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Coup d’Etat « démocratique » au Niger

Quand le viol s’applique aux règles de gouvernement...

La forte mobilisation de l’opinion publique africaine et des réseaux sociaux fascinés par les enjeux de l’élection présidentielle gabonaise ne doit pas faire oublier une autre situation majeure qui a lieu depuis quelques mois en Afrique : les manoeuvres de Mr Mamadou Tandja qui veut se maintenir au pouvoir à l’issue de son deuxième mandat à la tête du Niger, et ce contrairement aux dispositions constitutionnelles en vigueur dans ce pays.

Ces manœuvres[1] préoccupantes ont fait l’objet de dénonciation par la communauté internationale[2] et suscitent la réprobation de tous ceux qui s’engagent pour l’enracinement de la démocratie dans le continent noir.

Pour une fois, il ne s’agit plus d’accuser la France[3], la Françafrique, ou je ne sais quelle autre puissance internationale qui essayerait de remettre en cause les acquis démocratiques du Niger. Non, il s’agit d’observer l’inconséquence historique d’un déni d’alternance dans un pays démocratique, par son président, sous le prétexte de la poursuite des projets en cours.

La pratique est assez dangereuse pour ne pas être sérieusement dénoncée et critiquée. Si elle se réalise au Niger, elle pourrait être reprise dans d’autres pays où les dirigeants en place souhaiteraient s’éterniser au pouvoir. Dieu sait que cette tentation est grande en Afrique.

Dans les faits, Monsieur Mamadou Tandja est au pouvoir au Niger depuis 1999. Il a brigué un premier mandat de cinq ans jusqu’en 2004 puis un second mandat de cinq ans qui s’achèvera en décembre de cette année.

La constitution Nigérienne limite les mandats présidentiels à deux. Mr Mamadou Tandja veut néanmoins rester au pouvoir à l’issue de ses deux mandats en organisant un référendum ce 04 août 2009 pour faire approuver par le peuple nigérien le passage du régime semi-présidentiel actuel à un régime présidentiel ; avec en bonus son maintien au pouvoir durant trois ans pour assurer une transition[4], tout en lui ouvrant la possibilité de se présenter aux élections organisées dans le cadre de la sixième République ainsi instaurée. (Compte tenu des pratiques en cours dans bon nombre de pays d’Afrique, nous ne serions pas surpris qu’une farce électorale reconduise ce dernier à la tête de son Etat, à l’issue de cette transition.)

Effectivement, à ne pas y regarder de près, on dirait que tout cela est bien démocratique : le recours au peuple dans le cadre d’un référendum, une période de transition pour préparer les nouvelles institutions de la République, l’organisation future d’élections pour mettre en place les institutions et élire un nouveau président etc.

Ouf ! Les africains seraient devenus plus doués en matière de management de la démocratie que ceux qui l’ont inventée et conceptualisée. Génial, me diriez-vous !

Sauf que tout cela a été opéré au mépris des lois, en toute illégalité, dans le seul but de changer la constitution pour ouvrir la possibilité de permettre à Mr Mamadou Tandja de se représenter aux élections afin de « poursuivre, dit-il, les projets entrepris dans le pays. »

D’où une première interrogation : peut-on renoncer à l’observation de l’alternance politique que consacre une démocratie au prétexte que l’on voudrait poursuivre les projets entrepris lors de sa précédente législature ?

La réponse est bien évidemment non. L’observation des démocraties occidentales nous enseigne que les projets entrepris peuvent être poursuivis par la nouvelle équipe au pouvoir si celle-ci en partage l’opportunité.

Cet argument est donc une simple méprise de la démocratie et des principes qu’elle consacre.

Le génie en terme de manœuvre pour se maintenir au pouvoir cache malheureusement un véritable détournement de l’idéal, du processus et de la finalité de la démocratie dans bon nombre d’Etats africains. Il met aussi en lumière l’appétit sans fin pour le pouvoir dont font montre certains dirigeants africains qui ont du mal à assurer l’alternance démocratique du pouvoir politique. Ainsi, après l’instauration de véritables dictatures démocratiques, nous serions en train d’assister à l’émergence de véritables « coups d’Etat démocratiques » dans le continent noir.

D’autre part en consacrant au président nigérien le bénéfice de la bonne foi pour le passage souhaité d’une cinquième à une sixième République, comment pourrait-on justifier les violations intempestives des règles constitutionnelles en vigueur au Niger[5] de la part d’un dirigeant qui voudrait renforcer la démocratie dans son pays ?

Sur ce point, il semble que la méthodologie utilisée par Mr Tandja emprunte plus à la tyrannie et à la dictature plutôt qu’à la démocratie.

Par ailleurs, en faisant au président nigérien l’économie de la légalité ou de la constitutionalité des démarches entreprises, comment pourrait-on sérieusement vouloir instaurer un régime présidentiel (dont on connaît la faiblesse des contre-pouvoirs) dans un pays qui tente à peine de sortir d’une longue et triste histoire faite de despotisme, de tyrannie ou de dictatures imposées par des dirigeants omnipotents, contrôlant la quasi-totalité des processus de décision ?

Une telle option ne relevait pas de l’éclairage ou du seul choix du président de la république, se fut-il arrogé les pleins pouvoirs pour soumettre cette option à l’adhésion populaire. La rigueur démocratique, l’observation du fonctionnement des démocraties occidentales et même la simple sagesse africaine recommandaient une implication de l’ensemble des forces politiques nationales pour en dégager et le consensus et l’opportunité.

Il est fort à parier que les manœuvres du président nigérien visent plus à vider la démocratie nigérienne de son contenu en concentrant les pouvoirs entre les mains d’un nouveau despote : lui-même.

Aussi, de même que nous nous levons contre les pseudos élections organisées ça et là en Afrique, de même que nous dénonçons les réseaux français qui opèrent outrageusement en Afrique, nous devons condamner le recours à ces manœuvres politiques par des dirigeants africains qui méprisent le bon sens qu’implique le respect des règles démocratiques de base : la limitation des mandats, l’acceptation de l’alternance du pouvoir, le respect des contre pouvoirs institutionnels…

On ne peut donc clore cette tribune sans rappeler que :

1- L’acceptation de l’alternance du pouvoir politique est un paramètre essentiel pour opérer l’enracinement de la culture démocratique dans le continent noir.

2- L’instrumentalisation des règles de droit pour se maintenir au pouvoir est une attitude non sérieuse de la part des gouvernants.

En conséquence, le peuple nigérien doit apporter son soutien à la stratégie d’isolement des autorités nigériennes mise en œuvre au niveau africain et international

Le peuple nigérien doit refuser clairement d’adhérer aux projets tyranniques et non démocratiques de Monsieur Mamadou Tandja.

L’Afrique, le Niger ont plus que jamais besoin de démocratie et de bonne gouvernance.

La solidarité de la jeunesse africaine doit conduire à une vigilance contre toutes formes de confiscation des droits et libertés auxquelles certains dirigeants ont trop souvent tendance à se livrer.

Realchange

 

[1] Le Monde du 26/06/2009 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2009/06/26/le-niger-se-rebelle-contre-la-volonte-de-son-president-de-se-maintenir-au-pouvoir_1211827_3212.html

Le Monde du 27/06/2009 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2009/06/27/niger-l-opposition-denonce-le-coup-d-etat-du-president_1212642_3212.html

[2] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/niger_352/europe-niger_2736/index.html

http://www.cyberpresse.ca/international/afrique/200907/31/01-888822-lue-menace-de-couper-les-vivres-au-niger.php

http://www.rtlinfo.be/rtl/news/article/260046/—La+Belgique+menace+de+suspendre+son+aide+au+d%C3%A9veloppement+au+Niger

[3] Le président et le gouvernement français ont clairement condamné les manœuvres entreprises par le président nigérien pour se maintenir au pouvoir. Lire http://www.elwatan.com/Mamadou-Tandja-fait-le-grand

[4] Selon la proposition qu’il a faite à l’Assemblée et à la Cour Constitutionnelle de son pays, qui l’ont par ailleurs rejetée. Notons que ces institutions ont été dissoutes par le président Tandja qui s’est ensuite arrogé les pleins pouvoirs prévus à l’art 53 de la Constitution Nigérienne dans des conditions juridiques contestables.

[5] De l’avis des spécialistes il y aurait un recours illégal au référendum et aux prérogatives de l’article 53 de la constitution nigérienne, voire une dissolution abusive de la cour constitutionnelle. Lire sur ces points : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2009/07/06/le-president-du-niger-s-accroche-au-pouvoir_1215738_3212.html

http://www.elwatan.com/Mamadou-Tandja-fait-le-grand

 


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8 réactions à cet article    


  • Allain Jules Allain Jules 4 août 2009 14:30

    Bonjour.

    Il n’est ni le premier ni le dernier.

    Biya concocte une sauce du même acabit à ses compatriotes. Au temps, les Sasou et autres Bongo, Obiang Nguema, ont usé des mêmes expédiants. C’est ça l’Afrique. Mais, en réalité, vous ne verrez pas Paris protester. Pourquoi ? Simplement parce qu’il (Tandja), de donner libre court à l’imagination d’AREVA, c’est une boutade, d’exloiter les richesses du Niger. Et toc, le dictateur s’installe avec l’aval de Paris en violant la constitution.

    Gaston Kelman, lui, fait fort. L’immigré devient conseiler au ministère de l’Immigration. Trop fort


    • realchange 4 août 2009 21:18

      Si Tandja n’est ni le 1er ni le dernier, y trouvez-vous une raison pour ne pas dénoncer ce qui se passe au Niger ? Drôle de raisonnement. Quoique certains se réjouiraient de le voir demeurer au pouvoir.

      Quant à Biya, Sassou ou Bongo, ils sont plus à mettre au crédit de la France qu’à celui de l’Afrique.

      Pour ce qui concerne la collusion que vous insinuez entre Tandja et Areva, elle peut relever soit d’un fantasme néo-colonial, ou d’une incapacité à la loyauté face au peuple du Niger. Je ne prête pas ces intentions à Areva qui, du reste, peut s’affranchir du Tyran nigérien.

      Quant à Gaston Kelman, nous nous réjouissons de la promotion qui lui est faite. Il n’est d’ailleurs pas le 1er. D’autres comme lui travaillent dans l’ombre. Et c’est bien ainsi. J’espère que cela ne vous choque pas.
       
      Enfin vous trouverez à cette adresse la réaction officielle de l’Union Européenne face à la crise constitutionnelle intervenue au Niger : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/niger_352/europe-niger_2736/situation-politique-au-niger-02.07.09_74687.html

      Merci pour votre attention

      Realchange


    • logan 4 août 2009 19:12

      Le président Français fait bien pire que Tandja vu qu’il a réussit à imposer un traité rejeté par les français par référendum en le remaquillant et en le faisant cette fois passer par le parlement, avec la complicité du parlement.


      • realchange 4 août 2009 21:23

        La démocratie est l’une des plus belles conquêtes de l’humanité. Il est donc important que chacun veille à sa préservation. Cela est valable aussi bien en France qu’en Afrique.


      • Stalker 4 août 2009 22:30

        J’espère que ces velléités de présidence infinie échoueront, l’Afrique a assez souffert de ces règnes quasi monarchiques interminables et sans aucune autre perspective que le maintien au pouvoir.


        • realchange 5 août 2009 01:07

          Je partage votre souhait.

          Espérons que tout cela n’aura été qu’un feu de paille pour Tandja.

          Bien à vous

          Realchange


        • wawan 5 août 2009 18:28

          En tout cas, à Niamey cela se passe tranquillement.Il n’y a absolument aucune opposition audible et on n’a pas l’impression que la situation intéresse grandement la population qui semble plutôt pro-Tandja.


        • realchange 6 août 2009 03:13

          Les regards que nous portons sur la situation nigérienne sont multiples. Ceux qu’on porte sur soi sont donc plus importants. J’espère que votre conscience saura s’accoutumer à la dictature qui se prépare au Niger.

          Bon courage

          realchange

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