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La campagne électorale péruvienne fait rage

Les principaux aspirants au poste de président jouent leurs dernières cartes, lancent les attaques du round final. Dans un article du 13 mai 2006, le célèbre hebdomadaire The Economist, préoccupé par un premier tour favorable au candidat Ollanta Humala, se questionne : « So will Peru be the next domino to fall to the Bolivarian Alternative for the Americas, an anti-Yanqui political alliance sponsored by Cuba and Hugo Chavez [...] ». Cette interrogation dévoile bien la compréhension parfois trop simpliste que plusieurs analystes aiment à mettre en avant. Associer le commandant Humala à Chavez, voilà effectivement un paradigme clair et précis, qui présente l’avantage de schématiser à l’extrême une réalité trop obscure pour un monde occidental en mal d’entendement.

Certainement, les deux hommes politiques partagent un passé militaire commun, développent des discours anti-impérialistes aux couleurs similaires, traitent de ressources naturelles à préserver, de gringos à mettre à la porte ; bref, soutiennent, somme toute, des lignes politiques qu’il serait effectivement malaisé de ne pas lier. Aussi, parler de rapprochement, de collaboration, de ressemblance : oui. La relation doit être établie. Or, réduire Ollanta Humala à un pantin que Caracas ferait danser à sa guise devient le pas de trop qu’il faut éviter de franchir. Car derrière Chavez, derrière ce symbole qui facilite la compréhension d’une conjoncture globale complexe et ardue à déchiffrer, se cache une multitude de conjonctures nationales uniques, fortes de passés saccagés, d’histoires ébranlées. Aussi, s’il est vrai que Chavez se bat pour la reconnaissance d’un leadership à l’échelle continentale, devient-il dangereux de lui attribuer, à lui seul, le poids des chamboulements que cause une gauche latino-américaine en émoi.

Le cas d’Ollanta Humala s’avère probant en la matière. Ce dernier n’a pas besoin d’un Chavez pour expliquer le modèle qu’il entend proposer aux électeurs péruviens. Son arrivée s’inscrit dans un cycle historique logique : bien plus qu’une rupture, Humala représente, pour le développement de la conjoncture nationale péruvienne, un phénomène de continuité. Pour saisir la portée d’une telle affirmation, remonter la ligne du temps s’avère un processus nécessaire afin de se donner la chance d’élargir un champ de vision à l’étendue souvent trop restreinte.

Le Pérou connut au XXe siècle un développement politique particulièrement instable. À partir des années 1920-1930, l’élite traditionnelle voit son monopole du pouvoir, à ce jour incontestable, battre de l’aile. C’est que les représentants du capital industriel se lèvent enfin, et revendiquent hardiment leur part du gâteau. La désillusion qu’entraîne l’élection d’une première voie modérée de contestation pousse les masses vers une forme de revendication plus violente. Les discours réformistes du début du siècle battent de l’aile. Rien n’a changé. Le début des années 1960, dopé par la victoire castriste, voit s’opérer un changement de méthode assez radical. Pour faire valoir ses revendications, on se lancera désormais sur la voie de la révolution. Des trotkystes déclenchent des guérillas, des adeptes de la théorie del foco, du Che Guevara, suivent également la vague. Ces premières tentatives insurrectionnelles se résorberont toutes dans des échecs. Malgré la victoire des forces répressives, la situation sur le plan national devenait absolument intenable. Le président élu de l’époque, Fernando Belaunde Terry, ne répond pas aux attentes formulées par le peuple ; les masses grognent, la crainte de futurs soulèvements serre les gorges. C’est dans un tel contexte d’effervescence politique que le groupe de militaires dirigés par le général Juan Velasco Alvarado fomenta son coup d’État et s’empara du pouvoir le 3 octobre 1968. Le gouvernement des forces armées se déclare, sur-le-champ, révolutionnaire. Il délaisse la tâche traditionnelle de défenseurs du pouvoir oligarque, et, coup de théâtre, s’applique à lui retirer pour de bon ses prodigieux privilèges. Velasco déclare solennellement que la révolution à mener sera de nature nationaliste, indépendante et humaniste, et qu’elle sera mise au service de la réalité péruvienne. Il adopte une série de mesures impressionnantes, les décrets transformant l’ordre établi abondent. Surtout, une volonté de diminuer la dépendance péruvienne envers les États-Unis, de réaliser, enfin, la souveraineté nationale, se fait sentir.

En 1980 tombe le verdict de la société péruvienne face à l’apport du régime militaire : les échecs supplantent les bons coups. Pour une toute première fois, les forces progressistes se permettent de rêver en voyant apparaître un processus de démocratisation à l’échelle nationale. Après les années 1960-1970, un retour vers une voie modérée se voit ainsi privilégié. Les années 1980-1990 apporteront pourtant, elles aussi, leur lot d’amertume. Le modèle néo-libéral ne sut pas apporter les merveilles qu’il avait promises au peuple péruvien. La participation avec la puissance du Nord n’apaisa pas les misères.

Aussi, la montée d’Humala, ancien chef militaire, au discours très nationaliste, anti-impérialiste, qui prône la conquête de la souveraineté nationale, fait-elle étrangement penser au militaire Velasco qui avait su, bien avant Chavez déjà, proposer un modèle de révolution qui prétendait répondre aux réalités propres aux conjonctures nationales latino-américaines. Velasco, Humala, Chavez... et combien d’autres encore. L’Amérique latine a certes connu sa part de discours populistes !

Si lier Humala et Chavez ne constitue en soi aucune mystification, il est primordial d’aller au-delà d’une simple alliance ponctuelle pour remettre en contexte les différentes forces en jeu. Humala, en tant qu’acteur politique, possède son propre poids historique. Un passé national le précède. Ce petit enseignement devrait nous mettre en garde contre les conclusions trop hâtives, qui aiment à uniformiser en des luttes manichéennes, réductrices à l’excès, des conjonctures aux dynamiques beaucoup plus complexes que ne le laisse présager l’étude d’un présent aux profondeurs souvent négligées.


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1 réactions à cet article    


  • Scipion (---.---.166.205) 5 juin 2006 11:40

    Je déplore vivement la victoire de Garcia. J’avais déjà imaginé la création d’une Union Mongolienne Andine (andine, c’est moins géographiquement correct que latino-américaine, mais plus poétique) réunissant Chavez, Evo et Humala, illustrations emblématiques des dégâts causés par un métissage que des gamins irresponsables rêvent d’importer sous nos latitudes*...

    Cette troïka nous promettait de copieuses tranches de franche rigolade, maintenant qu’il n’y a plus de Moscou pour tirer les marrons du feu... Ce sera pour une autre fois, l’instabilité latino-américaine étant la meilleure garante des dérapages à venir.

    * J’ouvre les paris sur l’identité du premier des gamins irresponsables qui utilisera le terme consanguinité, tiré du catéchisme jacquardien et, depuis, mis à toutes les sauces par les puérils de l’antiracisme... smiley)

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