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Accueil du site > Actualités > International > Viols au Congo : Les médias français esquivent le sujet

Viols au Congo : Les médias français esquivent le sujet

Pour de nombreux Français, l’évènement du jeudi 21 novembre, ce sont les retrouvailles de l’ancien Président Jacques Chirac avec François Hollande au Quai Branly. Les deux hommes ont été chaleureusement applaudis et les images font le tour des rédactions. L’actualité s’arrête là et il faut passer à autre chose. Mais pourquoi les deux hommes se sont-ils retrouvés là ? 

En réalité, ce n’est pas le hasard qui explique le silence sur la question. La question n’est pas posée parce que la réponse ouvre la porte à un monde plutôt sordide, un monde sur lequel les « grands médias » auraient, manifestement, instruction de parler le moins possible.

Ce monde atroce se résume par l’activité d’un homme : le Docteur Denis Mukwege, le célèbre gynécologue congolais qui « répare » les organes génitaux des femmes victimes de viols de masse. C’est une véritable catastrophe qui détruit la nation congolaise à petit feu et sur laquelle la loi du silence est entretenue des plus reculés villages de l’Est du Congo aux luxueuses salles de rédaction des grands médias. Le Docteur Mukwege a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat et s’est même réfugié un temps, en Belgique, avant de retourner auprès de ses patientes. Ces femmes congolaises, oubliées des médias, s’étaient cotisées pour payer son billet de retour à Bukavu. L’an dernier, un livre intitulé « L’homme qui répare les femmes  » lui a été consacré par la journaliste belge Colette Braeckman.

C’est pour lui remettre le Prix 2013 de la Fondation Chirac que les Présidents Chirac et Hollande se sont retrouvés côte-à-côte au Quai Branly.

Mais pourquoi la presse a-t-elle « esquivé » ce sujet, pourtant central, pour s’étendre toute la journée sur l’« anecdotique » rencontre entre deux corréziens ? C’est qu’il s’agit d’un sujet « difficile » pour de nombreux journalistes occidentaux.

Cachez ce génocide que je ne saurais voir

Les victimes de viols dont s’occupe le Docteur Denis Mukwege dans son hôpital de Panzi, à Bukavu (Est du Congo) ne sont pas là par hasard. Depuis 1999, le chirurgien et son équipe ont opéré plus de 40 mille femmes et petites filles victimes de viols utilisés comme arme de guerre. Plus de 500 mille femmes ont été violées dans l’Est du Congo où, par ailleurs, le HCR estime à près de 3 millions le nombre des Congolais chassées de leurs terres.

Mais qui commet ces atrocités sur les populations congolaises et pourquoi ? La réponse se trouve dans les récits des victimes. Presque toutes racontent que leurs violeurs parlent kinyarwanda, la langue du Rwanda voisin. On les a longtemps présentés comme étant exclusivement des FDLR (les rebelles rwandais opérant dans l’Est du Congo) avant de reconnaître la responsabilité de soldats rwandais opérant, soit sous couvert d’une « rébellion congolaise », comme le M23[1], soit en tant que « soldats congolais » issus des groupes armés liés au régime rwandais de Paul Kagamé.

En réalité, il s’agit de personnes exécutant une même mission : celle consistant à éliminer le plus de Congolais autochtones possibles. Les viols systématiques servent à détruire pour de bon des familles entières et à vider des villages pour dégager des espaces, notamment dans les zones minières. Ces espaces sont réoccupés par des populations en provenance du Rwanda et de l’Ouganda, dans le cadre d’un plan visant à annexer, à terme, les régions de l’Est du Congo au Rwanda et à l’Ouganda.

C’est un vieux secret de polichinelle et de nombreux dirigeants occidentaux soutenant le régime rwandais de Paul Kagamé l’ont déjà approuvé, du moins sur le principe, peut-être pas sur les méthodes utilisées par les autorités rwandaises. Ainsi, en janvier 2009, le Président Sarkozy a affirmé, au cours du vœu au corps diplomatique, que « le Congo doit partager son espace et ses richesses avec le Rwanda »[2]. Et il n’est pas le seul. L’ancien secrétaire d’Etat américain aux affaires africaines, Herman Cohen, a affirmé, d’un air enthousiaste, qu’au Département d’Etat américain « le Kivu fait partie du Rwanda . »

Les exécutants de cette campagne d’extermination des populations utilisent plusieurs stratagèmes. Les FDLR sont souvent manipulés pour commettre des atrocités sur les populations congolaises et fournir au régime de Kigali des prétextes pour envahir l’Est du Congo et y déverser ses agents présentés comme des « rebelles congolais » en lutte contre les FDLR. En réalité, ces « rebelles » envoyés par Kigali et les FDLR se livrent à la même activité consistant à terroriser les populations congolaises en recourant notamment aux viols systématiques.

Il arrive que les autorités congolaises, dos au mur, signent des accords de paix et intègrent ces combattants rwandais dans les rangs de l’armée nationale. Ils se mettent alors à violer sous l’uniforme de l’armée congolaise. Ainsi dans l’Est du Congo, officiellement, tous les groupes armés et les soldats gouvernementaux commettent des viols.

Un gros mensonge puisqu’il s’agit d’un même groupe d’individus, les combattants rwandais (hutus et tutsis confondus) qui se livrent à une même activité en changeant tout simplement d’étiquette (FDLR, « soldats congolais », M23, APR, faux Mai-Mai) dans le cadre d’une même mission.

Pourquoi les médias évitent-ils d’aborder le sujet ?

La guerre du Congo n’est pas seulement une guerre d’extension territoriale pour les Président Kagamé (Rwanda) et Museveni (Ouganda). C’est aussi, et surtout, une guerre des multinationales qui se bousculent à Kampala et Kigali devenus les comptoirs des minerais de sang pillés dans les riches gisements de l’Est du Congo.

Les dirigeants de ces multinationales entretiennent des liens étroits avec nos « respectables » dirigeants politiques occidentaux dont nombreux sont tout à fait au courant des massacres infligés aux populations congolaises mais font semblant d’ignorer. Ces multinationales sont parfois propriétaires des groupes de presse et contrôlent une grande partie de l’information livrée aux auditeurs et téléspectateurs occidentaux.

Ce n’est pas par hasard que la mort de six millions de Congolais, la moitié étant des enfants ; le viol de 500 mille femmes et le déplacement forcé de 3 millions de personnes passent inaperçus dans les médias occidentaux. Il ne s’agit pas d’informations qui n’intéressent pas le public. Il s’agit d’une information qu’il faut à tout prix dissimuler parce que la vérité derrière ce massacre et ses commanditaires pourrait soulever une vague d’indignation à travers le monde. Bien de nos dirigeants sont mouillés jusqu’au cou dans la plus grande campagne d’extermination des populations depuis la seconde guerre mondiale.

Une anecdote résume à peu près cette vaste omerta politico-médiatique. Dans le cadre du débat sur la « responsabilité de protéger », une doctrine au nom de laquelle les Etats-Unis envisageaient de bombarder la Syrie, après avoir justifié leur intervention en Libye, le cas des populations de l’Est du Congo a été évoqué. L’ancienne Ambassadrice américaine à l’ONU, maintenant Conseillère à la sécurité nationale, Susan Rice, a défini la situation du Congo comme étant « compliquée ». Elle a préconisé que, sur le cas du Congo, Washington devait « détourner le regard »[3]. Parce que c’est compliqué. Trop d’intérêts sont en jeux.

Et si c’est si compliqué pour un haut responsable de la première puissance du monde, c’est forcément plus compliqué pour de "modestes" journalistes français. Alors, on parlera de Jacques Chirac, de François Hollande et de leurs retrouvailles.

Deux anciens élus de la Corrèze se sont rencontrés à Paris. Vous vous rendez compte ? C’est un grand évènement en France et les salles de rédactions se bousculent.

Le Docteur Denis Mukwege et ses 500 mille femmes violées au Congo ? Connait pas…

C’est quoi déjà le « congo » ?

Boniface MUSAVULI


 


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13 réactions à cet article    


  • tiloo87 tiloo87 22 novembre 2013 17:12

    Dans l’indifférence générale, effectivement.
    Merci pour l’article.


    • CASS. CASS. 22 novembre 2013 18:45

      ouai et les réfugiés syriens (suite à l’agression criminelle programmée de la souveraine Syrie , par les impérialo sionistes et la saoudite) vendent à tour de bras leurs organes pour avoir de quoi donner à manger à leurs enfants, ceux - ci sont stockés et conservés prêts à la vente en arabie saoudite (réunion hollande avec ses amis saoudite et netanyahu à tel aviv = réunion du gang criminel)


      • smilodon smilodon 22 novembre 2013 19:28

        Sur un texte d’Aragon Ferrat aura chanté « la femme est l’avenir de l’homme » !... C’est pas pareil partout dans le monde !... Pour ça peut-être que les africains, du sud, du milieu ou du nord n’espèrent qu’une chose !... Venir ou arriver ici !... Ce pays tellement raciste !... Mais tellement plus beau que « leur » pays !...... A tous ces « africains » !!!.. Du Nord, du milieu ou du sud !...Quel beau pays !!..Mais pourquoi donc veulent-ils tous le quitter ce beau pays ??.. Pour venir ici, ou il fait froid 5 mois par an, et où tous les gens sont « racistes » ???!!.. Pourquoi quitter de si beaux pays ???....A titre strictement « perso », je comprend pas !.?.. Y’a quoi ici, qui soit plus beau que là-bas ???.... Expliquez-moi !!..... J’ai peur d’être passé à côté d’un truc !......Adishatz.


        • cathy30 cathy30 23 novembre 2013 08:27

          smilodon

          comme vous avez raison, à moi aussi il faudrait que l’on m’explique. Mais nous allons vraiment croire à force que nous sommes des sauvages.


        • Laurenzola Laurenzola 22 novembre 2013 19:49

          J’ajouterais à votre article que cette situation « complexe » au Congo a été principalement lié à l’exploitation du coltan, une terre rare indispensable à la production des téléphones portables. Chacun pourra ainsi mesurer les conséquences d’un modèle économique pervers, ou chaque consommateur se retrouve complice de cette barbarie.


          • MUSAVULI MUSAVULI 22 novembre 2013 19:55

            Merci Laurenzola pour ce rappel. J’ai justement fait publier un article sur le sujet. Suivre le lien : http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/rd-congo-le-massacre-d-un-peuple-139469


          • tinga 22 novembre 2013 22:28

            Vos articles sont déprimants, néanmoins nécessaires, la destruction des sociétés par le viol est une histoire ancienne, partout, les choses tournent mal en Afrique, objet de toutes les convoitises, le pire c’est de n’entrevoir aucune solution, « trop compliqué » , c’est évident que le pillage est plus simple.


            • claude-michel claude-michel 23 novembre 2013 08:00
              « Les médias français esquivent »....surtout en France ou ce grave problème est mis sous le paillasson...alors l’Afrique.. ?

              • cathy30 cathy30 23 novembre 2013 08:23

                Parce qu’en Afrique le viol est une incitation des multinationales ? Non, elles se servent des coutumes locales. Les français ont essayé d’apporter leurs modes de vie, et cela n’a pas fonctionné. Les africains sont des peuples différents de l’occident. Quand ça chauffe sur les territoires d’immigration, pensez-vous vraiment que c’est de notre faute ? La violence et la soumission d’autruis est aussi un mode de vie.

                A présent les municipalités ne remplacent plus la casse répétée dans les quartiers difficiles, plus d’argent pour cela.

                Le racisme ? Non, nous n’en sommes plus là. Même les flics n’en peuvent plus, on ne leur donne plus de moyen pour faire leur boulot.

                Alors c’est vrai il ne vaut mieux pas parler de tous ces problèmes, parce que les français et les multinationales ne sont pas prêts à changer quoi que ce soit dans leurs fonctionnements.

                 


                • MUSAVULI MUSAVULI 23 novembre 2013 14:39

                  Cathy,

                  Les viols dans l’Est du Congo n’ont rien à voir avec les coutumes locales. Les Congolais n’ont jamais eu la réputation d’être des violeurs. Comme l’a si bien reconnu la journaliste belge Colette Braeckman dans son livre, les Congolais adorent la femme. Si vous suivez la musique congolaise, vous serez frappée par une chose : la femme est adulée, adorée, presque divinisée. Non, au Congo, la femme est un être sacré et dans tout le pays, on l’appelle « maman ».

                  Les viols dans l’Est du Congo s’inscrivent dans une stratégie délibérée, celle de la destruction d’une nation en la frappant sur ce qu’elle a de plus sacré : la « maman ». L’objectif est de détruire les repères de la société pour la soumettre. Et pourquoi tient-on à soumettre les Congolais ? C’est là qu’interviennent les multinationales. Elles ne veulent pas se procurer les minerais du Congo en négociant avec un gouvernement légitime et une administration responsable. Elles ne veulent pas faire face aux manifestations des habitants qui ne seraient pas contents pour x ou y raison. Elles veulent un vide politique. Une population en fuite, un Etat inexistant. Elles traitent avec des seigneurs de guerre qui ne rendent compte à personne, ne construisent ni route, ni école. Dans un tel environnement, les minerais du Congo reviennent moins chers pour que, en Europe, vous puissiez acheter un téléphone portables et des gadgets électroniques à chacun des enfants de votre famille. Parce que la matière première servant à la fabrication de ces appareils (coltan, or, niobium, cassitérite,...) les multinationales se la procurent dans un pays dont la population a été préalablement détruite en tant que société structurée. Les survivants n’ont d’autre choix que de se soumettre à l’arbitraire des seigneurs de guerre qui contrôlent les gisements de la région et font des affaires avec les multinationales.

                  Ce n’est donc pas une affaire de coutumes locales, mais bien une stratégie associant les multinationales et les « bandits » de tous bords transformés en partenaires dans le cadre de ce que Naomi Klein appelle « le capitalisme du désastre ».

                  Excusez-moi d’avoir été un peu long. 



                • cathy30 cathy30 23 novembre 2013 18:22

                  Je connais également une enfant de 13 ans qui s’est fait sodomiser par 3 congolais en toute normalité.


                • Bertrand Loubard 25 novembre 2013 20:58

                  Le receleur est pire que le voleur…..Ne pas dénoncer les Rice, Albright, Clinton, Rodham, Power, Powell, Kagamé, Kabila, Musévéni, Annan, Dallaire, Prosper, Blair, Sarkozy, Hollande, Giscard, Kouchner, Gahima, Kayumba, Rujugiro, Rudasingwa, Kabuye, d’Avignon, Eyskens, Michel and C°…….. par leur nom et leur petit nom………..ne serait-ce pas « couvrir » des receleurs des fabuleux profits générés par la Guerre des Grands Lacs ? En effet, ne serait-ce pas ceux-là mêmes, qui seraient pire que les violeurs. La structuration de la propagande prévoit de susciter une repentance globale sécurisante pour chaque individu en particulier. Elle structure la culpabilisation de la collectivité anonyme au détriment de celle des personnes réellement impliquées. Donner la véritable identité des véritables profiteurs impliquerait qu’ils passent véritablement en justice, pour la vérité, la justice et la réconciliation, comme l’a proposé Desmond Tutu. Mais cette éventualité est, en dehors de tous doutes raisonnables, invraisemblable, utopique car « unworthy ». Ajouter un peu d’ONG, de Sœur Teresa, de Père Damien, de Tiers Mondisme, de Rusesabagina, de Dr Mukwege et cela fera un bon scénario pour trouver qu’il y a quand même, en chacun d’entre nous, encore un peu de « Schindler » (malgré tout et pour pas trop cher). Il faut soigner le contenant et l’étiquette d’une journée mondiale de lutte contre le viol pour faire oublier le contenu et confondre le viol et le violeur ….et peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse…

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