L’outre-mer pèsera fort dans la présidentielle
Et ce ne sera pas favorable à Nicolas Sarkozy ; voici pourquoi...
Venu en Guyanne, seul département ultra-marin classé à droite de l’échiquier politique, pour présenter ses voeux à l’Outre-mer, Nicolas Sarkozy a failli tomber en pleine rixe entre gangsters. A son arrivée, le lendemain, le commandant de la gendarmerie de Guyane a fait état de cette fusillade au chef de l’Etat, lors de la présentation du dispositif Harpie de lutte contre l’extraction illégale d’or. Mais a-t-il soulevé le vrai problème ? Car Harpie se trouvait à ce moment là sans moyens d’actions réels : les hélicoptères avaient été mobilisés par la visite présidentielle ! Mais peut-on réellement parler d’hélicoptères ?
La gendarmerie ne dispose que d’un seul hélicoptère en Guyane ! Certes, on peut toujours faire appel à des hélicoptères civils ;mais ils avaient eux-aussi été réquisitionnés pour la visite présidentielle ! Bref, en fin de semaine dernière, dans les services préfectoraux guyanais régnait un certain cafouillage. De plus, vendredi, à la suite du mauvais temps (c’est la saison des pluies actuellement en Guyane), l’avion d’Air France n’avait pu atterrir à Cayenne, faute du service de guidage automatique pour l’atterrissage sans visibilité, l’appareil réparé en décembre n’étant toujours pas installé !
L’avion d’Air France avait alors été dérouté sur le Surinam voisin. Par chance, il faisait beau lorsque l’avion présidentiel s’est posé, samedi, sur le tarmac où étaient réunis tous les préfets de la région et les militants UMP de Guyane, Guadeloupe et Martinique. On remarquait, dans l’assistance, la mère de l’actuelle Ministre de l’Outre-mer, Lucette Michaux-Chevry. Quant à l’équipe d’enquêteurs et de techniciens, envoyés de Paris pour l’affaire de la fusillade de Dorlin, elle n’a pu arriver que dimanche matin.
Dorlin est un haut lieu isolé de l’orpaillage clandestin de Guyane, depuis près de vingt ans, sans accès terrestre depuis le littoral. Dorlin se situe sur l’immense territoire de la commune de Maripasoula (18 000 km²) dont Nicolas Sarkozy visitait, samedi matin, l’un des villages amérindiens isolés. Devant l’état-major Harpie, le Président a assuré –une nouvelle fois !- que la lutte contre l’orpaillage clandestin serait sans pitié puisqu’il occasionne violences et dégâts écologiques (notamment la pollution des eaux par le mercure). Il a réitéré qu’il allait intensifier cette lutte et a même annoncé la création d’une hypothétique université de la biodiversité. Mais comment ? Il n’a jamais évoqué l’envoi de moyens supplémentaires. Cette visite ultra-marine laisse donc l’impression d’une fin de règne consternante ou plutôt d’un Etat en faillite.
Pourquoi le président a perdu l'Outre mer
Nicolas Sarkozy a, de fait, perdu électoralement l’outre-mer, responsable en particulier, nous l’avions remarqué en son temps, du basculement à gauche du Sénat. Et pourtant, on ne pourra nier qu’il se sera, tout au long de son mandat, décarcassé comme pas un. Mais, que voulez-vous, ces gens-là sont ingrats ! Malgré l’escroquerie intellectuelle d’un Aimé Césaire au Panthéon, malgré l’année 2011 des Outres-mers, malgré le passage d’un secrétaire d’Etat à un Ministère d’Etat, rien n’y aura fait. Sarkozy reste l’un des Présidents de la Vème République les plus détestés de ces territoires !
Il aura été incapable d’apprivoiser l’excellent politicien Victorin Lurel, en charge aujourd’hui, auprès de François Hollande de la question ultra-marine. En cas de victoire du candidat socialiste, Victorin Lurel sera un élu connu des Français puisqu’il a déjà fait savoir au Parti Socialiste qu’il n’accepterait qu’un ministère régalien, qu’un grand ministère et on peut certifier, dès maintenant, qu’avec le travail accompli aux Antilles et ailleurs, en cas de succès de François Hollande, ses vœux seront exaucés.
En 2000, le discours osé à Madiana, de Jacques Chirac, marqua la popularité de ce dernier dans tous les territoires ultra-marins. Pour la première fois, un Président reconnaissait leur spécificité et ouvrait la possibilité de sortir de la communauté française, tout en y restant (statut de collectivité et articles 73 et 74 de la Constitution). Seuls, deux territoires, deux « fous » en quelque sorte, s’engouffrèrent dans l’ouverture institutionnelle chiraquienne et tentèrent le nouveau statut : ce furent les petites îles touristiques de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
Pour la première, sans réels soucis financiers, l’expérience fut positive et elle vient même de rejoindre les PTOM en délaissant le statut pourtant privilégié de région ultrapériphérique. Quant à la seconde, elle est tellement empêtrée dans la paralysie administrative et budgétaire qu’elle n’a présenté et voté, en ce début d’année, aucun budget primitif. Carrément sous tutelle, elle attend, dans le marasme général de son économie et l’incompétence notoire de ses dirigeants, le sort qui lui sera réservé une fois la prochaine équipe du conseil territorial installé, des élections devant s’y dérouler en mars.
Pour le reste, les départements d’outre-mer sont toujours restés un peu réticents à cette proposition chiraquienne d’être à la fois autonomes et distincts dans la République. L’administration française, elle-même, a freiné des fers face à cet objet politique non identifié . Mais le discours de Madiana aura marqué les esprits, aura su conquérir l’électorat. En 2002, l’outre-mer français vota, dès le premier tour, Jacques Chirac.
Or, sans aucun retournement possible, en 2012, les ultra-marins voteront, dans leur grande majorité pour François Hollande. Les ultra-marins représentent environ un million et demi d’électeurs. Marine Le Pen n’y a aucune chance. La démocratie chrétienne à la Bayrou n’y est pas une tradition politique. Il y aurait quelque 2,8 millions d’électeurs issus des outre-mer, diaspora incluse. C’est, mathématiquement, un vivier de voix qu’aucun candidat en campagne ne peut négliger ; c’est d’ailleurs devenu un passage incontournable de la campagne présidentielle. Territoires au fort taux de délinquance, Sarkozy y enverra même au feu son fatigué Ministre de l’Intérieur, Claude Guéant en février (tournée prévue en Guadeloupe et en Martinique).
François Hollande l’avait devancé dans les Antilles françaises. Lors de l’élection présidentielle de 2007, les 11 territoires ultramarins ont représenté plus de 1,5 million d’électeurs, soit 3,5 % des suffrages, selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur – sans compter les 1,8 millions non négligeables issus de la diaspora. Rappelons, d’ailleurs, que Nicolas Sarkozy avait réalisé son meilleur score en Nouvelle-Calédonie avec 63 % des suffrages (contre 53 % au niveau national) et que de son côté, sa rivale socialiste, Ségolène Royal avait signé de très bons scores à la Réunion (63 %) et en Martinique (60 %), bien au-delà des 47 % de l’échelle nationale.
Aujourd’hui, comme cela était arrivé en 2002, les experts s’accordent tous à dire que, cette année, le vote des départements et territoires d’outre-mer pourrait faire la différence dans une élection qui s’annonce des plus serrées. C’est d’ailleurs pour cela que, depuis le début du lancement de Métamag, nous n’avons pas cessé de vous tenir informé au plus près du terrain des événements de la région. Rappelons pour mémoire que le 21 avril 2002, moins de 200 000 bulletins séparaient le candidat du Front National, Jean-Marie Le Pen, du candidat socialiste, Lionel Jospin, éliminé dès le premier tour de la présidentielle.
C’est justement par le fait que le vote FN représente en outre-mer un faible impact électoral que, à notre avis, le vote ultra-marin de 2012 sera déterminant dès le premier tour de la présidentielle. Un candidat, à notre avis, ne peut plus prétendre conquérir l’Elysée sans le vote ultra-marin et celui de sa diaspora. Ce qui par ricochets, nous fait douter d’une Marine Le Pen au second tour.
Admettre la France des diversités
Quantitativement, depuis quelque temps et contrairement aux époques antérieures, les ultra-marins sont majoritairement ancrés à gauche, en tout cas pour les territoires les plus peuplés que sont la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique. Il semble donc que François Hollande parte avec un net avantage pour s’y imposer. Le chômage touche 20 % de la population et 60 % des jeunes dans les DOM et le relais des élus de gauche locaux y est bien plus important qu’à droite. De plus, en outre-mer, le raz le bol de Sarkozy est général, même dans les classes patronales et les privilégiés de la défiscalisation.
Reste aussi les séquelles des mouvements sociaux de 2009 en Guadeloupe, de 2011 à Mayotte. Avec le recul, pour la Guadeloupe, on ne comprend toujours pas comment le gouvernement français a pu, à ce point, se faire avoir dans la surenchère revendicatrice du LKP, comment il a été incapable de gérer la situation, tant du point de vue répressif que politique (l’incompétence du centriste Yves Jégo ?). D’ailleurs, Elie Domota, leader du LKP, est un fin négociateur : il avait laissé au gouvernement une bien mauvaise date dans les accords Bino, celle du 1er mars 2012, date butoir où se termine bientôt le financement provisoire par l’Etat et le conseil général, des augmentations de salaire accordées !
En fait, le fameux Ministère des DOM-TOM de la rue Oudinot paraît en voie de fermeture. Depuis décembre, l’état civil des ultra-marins n’y existe même plus ! Victorin Lurel semble d’ailleurs lui-même en souhaiter la disparition. Il rejoindra sans doute, dans quelques mois, les bâtiments de la République à vendre !
La question demeure : la France a-t-elle une vision claire de l’Outremer ? Non. elle pilote à vue dans la pénurie générale. Si le pouvoir central d’une France perçue comme lointaine, blanche et dominatrice, s’oppose point par point à l’image idéalisée d’une Caraïbe proche, noire et libérée, la France d’aujourd’hui est la France de la diversité. Il n’y a plus d’Outremer des Départements Français d’Amérique ou un Outre-mer français. Il y a des Outremers. Comme la Bretagne, la Corse, la Normandie ou le Pays basque, l’outre-mer, ce sont des pays, des structures sociales et des histoires différentes, une identité faite d’additions et d’assistanat.
Le droit de vote, accordé en cas de victoire de Hollande, aux étrangers signifierait aussi pour certains (la Guyane, Mayotte) une menace pour la souveraineté française. Sarkozy, accordons-lui, a, quand même eu le mérite, dimanche, de soulever le problème, mais il semble tout de même freiner ce qui reste de fait la seule solution politique raisonnable : lever l’obstacle de la république centralisée et du jacobinisme français. Aujourd’hui, les conseils régionaux et généraux ont des marges de manœuvre très faibles pour agir et mettre en œuvre des projets. Il faut arrêter de centraliser les pouvoirs. Tant qu’il n’y aura pas de gouvernance locale, il n’y aura, en effet, pas de politique française de l’outre-mer cohérente.
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