Depuis qu’en 1991, sous la pression intense de l’administration de George Bush, Itzhak Shamir a brisé le tabou et accepté de s’asseoir avec des représentants palestiniens, jordaniens, libanais et syriens, jamais aujourd’hui la perspective de parvenir à un quelconque accord politique entre Israël et ses voisins n’est apparu aussi lointaine. Pourtant, les espoirs suscités par les accords d’Oslo en 1993 étaient immenses, d’un côté comme de l’autre. Pour Israël, la perspective de vivre enfin en paix et en sécurité avec ses voisins, pour les palestiniens, celle d’accéder enfin à l’émancipation et à la création d’un état indépendant. On devisera à loisir sur les causes de l’échec de ce processus de paix, l’assassinat d’Itzhak Rabin, la série d’attentats-suicides perpétrés par le Hamas, la poursuite, voire l’emballement de la colonisation en Cisjordanie et à Gaza, chacun jugera, les causes ne manquent pas. Toujours est-il que le lancement de la 2ème intifada a définitivement enterré le processus de paix, malgré les vaines tentatives occidentales de le ranimer par le biais de « conférences », de « plans », de « feuilles de route » ou d’ « initiatives ».
Aujourd’hui, la situation est bien pire qu’en 1991, et il semble qu’aucune conférence ne puisse venir apporter un peu de lumière dans la region. Si solution il peut y avoir, il est évident qu’elle ne peut venir que d’Israel. Les palestiniens n’ont quasiment plus rien à offrir ou à négocier, hormis le retour des réfugiés. Or, en Israël aujourd’hui, la situation politique et sociale n’a plus rien à voir avec celle des « années d’Oslo » pendant lesquelles la jeunesse descendait en masse dans la rue toutes les semaines pour soutenir le processus de paix. Ceux qui la connaissent ou qui s’y intéressent un tant soi peu savent à quel point la société israélienne est formidablement complexe et aujourd’hui plus que jamais divisée sur les questions politiques. Laïcs et religieux, ashkénazes (allemands/russes/polonais/hongrois/roumains/anglais etc), sépharades (espagnols/italiens/marocains/tunisiens/algériens etc), mizrahis (irakiens/syriens/égyptiens etc), éthiopiens, Sabras (natifs israéliens), gauche et droite, au final, cette société est une véritable mosaïque et un vrai mélange des genres. Mais il est aujourd’hui un autre facteur de division en Israël, peut-être celui auquel on a fait le moins attention mais qui peut se révéler être le plus déterminant pour l’avenir, celui du degré d’engagement politique.
En effet, depuis un an ou deux, des signes clairs montrent qu’en Israël, les "laïcs" sont de moins en moins engagés idéologiquement et politiquement, et lorsqu’ils le sont, c’est de plus en plus au profit des partis de droite, voire de droite dure, échaudés qu’ils sont par 9 ans d’une intifada meurtrière et une guerre du Liban qui a laissé des traumatismes sociétaux profonds. Ils sont nombreux à tenter d’échapper au service militaire, pourtant traditionnel creuset de la société israélienne, et leurs préoccupations sont de plus en plus matérielles. Les équivalents israéliens de "Big Brother" et de "Koh lanta" n’ont jamais fait un tel carton.
Les religieux au contraire montrent un engagement idéologique et politique constant. Et si les religieux "haredim" votent avec toujours autant de discipline pour leurs partis traditionnels (Shass et Judaisme Unifié de la Torah) et sont toujours exemptés d’armée, les membres du courant sioniste religieux sont très représentés dans l’armée, leur voix se portant traditionnellement sur le Likoud, l’Union Nationale, le "Foyer Juif" ou d’autres petites formations anecdotiques d’un strict point de vue électoral. Ce mouvement sioniste religieux fait peu parler de lui pour le moment, de par l’éclatement des voix de ses membres. Mais aujourd’hui, les analystes ne s’y trompent pas, ils représentent un peu plus de 25% de la population et ils sont la force qui monte. Comment ? Tout simplement en occupant systématiquement tous les endroits idéologiques désertés par la gauche laïque. Education, Logement, et surtout l’armée.
En effet, un rapport récent indiquait que 40% à 50% des nouveaux officiers au sein de Tsahal sont issus du courant sioniste religieux, et pour beaucoup d’entre eux, habitent dans une colonie. De plus,
comme le souligne l’éditorialiste israélien Yaïr Lapid, alors que l’intelligentsia israélienne laïque a déserté le débat et ne s’aventure plus dans les bases militaires que sporadiquement malgré les invitations des commandants de bases, les rabbins du courant sioniste religieux répondent présent systématiquement, et continuent inlassablement à dispenser aide pour les jeunes en difficulté et cours de Torah. Idem dans les écoles.
Cette bataille, elle est gagnée d’avance pour ces rabbins, et ils en sont tout à fait conscients. Ils savent que le public laïc est amorphe et ne fera aucun obstacle sérieux au bouleversement en marche de la société israélienne. Ironie du sort, c’est la gauche israélienne elle-même qui est en grande partie responsable de cette apathie du public israélien. En œuvrant autant pour retirer des manuels scolaires israéliens toute notion d’histoire juive pour essayer d’effacer toute velléité nationaliste en Israël, des gens comme Shulamit Aloni ou Yossi Sarid ont condamné leur parti à une chute vertigineuse et continue dans les sondages et à une claque mémorable aux dernières élections. Et surtout, ont privé le public de son référentiel idéologique. Les médias ont fait le reste en se substituant à ce référentiel, ce qui explique pourquoi aujourd’hui les israéliens qui discutaient il y a 20 ans de géopolitique et de débats idéologiques, parlent aujourd’hui de la dernière émission de Big Brother ou des résultats du foot. L’arroseur arrosé, surtout lorsqu’on sait que la natalité des religieux est presque 3 fois supérieure à la natalité laïque.
Ce qui explique pourquoi plus de 90% des israéliens ont soutenu sans faille la dernière guerre à Gaza (d’autant que même les partis de gauche l’ont soutenue) : le public laïc n’a plus que les médias comme seul référentiel, et le public religieux n’a jamais failli en termes idéologiques et gagne sans cesse du terrain. D’où la percée des partis de droite/droite dure aux dernières élections, notamment celle du populiste Avigdor Lieberman, et la déroute historique de la gauche israélienne (13 sièges seulement pour le parti travailliste et 2 sièges pour Meretz, soit 15 sièges sur 120 !)
Aujourd’hui, ce que montrent certains analystes, c’est que le coup de grâce ne viendra probablement pas de Lieberman, qui reste un populiste aisément malléable par les aléas du pouvoir, mais de la frange dure du Likoud et du mouvement "Manhigut Yehudit" (Leadership Juif) de Moshé Feiglin, qui au contraire de Lieberman, n’a jamais été disposé a la moindre concession. Aux primaires de 2007 pour élire le chef du Likoud, il a réuni 25 % des suffrages face à Netanyahou, (il n’avait obtenu que 3% en 2003 face à Ariel Sharon), et à celles de décembre 2008 pour désigner les parlementaires Likoud de la nouvelle Knesset, il est arrivé à la 20ème position, supplantant plusieurs candidats disposant du soutien de Netanyahou lui-même. Il y a fort à parier que lorsque le courant sioniste-religieux unifiera ses forces, ce sera sous la bannière de Feiglin. Alors, pour ceux qui croiront encore au principe de "2 états pour 2 peuples", il sera définitivement trop tard.