Du bon usage de l’idée démocratique
On peut distinguer avec P. Rosanvallon plusieurs usages de la démocratie. Le premier et le plus décisif est la démocratie représentative (indirecte), le second est l’usage direct (référendum), le troisième est l’usage délibérant, le quatrième est l’usage participatif et enfin le cinquième est l’usage purement contestataire de toute forme de représentation indirecte, voire anti-institutionnel et anti-étatique donc anarchisant que cet auteur appelle contre-démocratie.
Suite de l’article : La crise de la représentation démocratique ;
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Il est clair que le premier usage (représentatif) présente des limites dès lors que la représentation est manipulée par un mode de scrutin et un fonctionnement des partis qui tendent à rogner les expressions minoritaires et à substituer à une politique vivante posant des questions de fond un combat purement politicien superficiel et démagogique, flattant les passions collectives les plus hétérogènes et les moins réalistes, voire les plus dangereuses pour la paix civile (ex : la xénophobie) pour gagner contre l’adversaire. Le débat "sécuritaire "est un excellent exemple de cette tendance de la démocratie représentative à la démagogie idéologique dès lors qu’il réduit la question à l’opposition fallacieuse entre une répression mettant en cause les libertés individuelles et celle qui ferait de la prévention sociale la source unique de la sécurité publique.
Mais il y a une autre raison plus profonde de cette crise de la représentation inhérente à la procédure même de la représentation : celle qui oblige les représentants à se dégager des passions collectives particulières pour gouverner dans un sens favorable à la justice "par-dessus les factions et les partis" en vue d’un hypothétique intérêt général, lui-même objet d’une mise en cause permanente sous l’effet des représentations contradictoires de celui-ci du fait des inégalités sociales, contradiction aggravée par le jeu des partis politiques. Dans ces conditions, comme nous l’avons signalé, la procédure de la représentation est toujours menacée de détournement au profit d’une couche politique ayant des intérêts de pouvoir propres ; un tel détournement peut conduire les citoyens à se détourner à leur tour de la vie politique, voire à contester plus ou moins violemment l’idée même de représentativité au profit d’une contre-démocratie de la rue qui, dans les cas d’extrême détresse politique et sociale et sous l’influence charismatique de chefs dotés de pouvoirs unificateurs transcendants qui exploitent cette détresse, peut conduire à l’antidémocratie "populiste" peu ou prou totalitaire.
La contre-démocratie ne peut donc être que l’expression de cette crise et en aucun cas un usage réparateur de l’idée démocratique , puisqu’il a pour effet, sinon toujours comme but, de mettre en cause la possibilité d’une représentation indirecte au profit d’une expression directe et collective spontanée des demandes sociales disparates toujours passionnelles, voire haineuses vis-à-vis des procédures démocratiques elles-mêmes (ex : élection, piège à cons !).
Pour sortir de cette impasse, Rosanvallon propose de développer les médiations discursives entre les citoyens et les représentants en instituant des instances du débat public raisonné dans lesquelles experts de différentes options permettraient aux citoyens de prendre conscience des termes des débats sociaux et de leurs enjeux en les associant aux débats. On peut citer l’exemple de la commission parlementaire mise en place après le procès d’Outreau pour faire des propositions en vue de rendre la Justice plus juste. On peut aussi se référer aux comités de bio-éthiques, national et locaux, etc. Mais la pratique des partis politique et des syndicats devrait aller dans ce sens pour renforcer l’idée démocratique et limiter le risque de voir la réaction contre-démocratique se transformer en refus violent de la démocratie.
Cette idée de démocratie délibérante et discursive, interne et externe aux partis politiques, semble trouver une inscription dans celle de démocratie participative, qu’aujourd’hui, sous l’influence de Ségolène Royal, le PS tente de mettre en place sous le couvert de débats et de "jurys" - ou réunions - participatifs de citoyens . Il est encore trop tôt pour évaluer cette tentative, mais retenons qu’elle a le mérite de prendre en compte la réalité de la crise de la représentation et de l’idée de démocratie que nous venons d’esquisser . "Ne pas promettre ce que l’on n’est pas certain de tenir" est une règle indispensable de la démocratie vivante, ce qui implique prendre la mesure de la limite du pouvoir politique national dans le monde ouvert qui est le nôtre, sans renoncer à changer ici et dans le monde, via l’Europe politique, ce qui peut l’être en est la condition nécessaire ; cela veut dire qu’il faut privilégier une optique plus pragmatique que convictionnelle ou idéologique de la vie politique.
À la crise plus ou moins permanente de l’idée démocratique et pour éviter les illusions mortelles qu’elle génère (pouvoir unique du peuple sur le peuple, par le peuple et pour le peuple ) une seule réponse est possible : il faut améliorer le fonctionnement de la démocratie indirecte en faisant participer les citoyens au débat politique raisonné, sachant que les choix à faire sont toujours des paris incertains sur l’avenir et qu’ils peuvent échouer non seulement par la faute des dirigeants, ce qui serait un problème relativement facile à traiter, mais aussi par la résistance du réel et des rapports de forces sociales qui n’ont pas été suffisamment pris en compte dans le définition des objectifs et des programmes.
Il y a deux visions philosophiques de la politique, celle que l’on peut attribuer à Platon qui voit dans une élite qui connaît a priori ce qui relève du Bien en soi ou bien commun (les philosophes), et cela contre les opinions spontanées de la foule, nécessairement particulières et illusoires , la source exclusive du pouvoir juste (rationnel et raisonnable), et celle d’Aristote qui considère qu’il n’y a pas de Bien en soi, ni même de vérité exclusive possible en politique, dans ces conditions toute opinion argumentée et rationalisée participe d’une justesse politique à construire par un examen critique afin déterminer ce qui est conforme à l’intérêt du plus grand nombre et ce qui convient, à savoir ce qui est à la fois souhaitable et possible dans telle ou telle situation concrète complexe. La seconde position est seule démocratique et elle suppose un débat public permanent raisonné et correctif pour décider de ce qui est convenable.
Ségolène Royal paraît engager son action en ce sens, au contraire de Nicolas Sarkozy qui tente de remythifier la vie politique autour d’une image charismatique classiquement "salique" du chef viril incontestable, sinon incontesté. Il m’apparaît donc raisonnable de soutenir l’expérimentation politique de la candidate du PS, sans illusion excessive, car sa démarche n’écarte pas, même si elle essaie de le limiter, le risque de populisme contre-démocratique ; mais cette prise de risque est inhérente pour qui cherche à redonner vie à l’idée démocratique ; il est plus que temps de changer le rapport des citoyens et des citoyennes à la politique et à leur représentants dans le sens d’une plus grande participation citoyenne à l’action publique pour éviter le pire : le refus extrémiste, de gauche ou de droite, de la démocratie.
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