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Journaliste à l’heure d’Internet, une profession à repenser

Le réseau Internet, les sites Web, les blogs, les forums et autres espaces de parole ouverts à tous sont en train de déséquilibrer une profession importante, voire primordiale dans l’équilibre des pouvoirs de nos démocraties libérales. En quoi les journalistes traditionnels sont-ils en porte-à-faux dans leur méthode de travail par rapport au 5e pouvoir émergent ?

La semaine dernière, le talk-show phare de France 5, C dans l’air, se penchait sur sur les conséquences de l’arrivée des sites Web d’information sur le métier de journaliste et la presse écrite ou audiovisuelle. Le sentiment général était qu’un profond malaise traverse les médias classiques, qui perdent en crédibilité alors même que les sources d’information disponibles pour le grand public se diversifient, sur un modèle gratuit ou quasi gratuit, avec parfois un aspect collaboratif qui va jusqu’à remettre en cause la nécessité même du journaliste.

Que se passe-t-il vraiment ? Quelles sont les raisons de ce hiatus grandissant entre une profession qui croit voir le sol se dérober sous ses pas, et un public dont le besoin d’information va croissant mais qui se tourne de plus en plus massivement vers des sources d’informations "alternatives" ? Petit retour aux sources.

1/ Le 4e pouvoir ou la presse qui donne la bonne parole

Je parle là volontairement de 4e pouvoir, non seulement parce que c’est l’expression consacrée, mais surtout parce que je crois profondément que c’est le cas. Pourquoi ?

La presse est un pouvoir au sens où le peuple lui a délégué une tâche, une mission primordiale. A travers la presse, le peuple s’informe, apprend les nouvelles et la réalité du monde. Cela lui permet de réfléchir sur les suites à donner puis de faire des choix. En regardant bien, il ne peut pas y avoir de démocratie sans information, et surtout sans presse indépendante.

On ne peut pas parler d’élections, pourtant le peuple s’exprime bel et bien sur la presse et fait des choix, notamment en achetant - ou pas - tel journal, en regardant - ou pas - telle chaîne de télévision, en écoutant - ou pas - telle radio.

La fonction de la presse est donc de fournir de l’information. Cela se fait via une communication qui ne va que dans un seul sens, du média vers le lecteur/auditeur/spectateur. les conséquences sont multiples, entre autres la forme que cela prend ainsi que le regard du peuple sur cette relation.

D’une certaine manière, les journalistes ont acquis un magistère de la parole, parfois de la "bonne parole", que tenaient autrefois les prêtres. Il nous disent, via l’information, quoi penser, comment le penser et comment nous devons réagir. Cette analogie avec la religion n’est pas vaine. On parlait, on parle encore de la "grand-messe" du 20 heures.

Le journaliste a longtemps bénéficié d’une image extrêmement positive dans l’opinion publique. Il a été pendant la majeure partie du XXe siècle le défenseur de la veuve et de l’orphelin, le chevalier des temps modernes, combattant par la plume les injustices et les dictateurs. Souvenez-vous que de grands héros populaires sont journalistes : de Rouletabille à Tintin, en passant par Spirou et Fantasio. Sans oublier le sommet, l’archétype du super-héros. Superman est journaliste au Daily Planet à ses heures creuses...

Pourtant, depuis une dizaine d’années, l’arrivée du Web est en train de changer la donne.

2/ Le 5e pouvoir ou le peuple qui s’approprie le pouvoir des mots

Le Web est un média nouveau et différent des autres. Lontemps réservé aux communications entres universités et laboratoires de recherche, le grand public a commencé à y avoir accès il y a une dizaine d’années.

Il possède certaines caractéristiques, qui lui sont propres ou qu’il partage plus ou moins avec certains autres médias. Je vais n’en citer que trois.

Il est immédiat et accessible n’importe quand. Nul besoin d’en passer par une grille de programmation d’une chaîne de télévision ou de radio pour accéder à ce que l’internaute désire. Tout se trouve à quelques clics de là.

Les mises à jour sont immédiates (ou quasi immédiates) et touchent toute l’audience, simultanément.

Les données sont transférées dans une relation bilatérale entre le serveur de l’éditeur du site Web et l’ordinateur de l’internaute.

Cette dernière caractéristique différencie profondément le Web des autres médias. Là où une télévision émet sans savoir qui est à l’autre bout, ni même si quelqu’un capte ou regarde le contenu diffusé, le Web ne diffuse qu’à la demande. Tout le temps de la consultation du site, il existe un flux de données, un échange entre le poste de l’internaute et le serveur de l’éditeur.

Cette relation différente offre des possibilités que les autres médias n’ont pas, ou en intégrant d’autres modes de communication que ceux dont ils disposent naturellement. Le Web est interactif.

Cette interactivité a mené tout naturellement les éditeurs de sites Web à engager un dialogue avec leur audience. De ce dialogue premier, on est vite passé aux sites personnels, puis aux forums, chats, blogs. Désormais, les internautes eux même vont chercher de l’information, écrivent des papiers, des chroniques, des tribunes libres. Petit à petit, le Web se révèle un formidable moyen d’expression pour l’opinion publique. Notre société, qui vivait dans la parole donnée, se retrouve dans un monde de parole partagée, voire prise.

3/ Un journalisme qui ne sait comment conjuguer la délivrance d’information et l’interactivité du Web

Dans ce nouveau monde qui se dessine, les journalistes se retrouvent en contradiction avec les fondamentaux de leur profession. Ils sont naturellement les fournisseurs d’information, mais se retrouvent concurrencés - à tort ou à raison - par ceux-là mêmes qu’ils ont mission d’informer.

Comment un journaliste peut-il réagir face à ce bouleversement majeur, comme la profession n’en a jamais connu ? Les réactions sont diverses, mais traduisent un profond désarroi.

Nombre de journalistes tiennent un blog. Du pigiste payé au papier, sans-grade de l’information -avec pourtant parfois un réel talent - à la plume prestigieuse détenant une aura médiatique énorme, nombreux sont ceux qui tiennent un blog. Certaines déconvenues ont fait les choux gras de la presse en ligne. En effet, les propos d’un blog tenus par un journaliste sont toujours les mots d’un professionnel. Qu’ils entrent en conflit avec leur travail et le clash est immédiat. Un journaliste professionnel n’est pas un blogueur comme les autres.

En parallèle, les journalistes investissent les sites d’information alternatifs, collaboratifs, tel AgovaVox. Il est intéressant de voir qu’un membre aussi éminent de la profession que l’est Jean-Michel Aphatie vient ici écrire très régulièrement. Il n’est pas le seul représentant du monde "politico-médiatique", mais c’est un exemple instructif.

Que vient chercher un homme qui possède une telle envergure médiatique ? Non seulement il anime l’une des principales émissions de radio consacrée à la politique, chaque dimanche, mais il interroge la classe politique chaque matin sur la même radio. Que peut-il avoir à dire ici qu’il ne puisse pas dire sur son antenne ?

Il est un fait que j’ai remarqué, pourtant. Plus un journaliste est "installé" dans la profession, moins il utilise le Web pour ce qui est sa grande spécificité. Par exemple, je n’ai pas trouvé dans l’ensemble des papiers de Monsieur Aphatie un seul commentaire de l’auteur, une seule réponse aux multiples réactions que ses articles suscitent pourtant.

Tout se passe comme si la tentation était là, de rétablir le magistère de la parole, sans oser se mêler aux auditeurs. Pourtant, sur les sites qui ont mis en place un système de commentaires, l’une des richesses des articles publiés réside dans la discussion qui peut s’instaurer autour du thème de l’article. Combien de fois ai-je vu un commentaire ou une réaction compléter, approfondir, mettre en contraste un texte pourtant déjà fort bien rédigé. Cette richesse semble effrayer ou rebuter les professionnels.

Je tiens à preciser quand même que je n’attaque en rien Monsieur Aphatie, il n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas. Il suffit d’aller jeter un coup d’oeil sur les forums des quotidiens ou des grandes chaînes pour vite réaliser que les journalistes ne participent quasiment jamais aux débats, ne serait-ce que pour l’alimenter, sans prendre parti.

4/ Des médias tentés par le contrôle de la parole pour préserver un monopole

Face à ce mouvement, les médias eux aussi tentent de réagir. Tout d’abord, ils ont massivement investi le Web, déclinant leur identité et leur mode de fonctionnement dans leur vitrine sur le Web. Ainsi, il n’existe que très peu de journaux quotidiens, news magazines et autres qui ne soient pas présents sur la Toile.

Pourtant ; cette mise à disposition en ligne, même partielle, de leur information, met leur modèle économique en péril.

Tous essaient d’opérer le changement, de passer de la version papier à la version en ligne. Certains avec succès, d’autre non. Le site du Monde est désormais rentable alors que l’édition papier perd de l’argent. Le site de Libération ne l’est pas encore.

En parallèle, des réflexions sont menées pour alerter l’opinion sur les menaces de manipulations, désinformations et propagation de rumeurs sur le Web. La polémique est désormais lancée : l’information qu’on trouve sur le Web n’est pas fiable. Selon un article récent paru dans Télérama, le Web ressemble plus à un égout qu’à un tuyau vert et propre dans lequel circulerait de l’information libre et non détournée.

Marc Tessier, ancien président de France Télévision, a présidé à l’élaboration d’un rapport sur "La presse au défi du numérique". Dans ce document de 71 pages, cet homme de média s’il en est lance quelques pistes apparemment intéressantes, j’en retiens deux.

- Doter les internautes rédacteurs d’un statut proche de celui de journaliste, calqué sur celui du correspondant local de presse, puisque la question de la rémunération commence à se poser sur certains sites.

- mettre en place une charte de déontologie, ou un label de qualité "site d’information" de façon à ne pas laisser les internautes se faire duper par des sites ne vérifiant pas leurs articles ni les sources de leurs contributeurs.

Ces idées, qui m’intéressent au premier abord, me laissent pourtant un étrange goût dans la bouche. Est-on en train de dire que pour protéger la presse, la solution est de faire des internautes des journalistes ? En cas de création d’un label, qui le décernera ? Selon quels critères ? Quelles seront les modalités de contrôle du respect du cahier des charges dans le temps ?

Et surtout, qui ferait partie d’une telle commission de contrôle ? J’ai été frappé que le rapport pense à intégrer les acteurs, sites de presse et autres, mais que les internautes eux-mêmes ne soient pas cités. Est-ce à dire qu’à l’heure de la prise de parole citoyenne, les principaux acteurs ne seraient pas à même de juger de la fiabilité d’un site d’information ?

D’une manière générale, même si je n’y suis pas opposé, je pense que cette idée de label sera très complexe à mettre en oeuvre. Au demeurant, il est aussi fort envisageable de laisser l’audience régler cela par elle-même, en votant au moyen des indices de fréquentation des sites.

Car, enfin, qui construit la réputation au long terme d’un journal d’information généraliste, sinon son succès et le fait que les poursuites engagées contre lui sont rejetées par la Justice ? Que je sache, Le Monde, Libération, Le Figaro ou Le Canard enchaîné n’ont pas un coup de tampon qui barre leurs pages d’un "sérieux" en rouge...

5/ De profondes mutations en perspective

Il est clair que le changement initié ne s’arrêtera pas, et qu’aucun retour en arrière ne s’opérera. La presse professionnelle va devoir s’adapter à un monde dans lequel elle n’est plus qu’une voix dans la multitude. Le choc est rude, tous ne survivront pas.

Ne nous y trompons pas non plus, les journaux ne seront pas les seuls impactés. La télévision, la radio, le cinéma, la musique, tous vont passer par le chas très contraignant du nouveau mode de communication mondial. Le Web a en effet vocation à agréger nombres de canaux hétérogènes. Internet n’est qu’un vaste tuyau dans lequel on fait passer tous les types de données. Une convergence technologique est inévitable. Je ne veux pourtant pas une convergence des contenus, je crois même fermement que l’une des pistes fortes passe par une diversification plus bien grande encore de ces derniers.

Il reste aux médias à réinventer leur métier, leur identité, leur place dans le monde. Les copistes des monastères ont vu arriver l’imprimerie sans savoir s’adapter. Il serait tragique de voir que les journalistes s’effacent devant un monde où la parole tue l’information. Nous avons besoin de journalistes, le 5e pouvoir ne détruira pas le 4e, il le contrebalancera.

Mais, n’oublions pas que le passage est étroit. Comme l’a bien fait remarquer le seul invité "blogueur" de l’émission d’Yves Calvi : "Les bons blogueurs chasseront les mauvais journalistes."

Manuel Atréide


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