La démocratie « condamnée » à être plus autoritaire, les citoyens commençant à se faire justice
Ces derniers temps le départ de familles roms d’un campement situé dans le Nord de Marseille sous la pression hostile de riverains semble avoir choqué beaucoup d’associations, jusquà se prolonger par une vive polémique entre les élus locaux. Même si les sources policières précisaient alors qu’il n’y aurait pas eu « de chasse aux roms » les visages des Roms qui s'étaient installés sur le terrain d’un chantier en construction de la cité des Créneaux (15e arrondissement) n’étaient pas sans faire penser parfois à ceux des rafles de funeste mémoire. Dans l’évocation même que les commentateurs et citoyens font « des roms », il est clair que ces derniers catalysent un rejet qui les dépasse.
Ils sont cet Autre tout désigné en bouc émissaire de tout « un mal être de crise » portant une dissolution du fameux « vivre ensemble » tant invoqué, pour le contredire sans cesse. Les "roms" souvent nommés par un diminutif établi ont le visage des victimes sacrificielles, rejetées premièrement de chez eux pour l’être ensuite partout ailleurs. Etant socialement nus et désarmés, la société divisée ne manquera pas de pratiquer sur eux le rituel expiatoire qui la soulage. Bien entendu, qu’ils chapardent parfois pour "vivre" permet aux chiens qui aboient d’aboyer plus encore. Loin des clichés, beaucoup de roms ont pourtant bénéficiés d’un système d’éducation ou de formation assez développé en vigueur dans leur pays d'origine. Nombreux ont une qualification professionnelle toute indiquée pour fournir ici une main d’œuvre à bas coût. Juste derrière les chômeurs que l’on songe parfois à soumettre au service du travail obligatoire sans droit légitime au choix, tout un discours sur les « assistés » supposés tendant à légitimer cette possible maltraitance sociale, les roms semblent donc condamnés à perdre sur tous les plans, sans défense réelle. Le discours ambiant nauséabond traduit un malaise plus étendu de la population française. Le roms devient le miséreux que la crise parvient à faire craindre d’être soi même un jour. La ritournelle du « salauds de pauvres » ressort tous ses vieux couplets.
Quand la police arriva dans ce quartier Nord de Marseille, il n’y avait pas d’affrontements, seulement des invectives échangées entre « les jeunes des quartiers » et « les Roms », les plus exclus du système bénéficiant encore à d’autres se déchiraient entre eux, les pauvres détestant se voir dans le visage des plus pauvres encore, avec la peur de chuter eux même plus bas. N’y insistons pas.
Vers 22 heures ce jour là, le poste de commandement de la Sûreté départementale est informé d’un incendie « d’environ cinq mètres carrés » sur le terrain abandonné recevant divers détritus au milieu de vieilles carcasses de réfrigérateurs. Les cœurs se glacent dans le froid de la misère, et les petits feux allumés recouvrent parfois le dernier SOS. Il y a le feu dans la maison France. Et si la frange la plus humiliée et précaire du peuple commençait à ne plus craindre aucune autorité ? Plus encore sous une présidence « normale » ? La « multi crise » que nous traversons est exceptionnelle, assurément pas "normale", autant que la gravité des « incivilités » que nous constatons chaque jour. Des adolescents s’entretuent au coin de nos rues, pour un regard mal interprété. Les adultes commencent à avoir peur.
La sénatrice socialiste Samia Ghali, maire des 15e et 16e arrondissements devait lancer la polémique fin août dernier faute d’être en mesure de lancer une contre offensive à même de contrecarrer l’accroissement de la violence citoyenne. Le politique semble de plus en plus réduit à un pouvoir, d’incantation. Elle prônait alors un recours à l’armée dans les cités de Marseille pour lutter contre la criminalité. La démocratie serait-elle condamnée à devenir autoritaire pour perdurer un tant soit peu ?
Interrogée sur les agissements agressifs prêtés aux riverains, Samia Ghali répondait : « Je ne les condamne pas, je ne les cautionne pas, mais je les comprends, quand les pouvoirs publics n’interviennent plus ». Nous y sommes, une élue a le courage de s’interroger sur le pouvoir réel de son élection. La démocratie représentative serait-elle aux abois ? Le vécu des citoyens confrontés à une réalité de plus en plus cruelle ne s’accommoderait-il plus des « représentations » institutionnelles déconnectées des principes de réalité ?
A contrario le sénateur-maire (UMP) de Marseille, Jean-Claude Gaudin estimait que les « propos insensés » de l'élue socialiste fin août induisait que « les gens se croient eux-mêmes autorisés à régler les problèmes » précisant qu’on « ne peut pas laisser se constituer des milices ou laisser les gens régler les problèmes d’ordre public, même si on peut comprendre que l’exaspération est totale ». La gouvernance relève aussi de l’équilibrisme, et pas que dans les propos. Les "milices" ne seraient-elles pas déjà en phase de strcuturation sur certains territoires de non droit généralisé ?
Dans le pays, les 12 millions « vivant » au seuil de pauvreté se sentent chaque jour insultés par l’opulence outrancière du quart des citoyens jouissant encore du confort bien plus que nécessaire. Alors que toutes les associations caritatives lancent des SOS aux autorités publiques face à l’explosion du nombre des aides réclamées, ce conflit « inter pauvreté » n’augure-t-il pas d’un tout autre conflit plus étendu ? Jean-Claude Gaudin précisait avoir « réussi, sans faire de bruit » à réduire le nombre de campements de Roms de 60 à 25. Cette amélioration est provisoire, chacun le sait. Désormais, toute approche comptable se heurte sans tarder au grand mur incontestable de l’aggravation prochaine des chiffres, au niveau des incivilités comme pour le chômage. La démocratie est sous surveillance, notamment celle de la Toile. Un jour ou l’autre, tout se sait.
On versera peut-être en Décembre une prime de Noël aux français les plus nécessiteux. Dans le chaos général largement passé sous silence par les médias, le changement serait donc celui du pansement sur le bout du doigt, tout le reste du corps social souffrant au plus haut point ? Comment ne pas ressentir dans le rejet des roms et les tueries des enfants entre eux sous le regard désarmé des parents, l’annonce d’une crise d’autorité plus générale ? Le fameux « choc de civilisation » ne commencerait-il pas au travers des « chocs citoyens » à l’intérieur des ex-futurs pays riches que nous sommes ? Lesquels ne le seraient plus que pour une infime minorité, riches. La confrontation entre la démocratie affaiblie et la misère croissante pourrait bien s’apparentait à un sacré champ de bataille. La démocratie par représentations y survivra-t-elle ?
Les habitants de la résidence des Vergers de Saint-Louis de Marseille, se sont donc fait justice, déclarant face caméra « qu"Il fallait agir ". Difficile d’infliger pire désaveu aux autorités publiques. Qu’il s’agisse de l’immigration, du chômage appelé à durer, il n’est plus exclu que la démocratie se trouve bientôt confrontée au « pouvoir citoyen » en gestation.
Des habitants de ce quartier Marseillais appelé à devenir emblématique affirmaient " avoir prévenu la mairie et la police, la préfecture et même le bailleur, avant tous ces incidents prévisibles ". Et si les citoyens prenaient la mauvaise habitude de se faire justice eux même ? Et si ils exigeaient des résultats et des actes concrets ?
Selon les mêmes habitants la procédure habituelle prendrait trop de temps, le flagrant délit ne suffisant plus à la police pour expulser un camp de Roms ou autre, l'aval de la préfecture restant alors indispensable. Faire les choses dans les règles aurait donc été trop complexe ? Voilà que des citoyens contestent le bon déroulement ou l’établissement même de la Loi.
Pour peu que l’on observe attentivement le déroulement des faits, on constate qu’en définitive la critique portait plus sur la législation et l’inaction des autorités que sur les roms eux même. En direct au JT du soir un habitant déclarait que "Les Roms ont été plutôt compréhensifs et certains ont même violemment reproché aux leurs les vols éventuels commis dans le quartier ". Parfois on se cache derrière son petit doigt dans le compte rendu des évènements. Faudra t-il inventer un pansement pour l'aveuglement volontaire ?
Yves Robert, secrétaire zonal du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (Snop) affirmait que « Lorsque la brigade de sûreté départementale est arrivée sur les lieux, le campement avait déjà été démantelé ». Les habitants entendaient-ils « secouer » d’abord les politiques de tous bords ? Une citoyenne soulignait « que les habitants n'ont pas hésité à se faire justice eux-mêmes, et cette situation va se reproduire, le risque, c'est que les actes deviennent de plus en plus graves et dangereux ". Les propos de l’élue socialiste Samia Ghali réclamant l'intervention de l'armée pourraient bien anticiper ceux d’une grande partie des français.
Ces évènements recouvrent une dimension sociétale qui les dépassent, autant que les roms eux même. La démocratie pourrait bien avoir à devenir plus autoritaire pour maintenir son semblant d’existence actuel. Les plus hautes autorités auraient tort d’oublier que les plus pauvres doivent toujours recouvrir la première des préoccupations, sauf à menacer à sa base tout l’édifice institutionnel, et la communauté nationale dans son ensemble.
Guillaume Boucard
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