Le secrétaire général de l’ONU, qui ne ménage pas ses efforts, c’est son rôle, espère encore qu’un accord politique contraignant et substantiel sera atteint à Copenhague, vient, à Rome, lors du sommet -un de plus- sur la sécurité alimentaire, de développer l’idée du lien entre changements climatiques et sécurité alimentaire.
Bien entendu, il ne s’agit pas de nier l’incidence du climat sur les activités économiques, en général et sur les productions agricoles en particulier. On ne produit pas grand-chose dans les déserts, ni la même chose dans les régions tropicales, tempérées ou polaires…Pas plus qu’il s’agit de sous-estimer l’importance de connaître les évolutions climatiques, indépendamment de la question de savoir ce qui les provoque et qui fait plus que jamais débat.
Encore moins de nier l’incidence de l’activité humaine à travers le mode de production dominant sur son environnement, y compris sur le climat, même si on a le droit de penser que ce n’est pas le facteur déterminant des changements climatiques. Il ne faudrait plus s’interroger sur le productivisme et les aberrations écologiques dont il est responsable. Au même titre que du sous-développement de continents entiers et de ses conséquences humaines. Et au même titre que la crise financière et structurelle qu’il ne resterait plus qu’à mettre au débit du réchauffement climatique !
Le comble de l’horreur
Un rapport du Fonds des Nations-Unies pour la population, signalé dans Le Monde du 18/11, avance que « le poids de la natalité menacera le climat » Moins d’enfants, cela contribue au ralentissement de la croissance des émissions de g.e.s. Il faudrait atteindre un chiffre (de population mondiale) « écologiquement viable » ! On aura tout lu. Le péril démographique au secours du péril climatique.
Qu’il faille souhaiter aux femmes d’avoir les moyens de maîtriser leur fécondité et donc de briser un certain nombre de tabous, c’est une chose mais justifier cela par des considérations d’ordre climatique, on a peine à le croire.
Ce discours exonère totalement le système économique et politique de toute responsabilité en la matière en faisant du climat le cheval de bataille reléguant les causes politiques des grands problèmes mondiaux au rayon des accessoires, sinon des antiquités.
Il induit que la sous-alimentation, la pauvreté absolue -qui concerne plus d’un milliard d’êtres humains sur 6,8 milliards-, en constante augmentation, est essentiellement la conséquence du réchauffement climatique dont on nous dit qu’il aura des répercussions catastrophiques à brève échéance. En oubliant de rappeler la responsabilité historique des pays riches.
Un bol d’air pur
Heureusement, d’une autre tribune de l’ONU, Jean Ziegler, quelques jours plus tôt, dans son rapport sur le droit à l’alimentation avait développé une approche diamétralement opposée (voir la vidéo sur :
Il a montré que la situation mondiale s’aggravait et qu’il craignait que l’objectif de réduire de moitié la pauvreté extrême d’ici 2015, décidée au sommet du Millénaire, ne soit atteint.
« 100 000 personnes meurent chaque jour de la faim ou de ses suites. Toutes les 5 secondes un enfant de moins de 10 ans meurt de la faim. 854 millions de personnes sont gravement et en permanence sous-alimentées et les chiffres vont en augmentant : 12 millions de plus entre 2006 et janvier 2007… » Le milliard est aujourd’hui dépassé.
Aucune fatalité à ce massacre
Jean Ziegler a rappelé qu’un rapport de la FAO considérait que « l’agriculture mondiale pourrait, sans problème nourrir, sur la base de 2700 calories/jour, 12 milliards de personnes (près du double de la population actuelle)…si l’ordre économique mondial était différent et tenait compte du droit à l’alimentation…il n’y a aucune fatalité à ce massacre quotidien ! »
Il en a caractérisé les causes, avec tout d’abord, l’explosion extraordinaire des prix des aliments de base qui ont augmenté de 41% entre 2005 et 2008, ce qui conduit les pays importateurs (notamment les plus pauvres) à ne pas pouvoir acheter les quantités nécessaires, « des prix responsables de l’augmentation massive des morts »
En second lieu, l’aide humanitaire à l’alimentation voit son budget réduit de 45% :
« Où ils éliminent de la liste ceux qu’on doit aider, des dizaines et des dizaines de millions de personnes, où les rations vont être réduites en dessous du minimum vital… »
D’où vient cette explosion des prix ?
« Essentiellement de la conversion de la production alimentaire en agro-carburants. Ce sont surtout les Etats-Unis et l’Union Européenne qui sont gravement coupables : l’Union Européenne qui, au nom d’une directive, veut que 10% de tous les combustibles énergétiques soient fournis par des agro-carburants dans les 27 pays, quant aux Etats-Unis, ils veulent produire 140 milliards de litres de bioéthanol d’ici 2010. C’est une violation totale du droit à l’alimentation.
Si vous faîtes le plein (50 litres) de bioéthanol, vous brûlez 352 kg de maïs. Avec 352 kg de maïs, un enfant de Zambie, du Mexique…peut vivre une année ! »
A aucun moment le rapporteur spécial de la commission des Droits de l’Homme de l’ONU ne parle de réfugiés climatiques, mais de réfugiés de la faim. Il demande un moratoire de 5 ans sur la production d’agro-carburants à base de produits alimentaires.
Evidemment, de tels propos n’ont guère été relayés par nos médias favoris : c’est qu’ils ne passent pas inaperçus, ils ont le mérite de bannir la langue de bois, ils partent du cœur et de la raison. De son expérience aussi d’une vie consacrée à plaider la cause des faibles contre les puissants.
René Fredon