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L’audiovisuel sous François Mitterrand : l’hypocrisie permanente (1)

Nicolas Sarkozy est critiqué pour ses interventions dans les médias. Pourtant, avec sa réforme de l’audiovisuel, il avait voulu rompre avec l’hypocrisie institutionnalisée par François Mitterrand. Retour à une époque pas si lointaine. Première partie.

Si l’année 2010 fut l’année du Général De Gaulle avec les commémorations de l’appel du 18 juin 1940, de sa disparition le 9 novembre 1970 et de sa naissance le 22 novembre 1890, l’année 2011 sera résolument celle de François Mitterrand avec les quinze ans de sa disparition le 8 janvier 1996, les trente ans de sa première élection à la Présidence de la République le 10 mai 1981 et on pourrait même envisager les quatre-vingt-quinze ans de sa naissance le 26 octobre 1916.

Depuis qu’un de ses dauphins politiques, Lionel Jospin, a exercé son "droit d’inventaire" (de son vivant, en 1994), la gauche et plus particulière le Parti socialiste hésitent entre se revendiquer de cet homme très contrasté et le jeter dans les oubliettes de l’Histoire.


Cynisme et habileté

Si Ségolène Royal se réclame volontiers, au contraire, de son héritage, jusqu’à maintenant, peu de ses concurrents avaient accepté d’assumer les mille contradictions qui ont placé cet homme de roman au centre d’amitiés très douteuses, de nombreuses affaires politiques bien étranges, et même d’opinions du passé paradoxalement très différentes de ce qu’il a prôné par la suite (en particulier l’abolition de la peine de mort, qui restera l’une des rares mesures à son crédit avec la construction européenne).

L’image qui reste au bout de quinze années d’une longue carrière politique, au bout de quatorze années à l’Élysée, un record qui ne pourra plus être battu avec la réforme des institutions (loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008) qui limite la durée à deux quinquennats successifs, c’est son extraordinaire habileté politique, qui lui a permis, d’une part, de s’emparer d’un des partis les plus vieux de France, le Parti socialiste, et d’autre part, de le conduire à l’unique victoire présidentielle sous la Ve République grâce à une stratégie d’union et d’absorption de la gauche.

Pour ce quinzième anniversaire de la mort de François Mitterrand, je m’arrêterai ponctuellement sur son comportement avec les médias au début de sa Présidence.


Entre le verbe et les faits

En vitrine, François Mitterrand tenait un discours très libéral en voulant découpler les médias, notamment la radio et la télévision, du pouvoir politique. Pour cela, il avait nommé Georges Fillioud, un vieux compère de l’époque de la Convention des institutions républicaines (très petit parti mitterrandien créé en 1964) aujourd’hui âgé de 80 ans et demi, au Ministère de la Communication de mai 1981 à mars 1986.

Le lancement des radios libres était l’une des mesures phares de son arrivée au pouvoir. Et l’autre mesure, ce fut la création de la Haute autorité de l’Audiovisuel (loi n°82-652 du 29 juillet 1982) qui, après quelques changements de majorité (loi n°86-1067 du 30 septembre 1986), a été définitivement pérennisée avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel par la loi n°89-25 du 17 janvier 1989.


Le précieux témoignage de Michèle Cotta

Le témoignage de la journaliste Michèle Cotta, qui n’a jamais caché sa proximité avec les socialistes, peut donc être très intéressant car après avoir présidé pendant une année Radio France, elle fut nommée par François Mitterrand la première présidente de la Haute autorité.

Rien que cette note du 15 novembre 1982 sur son repas avec l’ancien ministre Jean-Marcel Jeanneney est très intéressante pour la clairvoyance de ce dernier : « Déjeuné avec Jean-Marcel Jeanneney, ancien ministre du Général De Gaulle, père de Jean-Noël que nous venons de nommer président de Radio France. Je ne sais pas si ceci explique cela : il promet à la loi audiovisuelle de 1982 les meilleures destinées. Ce en quoi il est plus optimiste que moi. Il pense que dans dix ans, l’institution sera installée. Dix ans, une paille… ».

Et Jean-Marcel Jeanneney aura eu raison : en six ans, cette instance indépendante de régulation de l’audiovisuel, sous trois appellations, sera pérennisée.


Aussi transparent que ses bulletins de santé

Les cahiers de Michèle Cotta sont très instructifs car elle fait partie de ces journalistes intègres, compétents et indépendants tout en ayant leurs propres convictions. Or, elle a été en quelque sorte l’égérie mitterrandienne de l’audiovisuel (le mot est sans doute beaucoup trop fort) alors qu’elle-même, la fleur au fusil, croyait ce que lui avait affirmé de François Mitterrand.

Car François Mitterrand a toujours été comme cela dans sa vie politique : promettant tous les six mois la publication de ses bulletins de santé, par exemple, et falsifiant dès le premier pour cacher la maladie qu’on venait de détecter (il faut dire qu’il n’avait pas eu beaucoup de chance).

Le 7 décembre 1981, alors que Michèle Cotta fut dans le bureau de Pierre Bérégovoy, alors secrétaire général de l’Élysée, avec Pierre Desgraupes pour préparer une interview de François Mitterrand, ce dernier surgit dans la pièce : « Au premier regard, je suis frappée par le teint cireux, les yeux enfoncés, l’air inquiet. Et puis il parle. Sa voix est inchangée, ironique. Il me dit : "Il faut que vous me posiez des questions sur ma santé, par exemple…" ».

En prônant indépendance et transparence, François Mitterrand était dans la posture mais n’avait en fait jamais souhaité que les relations entre l’audiovisuel public et le pouvoir politique changeassent de nature. La Haute autorité de l’Audiovisuel fut sans doute une de ces grandes hypocrisie des septennats de François Mitterrand dont la première victime fut justement Michèle Cotta.

Je vais étayer cette affirmation par quelques exemples que Michèle Cotta a apportés elle-même.


À Radio France

À la présidence de Radio France, Michèle Cotta a été nommée pour succéder à Jacqueline Baudrier qui fut la première présidente, nommée par Valéry Giscard d’Estaing.

Michèle Cotta explique l’affaire : « Pierre Mauroy [Premier Ministre] m’a appelée (…) pour me demander si j’acceptais la présidence de Radio France. Je ne sais pas au juste ce que cela veut dire. Je connais bien France Inter où j’ai été éditorialiste quotidienne, puis hebdomadaire, de 1976 à 1980, date de mon entrée à RTL. Mais je n’en connais rien d’autre. Mauroy, qui respecte la présidente sortante, Jaqueline Baudrier, et hésitait à la débarquer de la radio, ne m’en avait pas parlé avant qu’il ne lui trouve une sortie convenable. Aujourd’hui, Jacqueline Baudrier est ambassadeur à l’Unesco [le poste de Rama Yade]. Pierre Mauroy m’appelle donc (…) : j’ai hésité puis dit oui. Autant la perspective d’appartenir à un cabinet, fût-ce celui de l’Élysée, me rebutait, car je trouvais que ce n’était pas ma place, autant Radio France me paraît intéressant, même si je ne connais rien au fonctionnement administratif de la maison ronde. ».

Michèle Cotta fut nommée à Radio France en même temps que Pierre Desgraupes à Antenne 2, et sur le quota de Pierre Mauroy.

« Mauroy ajoute (…) qu’il ne sera pas interventionniste et que son cabinet ne le sera pas davantage. Je lui demande : "Et l’Élysée ?". Il me répond en s’esclaffant : "ça, j’en suis moins sûr !" ».

Sa première crise, Michèle Cotta l’a due au directeur de France Musique Pierre Vosinski qui a démissionné le 15 octobre 1981 pour raison politique : « Professionnellement, c’est un type indiscutable ! Il n’a pas son pareil pour recruter les musiciens, les faire travailler, choisir les chefs d’orchestre. Il connaît tout en matière de musique et jouit d’une réputation en béton dans le petit monde international de la musique. ».

Et quelques semaines plus tard, Michèle Cotta reçut un coup de téléphone en colère : « Mitterrand s’indigne, il me le dit au téléphone, que j’aie pu nommer André Jouve, le second de Vozinski, à la tête de France Musique sans lui en parler. Il se trouve que j’en avais parlé à Georges Fillioud. Devais-je passer par-dessus la tête de Fillioud et parler directement à Mitterrand de la nomination d’un chef de service ? Le Président est maître des armes, des arts et des lettres, certes ! De là à solliciter son avis sur tout, sur la musique en l’occurrence, qui n’est certes pas sa spécialité… Devais-je lui en dire un mot, ne fût-ce que par courtoisie ? Je n’en sais rien. Peut-être n’ai-je pas la manière… ».


Pressions contre Philippe Alexandre et Jean Boissonnat

Michèle Cotta a parlé aussi des pressions de l’Élysée sur des radios privées en février 1982 : « Restent deux exceptions qui n’ont rien à voir avec la télé ou la radio publiques, c’est Jean Boissonnat à Europe 1 et Philippe Alexandre à RTL. Pour les deux, la critique est un fonds de commerce : ils ne changeront pas de ton. Mieux vaut les laisser continuer plutôt que d’essayer de les éloigner de leurs rédactions respectives. Je fais là allusion à une démarche de Rousselet [directeur de cabinet de Mitterrand] auprès de Rigaud [patron de RTL] pour qu’il se débarrasse d’Alexandre. Erreur ! Rigaud a résisté à Giscard ; il résistera à Mitterrand, d’autant plus que son poste ne dépend pas de lui. ».


Définir le rôle d’une autorité indépendante

Après l’échec des élections cantonales de mars 1982, François Mitterrand pressa le pas pour la réforme de l’audiovisuel qu’il voudrait mettre en place rapidement. Michèle Cotta exprima dans les allées du pouvoir, le 26 mars 1982, toute l’ambiguïté de la réforme : « Ou bien la loi donne tous les pouvoirs à la Haute autorité, et, dans ce cas, les PDG des différentes chaînes ne sont que des directeurs généraux et la Haute autorité devient l’équivalent du Board des directeurs de la BBC ; ou bien elle n’a pas le pouvoir exécutif, et alors il faut qu’elle n’ait pas non plus le pouvoir de nomination, mais qu’elle se contente d’un pouvoir de contrôle. » [ce qui est précisément le cas avec la loi organique n°2009-257 du 5 mars 2009].

C’est là toute l’hypocrisie de François Mitterrand dans sa politique de l’audiovisuel : faire semblant de rendre indépendantes les nominations des présidents de chaîne mais influer comme dans le passé. Michèle Cotta venait de le comprendre avant même de savoir qu’elle en serait la première "applicatrice".

Michèle Cotta s’interrogeait même de sa mission à Radio France confiée par François Mitterrand : « Qu’attend-il de moi ? Que j’épure, que je vide l’eau de la baignoire ? Je suis incapable de le faire. Je ne le ferai pas. ».


Haute autorité à haut risque

Ce fut durant l’été 1982 que Mitterrand a réfléchi sur la composition de la Haute autorité, nommée comme les membres du Conseil Constitutionnel. Le 14 août 1982, Mitterrand « est soucieux d’une seule chose : de ne pas nommer à la Haute autorité quelqu’un qui le "trahisse". (…) Il ne demande pas, insiste-t-il, d’homme ou de femme lige. Mais quelqu’un qui le "protège". ».

Et finalement, il nomma Michèle Cotta à la présidence de la Haute autorité. Son installation a lieu le 30 août 1982 dans les locaux de la Maison de la Radio.

Pour l’anecdote, Jacques Boutet, conseiller d’État et nommé aussi par François Mitterrand, refusa de siéger dans une instance dirigée par une simple journaliste (il sera le premier président du Conseil supérieur de l’audiovisuel en 1989) et il fut remplacé par Stéphane Hessel, et Édouard Balladur, pressenti par Alain Poher, déclina l’offre pour une question de cumul de ses rémunérations et laissa la place à Gabriel De Broglie (futur unique président de la Commission nationale de la communication et des libertés).

La création de la Haute autorité de l’Audiovisuel avait pour but affiché de séparer la gestion de l’audiovisuel public du gouvernement et du pouvoir politique. C’est ce qu’avait en tout cas cru sa première présidente, Michèle Cotta. La suite montra qu’il n’en fut rien. Ce sera l’objet du prochain article.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 janvier 2011)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

Le congrès de Metz.
Le Parti socialiste.

Michèle Cotta.

La réforme de l’audiovisuel.

Jacqueline Baudrier.

Documents joints à cet article

L'audiovisuel sous François Mitterrand : l'hypocrisie permanente (1)

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8 réactions à cet article    


  • sisyphe sisyphe 10 janvier 2011 10:29

    iNicolas Sarkozy est critiqué pour ses interventions dans les médias. Pourtant, avec sa réforme de l’audiovisuel, il avait voulu rompre avec l’hypocrisie institutionnalisée par François Mitterrand. 



     smiley smiley 

    C’est sûr qu’en prenant entièrement le contrôle de la télé publique, en nommant lui-même les directeurs des chaines de télé, et de Radio-France en en faisant virer tous ceux qui osent ,critiquer (même sous forme humoristique) la cour, et en ayant favorisé le partage de l’ensemble des chaînes privées et des médias par les groupes financiers proches du pouvoir (contre la loi de concentration et de monopole), il n’y aurait plus « d’hypocrisie » ; la droite décomplexée a entièrement mis la main sur l’ensemble des médias médias, totalement détenus par Sarkozy et ses soutiens politiques et financiers. 

    Le problème, c’est que tout ceci se passe sans que les citoyens, payant la télé publique avec leur redevance, n’en aient été légitimement avertis, et n’aient aucun moyen légal de faire respecter la moindre neutralité. 

    Alors, évoquer « l’hypocrisie institutionnalisée » par Mitterrand, c’est vraiment l’histoire de la paille mitterrandienne contre l’énorme poutre sarkozyenne...
    Mais l’auteur est coutumier de ce genre d’énormité ; sans doute victime, lui aussi, du syndrome de la poutre de Bamako... (à moins qu’il n’espère que sa docile servilité finisse par servir à obtenir un poste digne de ses bons et loyaux services, auprès du monarque...) 

    Cocasse...mais indécent...
     smiley 


    • sisyphe sisyphe 10 janvier 2011 11:37

      Liberté de la presse et des médias 


      La liberté des médias français est apparue aux yeux de certains observateurs réduite depuis l’accession au pouvoir présidentiel de Nicolas Sarkozy (en mai 2007). La Télévision suisse romande a diffusé en juin 2009 un documentaire traitant du pouvoir de Nicolas Sarkozy sur les médias français, usant de la peur et de sanctions pour les contrôler12. La France est devenue le premier pays européen en termes de perquisitions dans les rédactions et de journalistes mis en examen ou placés en garde-à-vue13.

      Par ailleurs, les journalistes français s’astreignent à respecter, lorsqu’ils le peuvent, la Charte de Munich, rédigée en 1971, qui fixe aux journalistes dix devoirs fondamentaux et cinq droits et qui a été signée par les principaux syndicats de journalistes français.

      L’association Reporters sans frontières a classé la France 44e dans son classement 201014, contre 35e en 200815 et 31e en 2007.


      Allez, Rakoto, encore quelques bons coups de lèche, vous êtes sur le bon chemin pour entrer à la Cour... 

       smiley 


      • sisyphe sisyphe 10 janvier 2011 11:49

        Reporters sans frontières 
        Liberté de la presse
        Classement mondial 201042Corée du Sud13,33-Papouasie Nouvelle Guinée13,3344France

        • sisyphe sisyphe 10 janvier 2011 12:01

          Reporters sans frontières a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude face à la dégradation de la situation de la liberté de la presse dans l’Union européenne. Le classement 2010 confirme ce constat. Sur les vingt-sept pays membres de l’UE, treize pays se trouvent dans les vingt premiers. Quatorze pays sont sous la vingtième place et certains se retrouvent même très bas dans le classement : Grèce (70e), Bulgarie (70e), Roumanie (52e), Italie (49e). L’Union européenne n’est pas un ensemble homogène en matière de liberté de la presse. Au contraire, l’écart continue de se creuser entre les bons et les mauvais élèves. Plusieurs pays démocratiques où Reporters sansfrontières avait signalé un certain nombre de problèmes ne connaissent aucune progression. Il s’agit, en premier lieu, de la France et de l’Italie où incidents et faits marquants ont jalonné l’année en cours, confirmant leur incapacité à renverser la tendance : violation de la protection des sources, concentration des médias, mépris et même impatience du pouvoir politique envers les journalistes et leur travail, convocations de journalistes devant la justice.



          • Superyoyo 10 janvier 2011 13:51

            L’auteur a raison, Sarkozy aime rompre avec l’hypocrisie. Par exemple Chirac magouillait pour gagner quelques sous en plus. Sarkozy ne magouille plus, il s’est légalement augmenté de 172%, ça c’est de l’honnêteté !


            • hans 10 janvier 2011 18:31

              salut prinzen bruti comme dirait fm


              • 2102kcnarF 10 janvier 2011 21:19

                Perso je détestais Mitterrand, c’est pas pour aimer Sarkosy.

                L’un suintait l’hypocrisie, et l’autre est incapable de cacher son jeu.

                A la poubelle de l’Histoire tous les deux


                • brieli67 11 janvier 2011 01:14

                  Le lancement des radios libres était l’une des mesures phares de son arrivée au pouvoir.


                  pardon... Sylvain

                  Tu penses vraiment que nous avions attendu l’autorisation de FM pour diffuser ???

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