La Syrie à feu et à sang
La répression à Deraa continue. Cette ville de 75 000 habitants est pilonnée par des chars, des blindés. Les services de sécurité et des paramilitaires dévoués « corps et âme » au clan Assad, « nettoient » la région, poursuivent « le grand œuvre », la contre-révolution. Des manifestants, des familles, tombent sous les balles des snipers, perchés sur les toits. Le pouvoir traque les contestataires dans les rues. Les chasses à l’homme sont la rançon de la révolte. Car tout a un prix. Surtout en Syrie, « le pays de la culture », répétaient aux sceptiques, les orientalistes, fascinés d’exotisme…
On dénombre 450 victimes depuis le début de la contestation. Le mouvement embrase, désormais, tout le pays. Nul besoin d’être un expert pour comprendre les enjeux du « châtiment. » Surveiller et punir pour acheter la paix. Mater des « irréductibles », épris de justice… de liberté. « Pendez les haut et court. »
Il est des contrées où la lucidité est très mal perçue. Encore plus, lorsqu’elle fustige la répartition des richesses, le pouvoir…la corruption. La Syrie, soutenue par la Russie et la Chine- faut-il s’en étonner- en est un exemple criant. On disait le fils « différent du père », proche du peuple, moins autoritaire, « moderne. » Pour un peu, on le faisait passer pour un libéral. Son père était, à lire Antoine Sfeir, franc-maçon en terre d’Islam ! Cette affiliation valait bien que l’on réajuste nos jugements.
Erreur ! C’était le discours relayé par l’Élysée pour justifier la venue de Bachar al Assad à Paris, en 2010. Les masques tombent, les faits d’armes se répètent, survolant les générations. « Tel père, tel fils. » En février 1982, les troupes d’Hafez al Assad entrèrent à Hama - une ville dissidente, située à 200 kilomètres au nord de Damas – et tuèrent entre 10 000 et 40 000 personnes. Objectif …éradiquer les civils qui appelaient à un soulèvement général. Selon Robin Wright, c’est « l’acte le plus sanguinaire commis par un gouvernement arabe contemporain contre sa propre population. » Une « hécatombe » qui a assuré, jusqu’à aujourd’hui, la suprématie du parti Baas et de la famille Assad.
Pour conjurer le sort, sauver la lignée et « les biens mal acquis », le fils, en « historien avisé », utilise les mêmes méthodes, les mêmes subterfuges, espérant bénéficier de la confusion qui règne en Libye, pour reléguer les massacres au rang de fiction. Ou de propagande « israélienne. » Comme son « défunt de père », il justifie des atrocités au nom de la lutte contre les Frères musulmans, dénonçant « le parti de l’étranger » qui vise à déstabiliser la région.
Incapable d’accéder aux demandes de son peuple, jugées « légitimes », il y a encore quelques semaines, le président, fort du soutien des Forces de sécurité et de son armée, prend le risque irréversible de s’aliéner la société civile. Or l’Histoire montre que les systèmes totalitaires s’effondrent lorsqu’ils jouent la carte de l’autisme…de la déconnexion avec les hommes, des idées. On ne gouverne pas un pays dans la terreur, dans le déni de la réalité. La crainte du pouvoir n’a jamais été, d’ailleurs, un gage de loyauté des citoyens… ni de « servitude volontaire. » Bâillonner la liberté d’expression, miser sur les rivalités confessionnelles et entretenir en amont un climat d’insécurité, c’est enclencher des bombes à retardement. C’est au mieux, pour des dirigeants sur le déclin, repousser la chute, malgré une armada d’espions qui maillent les quartiers. Et surveillent le passant au moindre geste.
La garde rapprochée de Bachar al Assad a sous estimé le nationalisme des Syriens, leur fierté, leur amour pour la dignité. Un chiite, un sunnite, un chrétien sont prêts à « mourir en martyrs » pour leur patrie s’ils la jugent occupée, cadenassée. En un mot : en danger. En s’accaparant les richesses du pays, en favorisant un clan au détriment des administrés, ostensiblement et en tirant sur la foule à l’aveugle… cette dynastie s’est comportée en colons, en voyous. Aussi « indignes » en renommée que leurs ennemis historiques, réels ou supposés.
Ce carnage est un récit de famille. L’histoire d’un fils « mal aimé », prêt à tout pour plaire à ses pairs. Montrer à ses contempteurs- Maher al Assad, le petit frère – qu’il est aussi respectable que son géniteur, érigé en héros de la nation. Établir sa virilité, sa filiation au grand dam de ses détracteurs. Persuader la vieille garde qu’il est tout, sauf « un faible. » Un pusillanime, contrairement aux rumeurs de palais. Une « nécessité » pour le jeune président, avide de métamorphose… d’adoubement, de stature. Une thérapie à rebours, une psychanalyse sur fond de crise et d’atonie ne justifie pas le meurtre, ni les purges.
Le fils ne voulait pas de l’héritage. Il pensait ne pas être à la hauteur de la commanderie. Il préférait exercer la médecine à Londres et vivre avec sa femme, en bon « ophtalmologue », loin de la géopolitique, des forfaitures…de l’immonde. En quelques années, à force d’opiniâtreté, de mimétisme… de myopie, il vient de rejoindre son père pour la postérité. La sidération atteint son paroxysme.
Les ambassadeurs restent encore en poste à l’étranger. Les militaires ne débrayent pas. Les hauts-fonctionnaires ne bronchent pas. Aucune condamnation. Pire : aucune protestation de l’élite. Étrange code de l’honneur. Pas l’ombre d’un coup d’État ne se profile à l’horizon, non plus. Tout cela n’annonce rien de bon pour les manifestants. Mais une chose est certaine. Ce gouvernement a encore quelques jours devant lui mais son temps est compté.
On ne peut régner sur un pays impunément. C’était la leçon de Machiavel à Florent de Médicis. C’est une loi intemporelle…aussi. Il y a eu Hama. Maintenant Deraa, le nouveau Budapest, le Tian an’men syrien. Une autre « ville sœur » prendra le flambeau, sous peu.
La mémoire a horreur des injustices. Elle le fera payer au parti baasiste qui-comme toutes les monarchies quand elles ne sont pas « éclairées »- montre sa vision de la société. Son aversion pour le pluralisme, la volonté populaire, le droit commun et le vivre ensemble. Le crime, la brutalité sont les réponses politiques d’un royaume aux abois, qui fait de la répression, un programme pour colmater des problèmes économiques, sociaux. Les fissures du pouvoir.
Pendant ce temps, l’Europe appelle « à la retenue ! » Et le Conseil de sécurité de l’ONU se distingue…lui, par son mutisme.
Voir les vidéos :
Répression du gouvernement à Deraa (source Euronews) :
Attention, cette vidéo risque de choquer. Cliquer sur ce lien (source Agora Vox).
Un témoignage qui contredit un média français (source Europe1.fr) :
Le confessionalisme à l’origine des heurts en Syrie ?
(Source France24)
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