Entretien donné à Atlantico. Sur ce sujet, lire aussi la réaction de Nicolas Dupont-Aignan ou de Guillaume Lelong. D’un point de vue politique, il est difficile de ne pas y voir un coup du Parti Socialiste pour essayer de retrouver un lien avec le monde ouvrier, qui lui préfère le Front National. Même si Edouard Martin est sincère, il est tout de même étonnant qu’il choisisse de porter les couleurs d’un parti qui a voté tous les traités qui ont mené aux désastres de Gandrange et Florange.

Atlantico : Edouard Martin, ancien syndicaliste CFDT d'ArcellorMittal à Florange, conduira la liste socialiste aux élections européennes de 2004.Il déclare avoir envie de poursuivre "le combat pour la sauvegarde de l'industrie au niveau européen, parce que c'est là que se prennent les grandes décisions qui nous impactent". Quel est le pouvoir des députés dans ce domaine ?
Les députés européens ont un pouvoir extrêmement limité pour sauvegarder l’industrie au niveau européen :
- Tout d’abord, l’intiative des lois vient presque exclusivement de la Commission Européenne. Si elle ne souhaite pas prendre d’initiative dans ce domaine, alors le Parlement ne pourra pas agir
- Ensuite, les traités européens ne permettent pas de mesures de protection puisqu’ils organisent une concurrence libre et non faussée qui empêche toute action de sauvegarde. Dès qu’un Etat essaie d’agir, il se fait poursuivre et condamné par la Cour de Justice
- Enfin, la Commission, qui détient l’essentiel des pouvoirs, poursuit un agenda d’ouverture toujours plus forte des marchés européens au commerce avec l’étranger (
traité transatlantique, traité avec le Canada, traité avec la Corée) qui va complètement à l’inverse de toute politique de sauvegarde de notre industrie mais qui contribue au contraire à continuer à l’affaiblir plus encore
Atlantico : Compte tenu des contraintes institutionnelles, que pourrait vraiment faire Edouard Martin s'il était élu ? Peut-il par exemple espérer relancer le dossier Florange ?
La seule chose qu’il pourra faire, c’est utiliser son droit de parole pour témoigner. Il pourra au mieux essayer de sensibiliser l’opinion publique sur le sujet. En revanche, dans le cadre des traités actuels, il ne pourra pas faire grand chose de concret à part cela.
Atlantico : Est-ce vraiment à Bruxelles que se prennent les grandes décisions européennes en matière d'industrie ? Qui en Europe a réellement un pouvoir d'influence sur la politique industrielle européenne ? S'agit-il d'une compétence du parlement, des chefs d'Etat ou de la Commission ?
Aujourd’hui, il s’agit d’une compétence essentiellement aux mains de la Commission et des Etats. La principale compétence européenne est commerciale car la Commission négocie les traités. Mais le problème est que son seul souci, ou presque, est d’ouvrir les marchés européens à la concurrence internationale. Parfois, elle prend des sanctions mais cela est extrêmement rare. Dans le cas des panneaux solaires chinois, la Commission s’est réveillé bien trop tard.
En 2005, l’Europe dominait ce marché avec le Japon. Aujourd’hui, la Chine a plus de 70% de parts de marché et l’Europe moins de 10%, alors que nous sommes les premiers clients.
En fait, Il n’existe pas vraiment de politique industrielle à l’échelle européenne car elle n’est pas vraiment compatible avec les traités et que ce sujet n’est pas vraiment à l’agenda. Du coup, il reste encore une certaine lattitude pour les Etats, mais dans la limite des traités européens qui interdisent beaucoup de choses, et notamment les aides directes ou toute forme de protectionnisme.
Atlantico : Edouard Martin va devoir travailler avec les socialistes européens. L'industrie européenne est-elle vraiment une priorité de ces derniers ? Comment les socialistes français se sont-ils positionnés sur les dossiers industriels européens ?
L’industrie est l’angle mort de tous les promoteurs de cette construction européenne et donc notamment des socialistes. Paradoxalement, la construction européenne a commencé sur un projet industriel, la CECA, mais depuis 1957, le sujet est largement oublié. Les seules initiatives industrielles (Ariane, Airbus) l’ont été hors du cadre européen. Il faut dire que les traités européens y sont plutôt hostiles. En outre, il est très difficile de mener des initiatives concrètes avec un trop grand nombre de pays.
Certains socialistes français ont un discours un peu plus volontariste,
comme Arnaud Montebourg, mais on voit mal en quoi cela change grand chose à la situation de l’industrie automobile, pneumatique ou de l’acier. Les délocalisations se poursuivent.
Atlantico : Lorsqu'il était syndicaliste, Edouard Martin était favorable à la nationalisation temporaire de Florange et au protectionnisme européen. Sa vision de la politique industrielle européenne est-elle vraiment compatible avec celle du PS et du SPD allemand ?
Sur ces deux questions, la position d’Edouard Martin quand il était syndicaliste est contradictoire avec celle du PS ou du SPD. Ces partis parlent parfois d’un juste-échange et de mettre fin à la concurrence déloyale. Mais on cherche les cas concrets d’application de ces belles paroles.
Le recul sur la question des panneaux solaires chinois le montre bien, d’autant plus que l’Europe est intervenue beaucoup trop tard, alors que la Chine a pris plus de 70% du marché .
Atlantico : De manière générale, le thème de l'Industrie a-t-il trop longtemps été délaissé par l'Europe ? L'industrie allemande étant déjà très dynamique, reste-t-il de la place pour une industrie forte dans les autres pays européens ? Comment relancer l'Europe de l'industrie ?
Oui, ce thème est beaucoup trop délaissé. Rien de concret n’a véritablement été fait sur la question. L’industrie allemande est dyanmique et a pris des parts de marchés aux quatre autres grands pays européens (France, Italie, Espagne, Grande-Bretagne), mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de place pour d’autres. Tout d’abord, quelques secteurs industriels se portent bien ailleurs (luxe en France et en Italie, aéronautique en France, industrie automobile en Grande-Bretagne et en Espagne). Tout est question de priorité et de moyens.
Le risque aujourd’hui est qu’au niveau européen, l’Allemagne concentre la majeure partie de l’industrie haut de gamme (laissant le luxe à la France et un peu l’Italie) et que l’Europe de l’Est, où les coûts salariaux sont beaucoup plus bas (80 à 90% moins élevés qu’en France) aspire au fur et à mesure tout le bas de gamme et, à terme le milieu de gamme, ne laissant que les productions fortement liées au pays producteur.
Pour relancer l’Europe de l’industrie, plusieurs impératifs :
- au sein même de l’Europe, établir un sas entre les pays à bas coûts et les autres pour éviter que le mouvement de délocalisations ne se poursuive
- mettre en place des projets industriels sur le modèle d’Airbus ou Ariane, avec des structures ad hoc, uniquement avec les pays qui le souhaitent, en nombre limité
- enfin, créer un environnement propice aux entreprises industrielles, avec des pôles de compétitivité associant public et privé, entreprises et écoles, ainsi qu’un cadre législatif et fiscal qui favorise l’activité industrielle et non les délocalisations