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El Zapatero

A Davos, les chefs de gouvernement des Etat européens les plus exposés au risque de crise financière ont fait part de leurs intentions vertueuses. Quitte à démentir leurs actions précédentes. Exerçant la présidence tournante de l’Union européenne, le premier ministre espagnol annonce des mesures difficiles à appliquer.

Dans une remarquable synthèse consacrée aux finances publiques grecques [La Grèce dans l’Europe : le révélateur budgétaire], Béatrice Hibou annonçait il y a près de cinq ans les défis posés au gouvernement d’Athènes en cette année 2010. L’Etat grec se caractérise depuis l’entrée de la Grèce dans la CEE par un déficit chronique. Cette tendance lourde rompt toutefois avec la période précédente. L’auteur indique en effet qu’entre 1958 et 1981, les recettes équilibraient les dépenses. Car le poids de l’Etat demeurait relativement limité dans l’économie. Les années 1980 marquent donc un tournant. Les gouvernements de transition - en particulier les socialistes du Pasok - poussent l’Etat dans une logique de redistribution, en même temps que s’accroissent les effectifs de fonctionnaires. Les dépenses militaires gonflent. 

« [Mais] il est intéressant de remarquer que, partant d’un niveau très inférieur à celui de la Communauté (-11 points en 1979), les dépenses budgétaires ont atteint la moyenne communautaire en moins de six ans : l’influence de l’Europe a été non seulement importante mais très rapide ! La politique du Pasok, en distribuant du pouvoir d’achat (hausse des salaires beaucoup plus importante que la hausse de productivité ; réforme avantageuse du système des retraites, du système de santé et de la sécurité sociale en général) a permis une accélération incontestable du processus d’harmonisation des consommations et des niveaux de vie, fût-ce en dépit de tout critère de rationalisation et de viabilité, et au prix d’un endettement croissant.  »

Dans le même temps, l’Etat s’avère incapable d’élargir ses sources de revenus, constate Béatrice Hibou. Les Grecs paient moins d’impôts et de taxes que la moyenne des Européens. Beaucoup placent leur argent à l’étranger. L’impôt sur le revenu représente moins d’un cinquième des recettes fiscales de l’Etat. Et l’espoir placé dans la création d’une TVA grecque a duré. « Il est inutile de revenir sur les causes historiques de cette faible légitimité de l’Etat qui se manifeste tant par la sous-fiscalisation que par l’absence d’Etat-providence (nouveauté du pays et construction conflictuelle de l’Etat ; héritage ottoman de méfiance par rapport à ce dernier ; absence de démocratie stable jusqu’en 1974, etc.). Mais des facteurs socio-économiques expliquent aussi cette sous-fiscalisation : importance de l’informel ; grande proportion de travailleurs indépendants et faiblesse du salariat ; prépondérance des services et des activités off shore, etc.  » Les aides européennes ont pourtant régulièrement augmenté : de 1,3% du budget en 1981 à 8,5% en 1985, et 10,2% en 1990. Comme si Bruxelles renonçait à intervenir autrement qu’en fermant les yeux sur le laxisme des autorités grecques.

La crise grecque met l’euro sous pression. L’article du Monde s’intéresse en réalité aux déclarations des principaux dirigeants de l’Union lors du sommet de Davos, au premier rang desquels Jose Luis Zapatero. En tant que premier ministre espagnol, il assure la présidence tournante de l’Union européenne. Frédéric Lemaître relève une évolution instructive. L’Etat grec empruntait en octobre 2009 sur les marchés internationaux à un taux de 4,5 %. Quatre mois plus tard, le taux a glissé dangereusement, s’établissant à 7,5 % en janvier. Le renchérissement du crédit qui en résulte témoigne de la difficulté relative du gouvernement grec à attirer des capitaux. Elle préfigure un alourdissement de la dette. Tout comme ses homologues à la tête de pays classés comme fragiles (Espagne, Portugal, Irlande) présents à Davos, le premier ministre grec a tenté de minimiser les difficultés de son pays et de présenter de riantes perspectives.

Qu’il me soit permis de douter. Athènes prétend rabaisser les déficits publics de 9 à 3 % d’ici 2012, c’est-à-dire répondre aux critères de Maastricht dans moins de trois ans. La Tribune a précisé le 24 décembre dernier la méthode poursuivie pour diminuer le poids de la dette. La majorité socialiste a voté en faveur du projet gouvernemental, validant de fait le budget 2010. « Au chapitre des recettes budgétaires, le gouvernement prévoit un impôt exceptionnel sur les grands profits et les grandes fortunes, l’augmentation de l’impôt sur le tabac et l’alcool. Une réforme fiscale comprenant des mesures contre la fraude sera en outre présentée au parlement fin février. Afin de réduire les dépenses de l’Etat, le gouvernement entend diminuer d’au moins 10% des salaires des dirigeants des entreprises du secteur public et baisser de 50% les salaires des membres des conseils d’administration. Le budget du ministère de la Défense est en baisse de 6,6% par rapport à 2009.  » L’armée grecque dépense entre 4 et 5 % du PIB, le double de ce qu’utilise l’armée française (source). Les Européens se moquent de la prétendue menace turque, mais exigent d’Athènes un strict contrôle de ses frontières maritimes en mer Egée [Les evzones de mer].

Les bonnes intentions inapplicables côtoient les annonces anecdotiques ou simplement mensongères. Chacun jugera. Au regard des tendances structurelles de l’Etat grec au cours des trois dernières décennies, on ne pressent aucune révolution. Les taxes supplémentaires sur le tabac et l’alcool susciteront la consternation chez les débitants grecs ayant pignon sur rue. Dans les Balkans et en Turquie, de l’autre côté de la frontière ou sur l’autre bord de la mer Egée, d’autres se frotteront les mains. La Turquie est en effet l’un des principaux producteurs et le quatrième exportateur mondial de tabac. De 150.000 tonnes en 1970, la production est passée à 260.000 tonnes en 1999. (source). Le port de Mersin a même une spécialisation en la matière (source). Le gouvernement turc a récemment autorisé la privatisation de l’ancienne société d’Etat Tekel qui bénéficiait jusqu’à présent du monopole du tabac et de l’alcool (source).

En Grèce, l’illusion provient cependant du maintien des recettes courantes de l’Etat en temps de crise. La forte hausse des taux d’intérêt va en effet se répercuter sur le secteur de l’immobilier, rendant plus difficile l’achat et la construction de logements. Feu le gouvernement Caramanlis peut témoigner de la sensibilité de l’opinion publique sur ce dossier (Figaro). Le coût de la vie à Athènes s’approche de celui des grandes villes d’Europe de l’ouest, mais avec un niveau de vie moyen inférieur. Cet écart se ressent dans les îles les plus fréquentées et sur les littoraux touristiques, beaucoup moins dans le cœur de la péninsule balkanique (source). Une baisse des recettes touristiques est donc à prévoir, si les visiteurs restaient chez eux ou préféraient d’autres destinations. Au printemps 2009, le gouvernement grec a justement annoncé des mesures de soutien au secteur (source).

En conclusion, les médias européens s’agitent autour des rumeurs visant la Grèce et les pays à risque de l’Union. Le dollar se réévalue par rapport à l’euro. Les exportateurs européens y trouveront motif de satisfaction : merci la Grèce ! Jose Luis Zapatero sens de son côté s’approcher la tempête. A Davos, il a exposé ses solutions pour améliorer la solvabilité de l’Etat espagnol. Ce dernier pâtit de la même défiance des capitaux étrangers que l’Etat grec, si ce n’est des mêmes maux. Le premier ministre espagnol espère réaliser 50 milliards d’économies à l’Etat d’ici à 2013, dont un cinquième à l’actif des collectivités territoriales : rien de moins ! Pour atteindre cet objectif, l’Etat cessera de recruter de nouveaux fonctionnaires (un remplacement pour dix départs), et tentera de repousser l’âge légal de la retraite de 65 à 67 ans (Le Monde).

Dans un pays vieillissant, cette idée ne paraît pas saugrenue, même si le parti socialiste français affirme le contraire. Cela étant, pour le budget de l’Etat, les pensions de fonctionnaires retraités pèsent de la même façon que les salaires des fonctionnaires actifs. En outre, comme le nombre de sexagénaires s’accroît, la mesure annoncée ne produira pas d’économies. Pas plus à Madrid qu’à Athènes les gouvernements ne peuvent dévaluer. Reste la possibilité de faire diminuer les prix et les salaires (dévaluation interne). Les entreprises licencient d’ores et déjà les salariés non protégés par un contrat à durée indéterminée (18 % de chômeurs fin 2009) [Fiona Maharg].

Le peintre El Greco a exercé son art à la cour des Rois d’Espagne. El Zapatero servira-t-il de modèle aux socialistes grecs ? Je gage qu’il s’agira de magie plutôt que de peinture mystique (incrustation)...

PS./ Geographedumonde sur la Grèce : Quiproque grec, Les evzones de mer et Ne pas confondre tête de pont et plaque tournante ; sur l’Espagne : Verse fredaine et casse trogneDe Franco à la CrauNe pas confondre casser une banque et construire une maisonAu chevet de l’Espagne, Mirage catalan et béton rapide, Dur soleil méditerranéen contre doux hiver nordique, Où va l’Andalou ?, Catalans lourds, L’Ibère est rude.


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2 réactions à cet article    


  • paul 1er février 2010 22:36

    Cet article reste à la surface du sujet .Avec la Grèce et l’Espagne , vous auriez pu citer aussi
    le Portugal , l’Irlande , l’Italie et montrer que l’Europe dans son ensemble est touchée par la
    crise de la finance mondiale .

    Les États se sont endettés pour sauver du naufrage le système bancaire sans prendre part à
    leur contrôle, à leur gestion .Les traders servent de boucs émissaires alors qu’ils ne font qu’utiliser toutes les failles d’un système mal controlé .

    Cette crise met d’autre part en évidence l’échec de cette Europe libérale, marchande, déréglementée , où les États font de la surenchère avec le dumping social , au lieu d’harmoniser les fiscalités et de restaurer le tissu industriel délabré maintenant .

    La retraite à 67 ans , demain à 70 ans ,pendant que le chômage progresse inéxorablement.
    Et puis virez donc tous les fonctionnaires qui coutent trop cher .Ça ira mieux après, hein ?


    • Bruno de Larivière Bruno de Larivière 2 février 2010 09:58

      Soit vous n’avez pas compris le ’papier’ soit vous n’êtes pas d’accord. C’est évidemment la deuxième solution qui s’impose. Et c’est votre droit le plus strict.
      Cela étant, vous ne rebondissez pas sur les attendus : la déstabilisation financière de l’Etat grec et la menace pesant sur l’Etat espagnol (qui se répercute par une hausse de leurs taux d’intérêt respectifs)
      Votre conclusion - enfin - tourne au procès d’intention ! J’explique que l’âge de la retraite n’est qu’un TOUT petit aspect du problème posé...
       smiley

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