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Accueil du site > Actualités > International > L’Afrique des ONG

L’Afrique des ONG

Banque mondiale et ONG fragilisent les Etats.
Réaction à la chronique de Philippe Ryfman parue dans le « Monde de l’économie » du 1er juillet 2008 intitulée « Les ONG au secours des Etats fragiles ».
F. CHARLES*.

On a pu mesurer combien les élites africaines et les amis de l’Afrique, tellement stupéfaits à l’écoute du discours tenu par un président de la République française en exercice qui, prétendant s’adresser, de l’université Cheik Anta Diop à Dakar (1), à la « jeunesse du continent  », n’égrenait que lieux communs à connotation raciste et contresens historiques éculés, étaient demeurés un temps silencieux, comme paralysés, étourdis par l’énormité du propos (2).
 
De la même manière, à la lecture de la chronique de M. Philippe Ryfman dans Le Monde, nous expliquant le rôle indispensable des ONG dans l’avenir des pays africains, on se frotte les yeux, on croit avoir mal lu, mal interprété et, pourtant, non. Du titre, d’ailleurs très explicite, à la dernière ligne, pour justifier une ingérence encore accrue via les ONG, nous n’avons affaire qu’à un empilage de contrevérités et d’informations tronquées devenues, à force de rabâchage, de véritables lieux communs.
 
Des propos du président Sarkozy à Dakar à la chronique de M. Ryfman, on retiendra surtout une posture commune, désormais récurrente, qui consiste à renvoyer aux victimes leur responsabilité, dans leur propre histoire d’abord : « Ce sont des Africains qui ont vendu aux négriers d’autres Africain, etc.) » (M. Sarkozy) et dans leur situation actuelle ensuite : « Le sort des sociétés et des Etats dits fragiles, minés par la mauvaise gouvernance, la corruption, les guerres civiles et internationales, les crises économiques ou les catastrophes naturelles… » (M. Ryfman). On notera au passage comment, pour faire bonne mesure, M. Ryfman aura ajouté à sa liste les catastrophes naturelles…
 
En fait, dans le même temps où le président Sarkozy, falsifiant l’Histoire, s’évertue à exonérer l’empire colonial de son entreprise de traite et de déportation, M. Ryfman justifie et réclame, pour « l’aide au développement, structurant désormais les programmes financés par les principaux bailleurs publics », l’ingérence des pays riches et de leurs principales institutions (Banque mondiale, FMI, OMC…) sans jamais, d’ailleurs, les nommer une seule fois.
 
Si le raisonnement kouchnerien qui, partant du constat de « fragilité », de « mal gouvernance », de « corruption », de « faillite démocratique »… consiste à affirmer la nécessité de l’ingérence politico-économique n’est pas nouveau, la mise en avant du rôle des ONG dans ce processus l’est, en revanche, davantage.
 
Par ailleurs, peu importe à nos champions en ingérence que la corruption soit produite par des corrupteurs, que les crises économiques soient d’importation, que la faillite démocratique soit le plat préféré de la Françafrique, que la malgouvernance prospère sous la protection bienveillante des Etats ex-coloniaux… peu importe tout cela, pourvu qu’on ait le prétexte.
 
En attendant, culpabilisant les Africains, les rendant comptables de la corruption de leurs gouvernants, promus et maintenus pour la plupart par la grâce de la Françafrique ; les considérant également coresponsables des régimes dictatoriaux, clairement mis en place et soutenus par la France et l’Europe (Tchad, Gabon…) ; passant allègrement sur le rôle manifeste des institutions internationales dans la misère économique et politique imposée au continent depuis des décennies ; taisant les exigences exorbitantes et incongrues des pays « donateurs » (3) en matière de privatisations massives dans la santé, l’enseignement, la protection sociale… se construit un discours néocolonial qui cherche désormais à faire passer par les ONG la pilule amère du « tout-libéral » meurtrier.
 
L’intérêt de la Banque mondiale pour les ONG n’est pas récent, loin de là. Déjà, les 21 et 22 octobre 1997, s’était tenue à Washington une rencontre internationale entre la Banque mondiale et cinquante ONG pour savoir « si et comment les ONG et la Banque mondiale peuvent collaborer pour faciliter l’effort de privatisation et programmer ensemble une manière de les réaliser dans un partenariat plus étroit » (4). Encore plus avant, en 1992, dans le cas où les rapports entre les ONG et les gouvernements s’avéreraient gênés, on peut lire la recommandation suivante : « la Banque est autorisée à refuser l’octroi de crédits à ces pays » (5). On retrouve fréquemment d’ailleurs ce type de menaces dans de multiples documents de la BM, internes ou publics, anciens et récents.
 
Enfin, dans son rapport A/53/170 de juillet 1998 sur « les règlements pratiques pour l’implication des ONG dans toutes les activités du système des Nations unies », on apprend que, à cette date, 1 550 ONG ont déjà reçu la qualité de conseillers du Conseil économique et social de l’ONU et que 63 représentations nationales de la Banque mondiale sont, quant à elles, encadrées par un personnel s’occupant exclusivement des ONG. Le secrétaire général conclut ainsi : « L’activité des éléments non étatiques a acquis une dimension importante dans la vie publique partout dans le monde. La tentative de réforme et de restructuration des Nations unies coïncide avec l’apparition d’un nouveau système international de collaboration, qui répond aux forces de la mondialisation qui emportent notre monde ». On appréciera la clarté glacée du propos.
 
En 2001, la Banque mondiale reconnaissait que les ONG étaient d’ores et déjà présentes dans plus de 80 % des actions engagées par elle, tant au titre d’évaluations que de leur mise en œuvre. CQFD.
 
Ainsi donc, n’en déplaise à M. Ryfman, qui omet tant de faits importants et d’informations précieuses, les ONG gérant les fonds de la Banque mondiale pour le compte de celle-ci, au contraire d’aider les pays « dits fragiles », poursuivent le travail de sape de la Banque mondiale contre leur souveraineté, dans la droite ligne des tristement célèbres PAS (Plans d’ajustement structurels), concoctés par le FMI en échange des sommes allouées.
 
Par ailleurs, pour ajouter au pire, s’agissant de gérer des prêts et non des dons, comme le laissent à penser tous ceux qui n’ont de cesse d’évoquer « des pays donateurs », ces ONG, par leur action et par leurs propres dépenses de fonctionnement, participent à l’approfondissement de la dette, véritable pierre au cou des peuples d’Afrique, comme de tous les autres PED, puisque, au bout du bout, ce sont les Africains qui remboursent.
 
S’il fut un temps lointain où certaines ONG, parmi les plus importantes, évoquaient l’annulation de la dette comme sortie de crise, dire qu’aujourd’hui cette unanimité n’est plus de mise serait un doux euphémisme (6).
 
Ainsi, au nom de « la transparence, de la lutte contre la corruption et de la proximité avec la société civile… » et s’agissant de l’Afrique, les ONG sont très clairement devenues l’instrument d’une nouvelle escalade contre la souveraineté nationale des pays ciblés et d’un démantèlement économique et social sans précédent à l’échelle de tout le continent.
 
Montpellier le 08/07/08
 
*François Charles est président du Campus Europa à Montpellier. Partenaire de l’Institut supérieur de management de Cotonou (IIM) et de l’université BK en Afrique de l’Ouest.

1/ On peut trouver le texte intégral du « discours de Dakar » tel que reproduit par le quotidien sénégalais Le Soleil (édition du 27/07/2007) sur le site www.afrikara.com
2/ Lire « L’Afrique répond à Sarkozy, contre le discours de Dakar ». 2008. Editions Philippe Rey
3/ Les institutions internationales aiment à laisser planer le doute sur la nature des sommes allouées aux pays pauvres. Aucune ambiguïté : Il s’agit toujours de prêts, soumis à remboursements, avec intérêts qui, pour certains pays, les ont conduits à rembourser plusieurs fois… la dette !
4/ Groupe de la Banque mondiale. « Dialogue avec les ONG pour la privatisation ». Washington 1997
5/ Gouvernance et développement, Banque mondiale, p. 29. 1992
6/ A noter cependant qu’Attac, le CADTM et quelques autres ont maintenu cette exigence.
 
infos article
URL : http://www.cadtm.org

** Pour de plus amples informations sur la dette, ses origines, son fonctionnement et ses effets, on peut consulter le site du CADTM www.cadtm.org
 

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11 réactions à cet article    


  • Engel Teufel 29 août 2008 12:23

    @ L’auteur

    Votre dénonciation est parfaitement juste mais il me semble que vous enfoncez une porte ouverte.

    Quelles sont vos propositions pour modifier radicalement la situation que vous dénoncez ?


    • clostra 29 août 2008 15:19

      Que dire des petites ONG créées par des ressortissants pour un développement très local et auxquelles les grosses ONG ne viennent généralement pas en renfort ?

      à multiplier me semble-t-il, car ces ressortissants connaissent parfaitement l’histoire de leur village et le contexte économique : généralement peu ou pas de "service public" etc, de l’extrême pauvreté à qui l’on dit "aides-toi le ciel t’aidera"... une tâche immense à réaliser à l’échelle de tout un pays...

      des petites gouttes pour faire de grandes rivières

      au loin, très loin, la banque mondiale etc


      • Webes Webes 29 août 2008 17:37

        En Afrique ou en Occident les gens sont noirs ou blancs, la politique est rarement aussi tranché !

        Pour un "président du Campus Europa à Montpellier. Partenaire de l’Institut supérieur de management de Cotonou (IIM) et de l’université BK en Afrique de l’Ouest" C est comme meme legerement simpliste et oriente comme analyse !


        • hurlevent 29 août 2008 23:57

          Cet article nous rappelle combien il est impossible de faire la moindre critique à l’égard des Africains.

          Chaque fois que les Africains ont un problème, ils le rejettent sur les autres.

          Les Africains ont subi l’esclavage ? C’est la faute des autres. On oublie simplement de dire qu’ils ont, eux aussi, participé à la traite.

          Les Africains ont des dictateurs ? C’est la faute des autres. Mais au fait, Mugabe, Charles Taylor, ils sont soutenus par qui sinon par des Africains ?

          Les Africains ont un retard de développement évident, et ils sont incapables de se remettre en question. D’après ce texte, c’est encore pour longtemps.


          • MAIKEULKEUL 30 août 2008 01:30

            Pas facile pour ceux qui ne connaissent pas l’Afrique, sauf à l’occasion d’un séjour touristique, de se faire une opinion. Et même lorsque l’on y demeure de longs mois, nous portons des jugements de valeur en tant que toubab (blanc), et non en tant qu’africain.

            Je comprends parfaitement le cri d’alarme de F. Charles à ce sujet.

            La plupart des ONG sur place sont intrumentalisées, et consacrent environ 90% de leurs ressources pour leurs besoins personnels (4x4, hôtels, restaurants, voyages etc..) et 10 % pour la mission qu’ils se sont dévolue. C’est un peu court.

            Et ce n’est pas le discours du nabot à Dakar qui va arranger la situation.

            Si la masse de $ engloutie en Irak (de l’ordre de 3000 milliards de $) avait été investie en Afrique, nous aurions une foultitude de pays émergents.

            Au lieu de cela, la misère pour beaucoup, et pas beaucoup d’espoir, sinon ils ne se lanceraient pas, en mer, sur des pirogues, au risque d’y laisser, pour un nombre important, la vie.


            • hurlevent 30 août 2008 01:45

              Les pays émergents d’Asie n’ont pas eu besoin d’aide occidentale pour décoller. L’important n’est pas de donner de l’argent aux Africains, mais d’investir de l’argent bien dépensé. Or, les Africains se sont révélés incapables de gérer un budget dans l’intérêt de leur pays.

              Une ONG réunit des fonds et finance la construction d’un puits. Deux ans plus tard, ils reviennent sur les lieux... et constatent que le puits, faute d’entretien, est inutilisable. L’ONG tente de réunir des fonds supplémentaires pour remettre le puit en état de marche... mais ne trouve plus de donneur.

              L’incapacité des Africains à investir pour le futur, à adopter le progrès, à tenter d’améliorer des techniques agricoles ou autres a été dénoncée par Sarkozy à Dakar. Mais les Africains ne veulent pas entendre la moindre critique. Ils préfèrent prétendre que tous leurs maux viennent de l’extérieur, et qu’ils n’y sont pour rien.

              Un jour, peut être, ils se remettront en question. Mais quand on voit cet article, on se dit que ce jour n’est pas prêt d’arriver.
               


            • saint_sebastien saint_sebastien 30 août 2008 09:09

              De quel pays d’asie parlez vous ? du Bangladesh ou de la Birmanie ? du Laos ou du vietnam ? ce sont en effet des pays parfaitement développés grace à l’argent des touristes pédophiles européens.


            • hurlevent 30 août 2008 11:36

              "De quel pays d’asie parlez vous ? du Bangladesh ou de la Birmanie ? du Laos ou du vietnam ? ce sont en effet des pays parfaitement développés grace à l’argent des touristes pédophiles européens. "
              Ce commentaire est symptomatique de la haine que certains confèrent à la civilisation occidentale. Sous prétexte que les Occidentaux sont riches, ils supportent tous les tares de l’humanité.
              Il y a des pédophiles africains, asiatiques, européens et américains. Mais que dit ce commentaire ? Que SEULS les pédophiles européens sont coupables.
              Les pays asiatiques que vous citez, malgré tous leurs problèmes, sont tout de même sur la voie du développement. Ils ne sont pas au niveau de l’Europe, mais ils construisent, peu à peu, un artisanat et une industrie qui leurs fournissent de la richesse.


            • TUREBE 30 août 2008 15:59

               !!! les africains n’investissent pas l’avenir !!!!! s’ils arrivaient à assurer le quotidien peut-être !!!! Merci


            • MAIKEULKEUL 30 août 2008 12:25

              @hurlevent

              L’histoire du puits est une faribole. Elle est de la même veine que cette histoire, rapportée d’algèrie, avec le colon qui ne veut pas donner de l’eau aux soldats assoiffés.

              Vous devriez savoir que l’eau est indispensable à la vie, et qu’en Afrique, il fait souvent chaud.

              Comme en campagne, il n’y a pas d’eau courante, expliquez-moi comment ces pauvres africains pouvaient recueilir de l’eau.

              Il faut rester sérieux et éviter de colporter des sornettes.


              • Annie 30 août 2008 13:09

                Sujet passionnant. Les ONG ont abandonné leurs idéaux, éblouies par le miroir aux allouettes que représente l’antichambre du pouvoir. A vouloir jouer dans la cour des grands, elles se sont faites totalement instrumentalisées. Pas toutes je précise, des ONG comme MSF dénoncent systématiquement la mainmise politique des ONG par les bailleurs de fonds.
                Ce qui me paraît beaucoup plus grave, est le rôle que jouent aujourd’hui les ONG dans leurs pays d’intervention. Elles défendent des intérêts "corporatifs", ceux des petits producteurs, des petits agriculteurs, des femmes dans l’industrie textile. Bref elles désamorcent les conflits sociaux en divisant les revendications et en empêchant leur unification. Pire encore, elles réclament la bonne gouvernance. Que veut dire la bonne gouvernance ? est-ce l’absence de corruption ou bien un pays à l’échine courbée ou aux caisses vides qui ne renacle devant aucune des demandes de privatisation des services publics. 
                Même la Banque Mondiale reconnaissait dans un récent rapport que l’intervention du secteur privé dans le développement n’avait pas donné les dividences anticipés.
                Les ONG ne sont pas élues. Elles préconisent des politiques économiques contre lesquelles s’insurgent des intellectuels de ces pays en développement., tels Bello Walden, Denis Brutus et d’autres. Plutôt que de parler de gaspillage, il vaudrait mieux s’interroger sur le rôle et les politiques des ONG, leur degré de représentativité, et surtout d’indépendance.

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