance-maladie, entraînant des arrêts de travail deux fois plus longs (vingt-trois jours) que la moyenne".

Outre-Rhin, les salariés se plaignent d'une augmentation de leur stress. L'université de Duisbourg confirme quant à elle par une étude de cas la détérioration du moral des Allemands. Les moins de trente ans se montrent quand même plus sereins que leurs aînés. Tandis que la durée du travail a continué de diminuer (trente heures par semaine, trente et un jours de de vacances en moyenne), la productivité a augmenté. En somme, plus on est productif, moins on est heureux ? En Allemagne, "les salaires réels ont régressé ces dix dernières années, sauf pour les emplois du sommet de l'échelle. Plus de 20 % des actifs travaillent pour moins des deux tiers du revenu moyen". Et si les femmes travaillent, elles ne peuvent se reposer sur aucune structure pour la prise en charge de leurs enfants éventuels.

Il ne s'agit pas de nier les spécificités de l'Allemagne. On peut même en rappeler quelques unes. L'Etat ne subventionne pas la politique familiale : il naît moins d'enfants (1,4) qu'en France (2,0). Un vieillissement précoce menace donc l'Allemagne ; mais dans l'immédiat la charge financière pesant sur l'Etat qui doit assurer l'intendance est moindre ['Ne pas confondre Allemande et Albanaise']. L'Allemagne n'a pas d'Outre-mer. L'Etat n'entretient aucune force de dissuasion, ne porte pas à bout de bras une industrie de défense et sa diplomatie colle aux ambitions d'une Allemagne sans place permanente au Conseil de Sécurité de l'Onu.

Faut-il pour autant surestimer ces différences ? Au plan géo-économique, deux arguments me semblent peser beaucoup plus dans la balance : la modération salariale évoquée par le journaliste de La Croix et l'élargissement de l'Union Européenne. Dans les années 2000, l'Allemagne a doublement profité de l'intégration des pays d'Europe centrale et orientale. Ces nouveaux venus ont accueilli des usines sous-traitantes (délocalisation assumée) et acheté des produits allemands... Que les Allemands n'achetaient pas suffisamment (source). L'Allemagne a donc bénéficié de l'abaissement des barrières douanières à sa frontière orientale (sur ce point, voir cette étude de l'IFRI). Mais cette aubaine ne durera pas.

On peut à mon sens s'inquiéter de la situation de l'économie française sans tomber dans le piège du catastrophisme. Il y a des points forts, dans l'agroalimentaire, l'eau ou les services. Les grands groupes industriels présents à l'étranger dépendent moins que les PME allemandes du marché européen. D'autres bénéficient des commandes de l'Etat ou de sa protection, en particulier dans l'automobile ['Une auto, des totaux']. L'innovation française se défend dans plusieurs domaines : l'ingénierie financière, les sciences et techniques, les sciences humaines, etc (source). Envier l'Allemagne fait surtout oublier les prochaines échéances...

L'analyse de conjoncture de l'Insee d'octobre donne quelques pistes de réflexion.

Que devons-nous craindre ? Les rédacteurs répondent en trois points, la faiblesse de la croissance, l'endettement des ménages et l'envolée du prix des matières premières qui rogne les marges du secteur industriel. Qu'y a t-il de typiquement hexagonal ? J'ajouterai un quatrième point, le moins négligeable. L'austérité présente et future provoquera en retour des effets qu'il convient d'examiner attentivement. L'Espagne illustre d'ores et déjà la situation d'un pays dont les collectivités locales peinent à se financer : voir ce reportage sur la ville andalouse de Valverde del Camino.

La France passera par les mêmes difficultés ['Cendres et péripéties'] mais cela vaut également pour l'Allemagne : 'Le paradoxe du Hamburger'. La réduction des dépenses publiques produira les mêmes effets. Mieux vaut s'y préparer, sans faire croire que les gouvernements actuel et prochain auraient les mains libres (source) ; sans s'illusionner sur une Allemagne de cocagne...

PS./ Derniers posts sur l'Allemagne : 'L'opinion publique, au secours' et 'Après l'or du Rhin, l'argent des lacs de Saxe'


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6 réactions à cet article    


  • Richard Schneider Richard Schneider 22 novembre 2011 17:43

    à l’auteur :

    Article intéressant. Je pense y revenir plus longuement. 
    Depuis quelques semaines, le déferlement médiatique concernant la supériorité absolue de l’Allemagne de Merkel est exagéré. Pour qui connait ce pays - dont moi - , pourrait nuancer fortement le tableau idyllique décrit dans les médias français - et aussi par beaucoup d’hommes (femmes) politiques.
    Il manque peut-être dans votre article la description des situations très disparates des Länder. En effet, quel contraste entre le Bade-Wurtemberg et la Sarre, entre la Bavière et la Rhur - sans parler des régions de l’ex-DDR (y compris Berlin).

    • Ronald Thatcher rienafoutiste 22 novembre 2011 18:33

      ah, l’allemagne !
      1,2 million de salariés gagnent moins de 5euro brut de l’heure, et 2,4 million entre 5 et 7,5 euro, du travail forcé dont l’allemagne a l’expérience


      • Richard Schneider Richard Schneider 22 novembre 2011 19:32

        à l’auteur :

        J’étais en train de travailler à un article sur l’Allemagne de Merkel. Comme vous l’avez fait (fort bien) avant moi, je souhaite juste apporter quelques informations complémentaires.
        À propos de l’Allemagne  :

        Régulièrement, Les Dernières Nouvelles d’Alsace publient des articles concernant la situation politique, économique et sociale de nos voisins d’Outre-Rhin.

        Les D.N.A. ont publié le 26/08/2011, un article de DAVID PHILIPPOT, intitulé : En Allemagne « Les inégalités demeurent croissantes ».

        Les pauvres sont de plus en plus pauvres, les riches de plus en plus riches. La première économie du continent ne parvient pas à estomper des inégalités sociales de plus en plus flagrantes.

        Deux chiffres font réfléchir :

         - 660 000 (*) retraités allemands de 65 à 74 ans sont obligés de compléter leurs revenus par des mini-jobs. Le nombre est deux fois plus élevé qu’il y a dix ans, constate l’étude réalisée par le ministère fédéral du Travail.

         - Un enfant allemand sur six vit sous le seuil de pauvreté,

        Le modèle rhénan, dont l’un des piliers repose sur une juste répartition des revenus, est-il en phase d’effritement ? L’Allemagne d’Angela Merckel éprouve des difficultés de plus en plus grandes à masquer la face moins reluisante de son modèle de société, souvent cité en exemple. À tel point que l’éditorialiste de la Frankfurter Allgemeine Zeitung s’est interrogé dans les colonnes de ce journal conservateur :

         « Et si le capitalisme ne servait que les intérêts des plus riches ? ».

        Diverses études tendent à prouver « l’effet ciseau » qui élargit le fossé entre les plus pauvres et les plus riches. Un exemple parmi d’autres : la société de conseil Cap Gemini produit des études annuelles et comparatives sur la richesse nette des plus aisés. Il y a deux fois plus de très riches qu’en France (**) ou en Grande-Bretagne.

        Seuls le Japon et les USA comptent davantage de très riches.

        Aujourd’hui, les 10% des Allemands les plus riches ont des revenus 11 fois supérieurs aux 10% les plus pauvres. Plus éclairant encore : la comparaison des patrimoines révèle que les 10% les plus riches possèdent plus de la moitié des richesses (56%) et les 10% les plus pauvres n’en détiennent que 2%.

        Comme le résume Joachim Möller, directeur de l’institut du marché du travail (DIAB), l’Allemagne est actuellement le pays où les inégalités salariales s’accroissent le plus rapidement.

        Alors l’Allemagne, nouveau pays de cocagne ? Devons-nous à tout prix nous aligner sur le modèle allemand ? Et pour être complet, dans une dizaine d’années la population allemande sera bien plus « vieille » que la française : avec un taux de natalité très bas, il n’y aura pas de renouvellement des génération.

        * 750 000 environ fin octobre

        ** chacun sait aujourd’hui que la France compte le plus grand nombre de millionaires en Europe.

        Une remarque : La disparité entre les Länder est très importante. Le Bade-Wurtembourg et la Bavière sont des régions riches, contrairement à la Sarre, les régions de la Ruhr et surtout celles de l’ex-DDR (y compris Berlin), où le chômage est endémique, les jobs à 5 € nombreux, les retraites très basses, bref ces Länder connaissent précarité et pauvreté.

        Amicalement,

        RS


        • Bruno de Larivière Bruno de Larivière 23 novembre 2011 09:19

          Merci de vos remarques (et de votre lecture). Sur la disparité entre lander - et sans revenir sur le cas d’Hambourg (voir le lien au-dessus) j’ai évoqué il y a quelques années la situation de Berlin : http://geographie.blog.lemonde.fr/2006/10/21/2006_10__berlin_paierad/

          Bonne journée...

          PS./ Je signale au passage que mon post a été repris par le Nouvel-Obs+ http://leplus.nouvelobs.com/contribution/216173 ;crise-arretons-avec-l-eternelle-reference-au-modele-allemand.html


        • Richard Schneider Richard Schneider 23 novembre 2011 19:05

          à Bruno de La Rivière :

          j’ai pris bonne note de vos liens.
          Je suis aussi « monté » sur votre blog : très intéressant. Je compte m’y référer à l’occasion - je manque de base en géo (je suis plutôt historien). Bien aimé votre article sur Hambourg, une région de l’Allemagne que je ne connais pas du tout. Je connais en revanche très bien la Sarre, la Ruhr,et surtout le Bade-Wurtemberg (j’habite à 8 km de Baden et à 12 de Rastatt).

          Ai vu aussi votre article dans le Nouvel Obs. Félicitations.

          Bonne soirée,
          RS

        • ddacoudre ddacoudre 23 novembre 2011 11:50

          bonjour bruno

          ce n’est pas un inutile rappel.
          quand j’ai commencé à militer en 1969, déjà l’on parlait de l’Allemagne dans les comparaisons de production et de salaire.
          cette nouvelle convergence est aussi spéculative que celle de l’adhésion à l’UE.
           faire croire que tous aurons la même prospérité en se portant à la hauteur de leur économie dans un marché européen d’états compétitifs, dont l’Allemagne tire le meilleur parti.
          les critères de convergence sont un passage irrémédiable à la pauvreté des pays du sud.
          le présenter comme un plan de sauvetage et d’avenir me laisse pantois.
          en fait l’Allemagne s’entête à refuser ce qui permet à un état Européen de disposer d’un authentique pouvoir politique en disposant par la BCE des moyens de création monétaire.
          elle en perdrait bien évidement son leader ships.
          ddacoudre.over-blog.com .
          cordialement.

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