L’affaiblissement de la France est le mistigri des présidentielles 2007
Qui a envie de concourir pour un poste à la baisse ? Les candidats à la présidence de la République se gardent bien de toute explication sur cet aspect et pourtant il y a une perte de contenu du cadre politique national qui est au coeur des questions que les Français se posent à l’occasion de ces présidentielles 2007. Le thème de la démocratie participative apparaît comme la tentative la plus habile de fuir le mistigri de l’affaiblissement national.
L’immense majorité des Français perçoivent l’identité nationale française comme une certitude. Notre cher et vieux pays a construit sa légende avec un bataillon d’idéologues qui ont réussi à se faire passer pour des pédagogues tant leur construction de l’histoire et de la géographie s’est imposée. Michelet et Vidal de la Blache, pour se tenir aux figures emblématiques, nous ont raconté que la France existe depuis les Gaulois, contemporains de César et surtout de Jésus-Christ. Parce que les instituteurs ne pouvaient pas faire moins que les curés, lesquels avaient enseigné à nos aïeux que les choses sérieuses avaient commencé avec Jésus-Christ et que tout cela était écrit en latin. Les érudits peuvent se moquer, le récit est magnifique et ce sont généralement les idéologues qui font le monde, bien plus que les savants.
La France moderne s’est
installée, dans la ferveur révolutionnaire, sur le
territoire impérial des rois de France incapables de garantir
l’unité sociale et fiscale du pays. Avec la guerre de
l’indépendance aux Etats-Unis puis avec la bataille
de Valmy, la communauté nationale imaginaire et imaginée
a pris corps, la certitude nationale s’est constituée aux
Etats-Unis, en France, puis partout dans le monde.
Régression historique : le génie de Charles de Gaulle
La France universelle est aujourd’hui malmenée. Les grandes questions publiques lui échappent par tous les horizons : le droit, l’économie, l’écologie et même la politique au sens primaire et militaire. Il y a encore quarante ans, le général de Gaulle pouvait railler le « machin », maintenant la France a besoin de l’Onu pour affirmer l’originalité nationale, voilà pour le droit. Ecologie : l’effet de serre ne connaît pas plus les limites nationales que la couche d’ozone ou le nuage de Tchernobyl, c’est l’évidence. La globalisation économique, pas davantage besoin de démonstration.
Paradoxalement, c’est la perte du contrôle militaire sur le territoire, élément fondateur de l’indépendance nationale, qui est le virage le plus ancien et le plus net en raison d’une rupture évidente : les nations européennes ont reçu le coup fatal dans les tranchées entre 1914 et 1918. Plus précisément, en 1917, avec la chute du tsar et l’arrivée de Pershing sur le théâtre de la guerre européenne. La France ne sera plus jamais capable de défendre seule son territoire. La nation française a failli être balayée dans la Seconde Guerre mondiale. Il a fallu de Gaulle pour faire croire que la France avait résisté, que la République n’avait jamais cessé d’être. L’extraordinaire discours de Bayeux a permis à la France d’échapper à l’AMGOT. On croit toujours que les génies sont en avance sur l’histoire, le génie de de Gaulle aura été de l’avoir fait régresser. La fugace illusion de la dissuasion nucléaire ferme le ban d’un siècle d’échec militaire français, de Sedan à la chute du mur de Berlin.
La voilure des nations doit se réduire en Europe parce que leur surface est à la fois trop grande et trop petite. Un certain nombre de questions d’intérêt public, telles que l’immigration ou l’approvisionnement énergétique, ont besoin de la dimension européenne. En même temps, les petits pays européens sont meilleurs administrateurs : le Danemark, l’Irlande, la Slovénie, l’Estonie, on peut en dresser la liste. Bien sûr, les Etats-Unis et la Chine pourront cultiver plus longtemps que nous le projet d’une nation indépendante, orgueilleuse et dominatrice. Comment ne pas être affligé devant ces patriotes américains si fiers de leur « great nation » ? Au moins, nous, Français, avons-nous le mérite d’avoir un peu de lucidité pour les autres. Ces grandes puissances ont aussi leur talon d’Achille. On a déjà parlé de condominium soviéto-américain pour nous protéger de la guerre nucléaire. On en reparlera pour protéger le climat, les mers et la santé écologique de la planète.
L’échéance électorale des présidentielles de 2007 est une excellente opportunité de nous interroger sur l’affaiblissement des nations et de la France en particulier. On ne nous en parle pas. Il semble aujourd’hui inimaginable qu’un candidat tente d’expliquer une motivation en rapport avec le rétrécissement de son poste. Il ne faut pas dire de mal de sa promise, cela doit être impudique, serait-ce avouer que l’envergure des promesses doit aussi baisser pavillon ? On ne voit que des postures visant à nier l’affaiblissement national. J.-M. Le Pen est dans la régression historique avouée vers un nationalisme nauséeux. N. Sarkozy nous fait le coup du volontarisme survitaminé, ce n’est pas crédible. F. Bayrou nous dit que la lutte pour la distribution des postes entre la droite et la gauche mange l’énergie collective alors que la nation prend l’eau de toute part, c’est sûrement vrai, mais où faut-il conduire le navire ? Rien de tout cela ne semble complètement en prise avec la question majeure de l’affaiblissement du pouvoir politique national. Le vrai problème politique français est refoulé par les candidats, on attend un docteur Freud.
Mais il y a S. Royal, qui « aime la nation ». Elle propose la plus vieille méthode : la fuite. Ce n’est pas forcément la plus bête dans cette situation où le cadre politique vieillissant doit se préoccuper de transmettre ses biens publics et ses valeurs morales en acceptant de perdre le contrôle. Et voilà donc la démocratie participative. Comme la République a masqué le renforcement de l’Etat sous les couleurs de la nation, la démocratie participative ne pourrait-elle pas masquer son reflux ?
Le mystère de l’expertise
citoyenne pour juguler l’hémorragie de contenu
Jusqu’à présent, la démocratie participative était une préoccupation d’élus locaux, essentiellement des élus urbains de gauche, préoccupés du désengagement électoral massif des quartiers populaires. Sur le plan institutionnel, la loi du 27 février 2002 a rendu obligatoires les conseils de quartier dans les communes de plus de 80 000 habitants. En évoquant l’expertise des citoyens, Ségolène Royal a sensiblement déplacé le centre de gravité de la question de la démocratie participative.
La démocratie de proximité est confrontée à de nombreuses difficultés dans sa mise en oeuvre. La participation est en réalité un concept très flou dont ni les objectifs ni les procédures ne sont clairement identifiés (voir l’article de Loïc Blondiaux). Les élus municipaux ont beaucoup de mal à nouer le dialogue avec une population rétive. Certains en ont fait un exercice de communication : c’est le cas du maire de Paris, adepte d’un style périlleux de confrontation où sa fermeté est irrésistible, faute de cacher totalement l’autoritarisme d’un homme entré en politique dans un rôle de spadassin. D’autres ont cherché la voie originelle du budget participatif, mais on n’improvise pas l’implication du parti des travailleurs de Porto Alegre si facilement : les budgets sont petits, la crainte du leurre est forte, le support des services municipaux n’est pas préparé, les participants ne sont pas prêts. Les premiers pas sur le terrain sont très difficiles.
En faisant le saut du local au national, la candidate socialiste ne s’embarrasse pas de ces menues questions d’intendance. Et, surtout, elle met en valeur les citoyens experts. Si l’on ne sait pas parfaitement comment définir la démocratie participative, l’expertise des citoyens est une notion troublante. L’expertise est généralement définie par des diplômes. Comment retrouver le filon napoléonien qui a installé des conseillers d’Etat, dont on ne parle pas, aussi solidement que les députés qui captent la lumière de la scène publique ?
L’expertise en matière de citoyenneté est un grand mystère. Les techniciens sont les nouveaux sorciers, mais on a toujours besoin d’un arbitrage politique pour répondre aux incertitudes. On connaît par exemple les ratés des experts dans le domaine judiciaire tant le contrôle de la qualification de l’expertise fait problème et tant il y a danger à renoncer au pouvoir subjectif du juge. Avec les énarques, la fonction arbitrale s’est tellement confondue avec l’expertise administrative qu’on a fini par écorner le dogme démocratique.
Le thème de la démocratie participative est un retour aux sources pour retrouver une légitimité d’un cadre politique qui n’arrive plus à juguler l’hémorragie de son contenu. Le temps est peut-être venu de chercher nos passeurs d’histoire qui ont souvent une espérance personnelle de pouvoir et de popularité assez courte. Hommage soit rendu ici à Sun Yat-sen, au décolonisateur Mendès France et à Gorbatchev. Les présidentielles de 2007 seront utiles si elles entament un deuil de notre idéologie nationaliste, pour ouvrir à notre génération les portes d’un nouvel horizon historique.
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