Les Etats-Unis et la frontière : les murs, un urbanisme de paix ou un urbanisme de guerre
Quelques questionnements sur la pratique du mur dans les politiques de sécurisation des territoires (que ce soit dans le domaine de la sécurité intérieure ou de la sécurité extérieure) aux Etats-Unis, suite au billet « La guerre, la ville et le mur » (22 janvier 2009).
Peut-on confronter la politique d’immigration menée par les Etats-Unis pour empêcher le passage des immigrants clandestins sur leur territoire et la politique de sécurisation menée en Irak, tout particulièrement dans la ville de Bagdad ? Ces deux enjeux sécuritaires se rapprochent sur au moins un point : celui de l’utilisation du mur dans les enjeux sécuritaires. Les murs de séparation pour les Etats-Unis : un urbanisme de paix ou un urbanisme de guerre ?
La question de la matérialisation de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, à travers la construction d’un mur, a fait coulé beaucoup d’encre parmi les journalistes. Le tracé de la frontière actuel a fait l’objet de nombreuses disputes territoriales au XIXe siècle, et ne s’est stabilisé qu’après 1853 (voir l’historique de cette frontière proposé par Fabien Guillot sur son site "Géographie sociale et politique"). Pour Michel Foucher, géographe spécialiste de la question des frontières, "Tracer une frontière est un acte géopolitique par excellence puisqu’il s’agit de délimiter des aires d’exercice de la souveraineté, d’inscrire le politique dans l’espace" (Frontières à retracer : un point de vue de géopoliticien", Frontières et limites, acte de séminaire, Centre Georges Pompidou, Paris, 1991, p. 69). De ce fait, la matérialisation de la frontière ne peut être vue comme une seule politique de sécurité : elle est aussi un symbole très fort pour les populations qui se retrouvent des deux côtés de ce mur-frontière.
Ainsi, la matérialisation de la frontière est un important marqueur spatial de la souveraineté d’un Etat sur son territoire. L’enjeu n’est pas seulement migratoire, il est également symbolique et politique. D’une part, contrôler son propre territoire estun des enjeux de la puissance d’un Etat, d’autant plus fondamental à l’heure d’une forte médiatisation de tous les recoins de la planète, pour un pays comme les Etats-Unis confronté à la recherche du maintien de leur puissance hégémonique. D’autre part, contrôler son propre territoire est également un enjeu politique intérieur, tout particulièrement dans les périodes électorales. Le thème de la sécurité est plus que jamais ancré dans les discours politiques : d’une part, la part de "l’Autre" a toujours marqué l’histoire des hommes, à la fois pour des thèses culturalistes (cet "Autre" aux moeurs et à la culture différentes) et pour des thèses malthusiennes (un afflux massif de populations ne pourra être absorbé, notamment face au manque de ressources qu’il engendrera). Il ne s’agit pas de discuter les bien-fondés et les fantasmes qui formatent ces peurs, mais de constater qu’elles engendrent des représentations particulières (avec un rejet marqué d’un "Autre" mal défini), qui elles-mêmes apppelent des réponses politiques (notamment au gré des enjeux électoraux). Force est de constater que la matérialisation de la frontière Etats-Unis/Mexique correspond à une "demande" en termes de sécurisation du territoire. Demande d’ailleurs précédée d’actions "associatives" (du fait de l’omniprésence de milices privées qui se sont auto-désignées pour assurer la surveillance de la frontière), qui montrent combien la peur d’une perte de souveraineté étatique et de contrôle territorial influence les représentations, et même les actions des habitants proches de la frontière Etats-Unis/Mexique. La matérialisation de la frontière a donc été précédée par une construction mentale (celle d’un "mur perçu", si l’on se réfère au concept de "frontière perçue" et de "frontière vécue") qui s’ancrait dans la société du Sud des Etats-Unis et s’inscrivait dans les pratiques spatiales. Du côté états-unien, le mur a donc été dans les têtes, avant d’être matérialisé. Du côté mexicain, la présence de milices privées a également marqué de longue date (bien avant la construction d’un mur) l’impossibilité ou du moins l’interdiction de passer la frontière illégalement : la frontière était déjà un territoire du danger pour tous les immigrés clandestins. Par conséquent, avant la matérialisation du mur, la frontière Etats-Unis se construisait déjà comme un mur-frontière, tant dans les représentations, dans les discours politiques que dans les pratiques spatiales.
A lire sur le mur-frontière entre les Etats-Unis et le Mexique :
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"Mexique / Etats-Unis : frontière, immigrations et inégalités sociales...", sur le site de Fabien Guillot Géographie sociale et politique.
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Des documents pédagogiques sur les sites et blogs de différents professeurs d’histoire-géographie : le blog du Lycée Molière de Villanueva de la Cañada ; le blog de M. Augris ; le site de l’académie de Nantes.
Les murs de séparation à Bagdad
Autre forme d’insécurité à laquelle sont confrontés les Etats-Unis, par le biais de leur intervention militaire menée en Irak : le maintien de l’ordre dans une opération militaire. Les murs de séparation sont dotés de plusieurs objectifs : stabiliser la situation entre les communautés qui s’opposent ; empêcher les acteurs déstabilisateurs d’opérer des exactions dans les territoires appropriés par l’autre groupe (quelque soit la façon dont les groupes se définissent en tant qu’ennemi dans une guerre larvée : différenciation politique, sociale, identitaire...) ; permettre aux militaires déployés à Bagdad d’établir des points de contrôle pour canaliser les déplacements urbains... Il s’agit là de la matérialisation de lignes de fracture intraurbaines, c’est-à-dire de frontières mentales qui marquent de fortes ségrégations dans l’organisation structurelle de la ville (et ce bien avant la guerre, qui a été un accélérateur de ces processus de différenciation et de regroupement communautaires). Pourtant, les murs à Bagdad, comme tant d’autres, sont éphémères : "les frontières étanches n’ont jamais existé"("A bas les murs !", Cafés géo, 4 février 2008). Et les murs appelent également à de nouvelles territorialités entre enfermement (symbolisé par le seuil qu’il faut franchir, avec autorisation, pour pénétrer dans l’autre territoire) et transgression de l’interdit. Que ce soit par l’enclavement du territoire approprié ou par les flux transgressant cet enclavement, le mur laisse des stigmates dans les pratiques spatiales et la configuartion de l’espace socioculturel (voir le billet "La guerre, la ville et le mur" du 22 janvier 2009).
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Le blog de Stéphane Taillat "En vérité", tout particulièrement les billets "Murs et mandats : maintien de l’ordre et sécurité à Bagdad" (31 décembre 2008) et "Retour à Sadr City" (15 mai 2008).
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Certains articles du Centre de recherche sur la mondialisation (Mondialisation.ca en français et GlobalResearch.ca en anglais), notamment "Les barrières de sécurité à Bagdad : consécration d’un nouvel apartheid intensifié par la guerre" (Jules Dufour, 26 avril 2007) et "Walls of Apartheid : Ghettoizing Baghdad" (Felicity Arbuhnot, 25 avril 2007).
Billet publié à l’origine sur le blog "Géographie de la ville en guerre" (le 10 juillet 2009).
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