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Tomates, communisme et libéralisme en Chine

Dans la bonne soupe du journal télévisé et du prêt-à-penser médiatique français, il est de bon ton de dire que la Chine est le pays du "capitalisme sauvage". Ce tour de passe-passe intellectuel permet notamment aux ex-maoïstes occidentaux de retourner leur veste afin de critiquer un pays devenu aujourd’hui un repoussoir commode. Mais si aujourd’hui la Chine était encore trop communiste et pas assez libérale ? C’est l’opinion d’une partie importante de la population chinoise, qui s’exprime ces derniers jours sur une sombre affaire d’achat forcé de tomates...

Guiyang est une ville moyenne de 3,7 millions d’habitants, capitale de la province reculée de Guizhou, à plus de 2 500 km au sud de Pékin. Son nom signifie "soleil précieux", et c’est effectivement l’une des métropoles chinoises les moins ensoleillées. Cela n’empêche pas les cultivateurs du coin de produire des tomates, et même beaucoup de tomates ces derniers temps. Résultat, elles ne se vendent pas, les prix chutent et les cultivateurs de ces aimables solanacées appellent à l’aide.

Ce genre de problème n’arrivait pas dans la Chine maoïste. Les paysans n’étaient en fait que des ouvriers agricoles, ne produisaient officiellement que ce que le Parti leur demandait, et les prix étaient fixés par l’Etat. Lors du "Grand Bond en Avant" (1957), tout le monde ou presque s’affairait ainsi autour de haut fourneaux artisanaux afin de "rattraper la production d’acier des pays capitalistes". La Chine avait ainsi connu sa plus effroyable famine du XXe siècle, dont la responsabilité était de surcroît entièrement humaine, mais les ruraux s’en étaient un peu mieux tirés que les populations urbaines.

Les réformes initiées par Deng Xiaoping avaient commencé par les campagnes : libéralisation des marchés agricoles, possibilité donnée aux individus d’exploiter des terres concédées par l’Etat en baux à long terme. Au début des années 80, il faisait plutôt bon vivre pour les entrepreneurs agricoles (voir par exemple le film emblématique Ye Shan, Dans les montagnes sauvages - 1985). Cependant, la progression éclair de l’économie chinoise a vite été marquée par le développement des activités secondaires, au détriment de l’ancienne suprématie agricole, et le pouvoir d’achat des agriculteurs a commencé à stagner puis à baisser dans les années 90.

Mais idéologiquement, le Parti communiste chinois a toujours voulu montrer s’appuyer d’abord sur le prolétariat des campagnes, et il va aujourd’hui de sa légitimité historique de continuer à s’en préoccuper.

Devant la grogne des cultivateurs de tomates n’arrivant pas à écouler leur production dans la ville de Guiyang, ces dernières semaines, les autorités municipales viennent donc de faire circuler un édit en caractères rouges dans toutes les unités de travail étatiques sous sa juridiction. Il ordonne que chaque cadre achète 50 kg de tomates pour soutenir les cours.

Devant cet interventionnisme fleurant bon les années de plomb, juristes et économistes chinois ont vu rouge eux aussi. Il est aisé de démontrer la maladresse économique de la mesure, car elle peut encourager les cultivateurs à produire encore plus de tomates dont personne ne veut. Toutefois, les intellectuels chinois ont choisi de se placer d’abord sur le terrain du droit, car c’est celui-ci qu’ils veulent développer pour voir apparaître une Chine plus libérale et plus libre. Selon l’un d’eux qui signe du pseudonyme "Vent d’Automne" à la page 3 de l’édition du 2 septembre du quotidien libéral Xin Jing Bao (Beijing News), L’Etat ne doit pas encombrer le marché des "agents commerciaux" de la tomate.

Pour "Vent d’Automne", les autorités n’ont pas fait qu’envoyer un mauvais message aux cultivateurs. Elles ont aussi empiété sur les droits des citoyens. Aujourd’hui et contrairement au passé maoïste, l’identité citoyenne prime sur l’identité employé. Obliger du personnel à acheter des tomates est un viol des droits civiques. Circonstance aggravante, explique l’auteur, l’Etat a un intérêt caché dans l’affaire : obtenir le soutien des paysans. Et il n’est pas juste qu’il fasse payer d’autres acteurs pour atteindre pour faire prospérer son seul intérêt.

Derrière cette rhétorique d’apparence modérée se cache une critique virulente du pouvoir et de la philosophie politique communiste. Il faut lire entre les lignes qu’il est scandaleux que le Parti utilise des employés de l’Etat pour se payer une légitimité, de surcroît dans une vision démagogique de court terme.

Si beaucoup d’intellectuels chinois voient encore le Parti comme un mal nécessaire, son idéologie et ses membres sont aujourd’hui de plus en plus discrédités. Après la lobotomisation temporaire des jeux Olympiques, qui n’a d’ailleurs pas touché que la Chine, les internautes, les journalistes et la société civile chinoise redoublent de critiques à l’égard du pouvoir.

D’autres journaux, comme le Quotidien légal (Fazhi ribao), ont aussi publié des tribunes contre la circulaire de la municipalité de Guiyang, et l’on peut comprendre que le régime de Pékin ne soutient pas son administration locale, comme souvent il est vrai. Même au sein du Parti, les idées libérales progressent. Ce n’est pas pour autant un "libéralisme sauvage". Il y a effectivement des choses à faire pour aider les paysans, affirme ainsi "Vent d’Automne", comme améliorer les infrastructures publiques et leur vie quotidienne.

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12 réactions à cet article    


  • aquad69 4 septembre 2008 14:18

    Bonjour Exsina,

    ma parole ! Mais les débats fleurissent en Chine !

    Et la censure, réelle sans doute, n’y est peut-être pas aussi omniprésente que notre propagande à nous voudrait nous le faire croire.
     
    Tout comme en Russie, d’ailleurs, où la presse parait être singulièrement plus libre et plus indépendante que chez nous !

    Décidément, ces occidentaux qui croient être, avec beaucoup de prétentions et d’arrogance, les gens les plus libres, les plus informés et les plus clairvoyants du Monde, n’en sont peut-être en réalité que les plus déculturés, les plus illusionnés et les plus intoxiqués par un certain marqueting idéologique :

    en un mot, les plus envoûtés...

    Cordialement Thierry


    • Spyc 4 septembre 2008 16:26

      @ aquad69 : l’auteur indique dans son article qu’il y a un début de possibilité de critique du régime par les citoyens chinois (en Chine), ce qui est déjà pas mal.

      De la à dire que la Chine est un pays libre (plus libre que la France), il y a un gouffre que peu d’esprits raisonnables essaieraient de franchir !

      De plus vouloir prétendre que la Russie est aussi un pays d’expression libre alors que des reporters se font encore régulièrement assassinés est d’un aveuglement débilitant : certe la Russie est plus ouverte que la Chine, et certe Sarko a tendance à virer dictateur parano, mais les français restent bien plus libre de s’exprimer que les russes ou les chinois ...

      Sinon je vous invite à changer de nationalité et à nous raconter de l’intérieur comment ça va là-bas (si possible en essayant de critiquer leurs régimes) !


    • sacado 4 septembre 2008 14:38

      L’histoire est intéressante, merci pour l’info.

      Bon, cela dit, c’est comme si on demandait aux gens de payer un supplément d’impôts de 50 € pour soutenir les agriculteurs (ou les pêcheurs, ou les routiers, etc.) Bref, ça se fait aussi chez nous, et je n’ai pas spécialement l’impression qu’on vive sous un régime communiste...

      Et globalement, la PAC qui a cours chez nous comme son équivalent aux États-Unis n’ont rien de particulièrement libéral (qu’on s’en réjouisse ou non), alors avant qu’on puisse donner des leçons d’économie et de respect des libertés individuelles aux autres...


      • Renaud de Spens Exsina Spectans 4 septembre 2008 15:06

        Merci pour le commentaire.

        Ce n’est cependant pas exactement pareil que la PAC pour plusieurs raisons : dans les pays occidentaux, les aides sont souvent des incitations ou des compensations (bien qu’elles puissent avoir des effets pervers aussi), pas des achats forcés qui encouragent la production. Il vaut mieux inciter les agriculteurs à planter autre chose que de la tomate dans le cas de surproduction de tomate. De plus, l’impôt est anonyme et relativement équitable. Demander aux cadres des administrations et entreprises étatiques d’acheter des tomates est effectivement, au sens du droit, un abus de pouvoir. Ce n’est pas à un patron, fut-ce un organe d’Etat, de vous obliger à aller acheter des tomates, cela n’entre pas dans le contrat de travail !

        Enfin, vous l’aurez compris, les libéraux chinois utilisent surtout cette affaire comme un prétexte pour faire progresser l’idée d’Etat de droit en Chine.


        • krolik krolik 4 septembre 2008 15:15

          Article très intéressant.
          C’est par ce genre de "touche" émanant d’une personne du cru que l’on apprend les changements profonds d’une société.
          En France, la vente forcée/taxée du sel : la gabelle a été l’un des éléments poussant à la chute de l’Ancien Régime.
          @+


          • Daniel Roux Daniel R 4 septembre 2008 17:02

            L’évolution de la société Chinoise suivra l’évolution du niveau d’éducation de la population, comme cela s’est passé en Europe. Le temps fera son oeuvre là-bas comme ici.

            En lisant votre histoire de tomate et de la réaction des milieux éduqués chinois, je repensais à la fausse liberté d’achat qui régnait chez nous, en France.

            Je m’explique, mon vieux grille-pain fabriqué en France est tombé en panne après quinze ans de bons et loyaux service. Je n’ai pas voulu le réparer car il contenait probablement de l’amiante. J’en ai donc acheté un autre de marque française. Quelques semaines plus tard, les grilles internes ne tenaient plus en place et sortir une tranche de pain grillé devenait un passe-temps de longue durée.

            Après examen des causes, j’ai constaté que l’appareil était mal conçu, les diamètres des axes et le métal utilisé étaient inadéquats, trop fins, trop souples. L’appareil était fabriqué en Chine ou dans un autre pays exotique à bas coût.

            Nos usines ferment, nos savoir faire sont confisqués, nos emplois sont délocalisés avec nos technologies de pointe, et en plus on nous oblige a acheté des produits défectueux parce que plus personne ne veut plus fabriquer en France des produits de qualité. Des produits qui seraient forcément plus chers et que les groupes de distribution refuseraient de vendre de toute façon.

            Pas besoin d’avoir une dictature au pouvoir pour marcher sur la tête et déséquilbrer une société, laisser le Marché et les financiers faire.

            Comme disait Coluche, confiez leur le Sahara, dans deux ans ils importeront du sable.





            • Tarouilan Tarouilan 5 septembre 2008 02:14

              >>> Nos usines ferment, nos savoir faire sont confisqués, nos emplois sont délocalisés avec nos technologies de pointe, et en plus on nous oblige a acheté des produits défectueux parce que plus personne ne veut plus fabriquer en France des produits de qualité. Des produits qui seraient forcément plus chers et que les groupes de distribution refuseraient de vendre de toute façon. <<<

              Erreur, les deux problèmes avec un pays lointain comme la Chine, c’est le cout du transport du container + les taxes anti-dumping...protectionistes.. pour exporter à l’étranger, et l’Europpe est experte dans ce type de taxe stupides...c’est a dire que l’on préléve sur une marchandise utile pour nous, un impôt malsain, car beaucoup trop fort et ABSURDE .... mais devant une telle ineptie, les entreprises chinoises on compris comment contourner ce genre d’idioties.

              Reste le transport, et la il est évident, qu’un produit de la meilleure qualité possible, sera le plus rentable, car le ratio prix sur cout du transport, sera à son avantage..... prions pour qu’ils continuent à nous envoyer de la pacotille...

              Quand à notre savoir faire ...... ha ha ha..... Ils n’ont plus besoin de nous.... c’est bientôt l’europpe qui devra songer a faire de l’intelligence économique la bas... VOUS AVEZ VU le train a grande vitesse qu’ils viennent de réaliser...


            • Francis, agnotologue JL 4 septembre 2008 18:16

              ""Laisser le marché faire" dit le commentaire précédent"". Dommage, ’aiamis bien le début.

              Pour ma part et après lecture de l’article, je dirai plutôt que la Chine découvre que le marché ne s’autorégule pas. Cela commence par des tomates, et quand ça a pris de l’assurance et de l’embonpoint, ça nous fait des crises de subprimes.


              • Daniel Roux Daniel R 4 septembre 2008 19:01

                @ JL

                Aurais-je mal rédigé ? Coluche lui était plus clair.

                Nouvel essai : Pas besoin de dictature pour marcher sur la tête, le Marché et les financiers s’en chargent très bien.


              • Francis, agnotologue JL 4 septembre 2008 20:53

                Daniel R, j’ai lu trop vite : votre remarque est excellente.


              • Tarouilan Tarouilan 5 septembre 2008 01:52

                C’est très touchant, d’essayer de résoudre ce problème de tomates de la sorte, je trouve... en France, pour le privé...nous aurions eu un Tapi, qui aurait restructuré la production en licenciant les 3/4 des paysans... et pour l’état nous aurions constitué une commission d’enquête, qui aurait rendu un rapport dans de nombreux mois, bien après que cette affaire soit totalement oubliée... vous pensez vraiment que l’on aurait fait mieux...


                • cathy30 cathy30 5 septembre 2008 10:19

                  article très interessant à part ceux en chinois.

                  ,je leur fais confiance, ils vont très vite apprendre l’économie de marché à grande échelle.
                  La révolution chinoise à profondément marquée la pensée de ce peuple. Le sacrifice pour le développement de la chine fait parti intégrante du pays. Tout comme notre révolution française pour nous. Cela va laisser beaucoup de monde sur la touche comme au temps du communisme,
                  une autre version pour un pays qui se développe à une vitesse grand V

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