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Les politiques seraient-ils victimes du « syndrome de la fascination de la cible » ?

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Apprendre à renoncer. Pas si facile quand on est homme ou femme politique ! Combien d’erreurs sont commises au nom de la décision initiale qui est forcément la bonne aux yeux de ceux qui la prennent.

Qu’est-ce que ce « syndrome de la fascination de la cible » ? C’est tout simplement la tendance à s’accrocher à des décisions initiales même lorsque celles-ci s’avèrent inappropriées et contestées par des faits qui les discréditent. Je donnerai quelques exemples pour illustrer ce phénomène après avoir brièvement expliqué comment il est relaté dans l’histoire de l’aviation.

Le « syndrome de la fascination de la cible » en aviation

Dans l’histoire de l’aviation militaire, le syndrome en question eût quelques effets malheureux. Elle relate des exemples de crashs d’avions avec des pilotes qui trop concentrés sur leur objectif en oubliaient les paramètres fondamentaux de vol. Ces pilotes positionnaient l’avion en piqué pour mieux atteindre leur cible, s’en écartaient trop tardivement et s’écrasaient, faute d’avoir observé et intégré les signaux d’alertes.

Dans l’aviation civile, les pilotes de ligne prennent également plus de risques lorsqu’ils arrivent à destination, car les longues distances créent de la fatigue et une certaine impatience à atterrir pour en finir avec un long voyage. Ils leurs arrivent de pénétrer lors de l’approche dans des zones orageuses intenses, ce qu’ils font rarement en régime de croisière. Pour exemple le vol 358 d'Air France (Paris-Toronto) en Août 2005 a raté son atterrissage car l’avion s'est posé avec des conditions météorologiques déplorables peu compatibles avec les limites techniques de l'avion (efficacité de freinage sur une piste détrempée devenue glissante). Il y avait ce jour là une pluie diluvienne et des vents changeants qui ne permettaient pas un atterrissage en toute sécurité et pourtant le pilote et la tour de contrôle en ont décidé autrement (toujours la cible à atteindre et la conviction qu’on peut l’atteindre malgré les alertes humaines ou techniques).

Pris dans le syndrome, le pilote peut ne plus être en capacité de gérer une situation critique malgré les alertes du tableau de bord et malgré toute la maîtrise dont il est capable. Il ne se concentre plus que sur un seul élément, qu’il juge à tort prioritaire, d’une situation qui devrait être traitée globalement. Les autres éléments, facteurs et paramètres de la situation, qui sont pourtant essentiels, sont ignorés et l’erreur est vite sanctionnée.

Et chez les décideurs politiques ?

Chez les décideurs, et en particulier nos gouvernants, le phénomène intervient lorsque surgit une idée forte, symbolique, emblématique. Naît alors chez le décideur une envie d’aller inexorablement vers un objectif et de l’atteindre à tout prix sans tenir compte des indicateurs environnementaux (au sens large). Réaliser l’objectif, atteindre la cible (l’idée maîtresse) lui fait parfois négliger certains paramètres, certaines variables, des éléments qui devraient servir d’alertes en lui indiquant qu’il emprunte le mauvais chemin. Quelles que soient les alertes qui pourraient l’en dissuader, il se cramponne à son objectif. En termes figurés, il « vole en piqué « comme l’aviateur vers sa cible, oublie l’essentiel, et s’écrase sur la dureté des réalités.

Je précise que l’article n’a pas pour but d’analyser la pertinence de telle ou telle mesure ou idée maîtresse que je donnerai en exemple, mais d’analyser le comportement des hommes et des politiciens par rapport à ce supposé syndrome.

Voici deux exemples :

  1. Un exemple récent est la taxe à 75%. Elle fût annoncée lors d’une émission de télévision par le candidat François Hollande, avec on s’en souvient quelques hésitations quant au seuil de déclenchement. Cette taxe est devenue une cible, un objectif à atteindre coûte que coûte, car c’était une promesse, un symbole de campagne. Prisonnier de cette promesse, le gouvernement n’a toujours pas réussi à mettre en œuvre cette taxe (censure du conseil constitutionnel), mais pas question d’abandonner la cible. On ne lâche pas le symbole, on s’enferme dans une idée maîtresse, mais insignifiante sur le plan économique ; il faut absolument gagner la partie. Les indicateurs d’alertes clignotent pourtant en signalant l’inutilité d’une telle mesure et ses incohérences probables dans une future mise en œuvre (certains y échapperont évidemment grâce à la force des lobbies !). Même les français seraient aujourd’hui en majorité opposés à cette taxation exceptionnelle. Mais le syndrome de la « fascination de la cible » opère son œuvre et est plus fort que tout ; le président ne lâche pas l’affaire. Dans la nouvelle formule, ce n’est plus le salarié qui devra payer cet impôt, mais l’entreprise (toute la logique fiscale s’effondre au nom de la cible).
     
  2. Autre domaine dans lequel ce syndrome agit : la croissance. La cible n’est plus un objectif à détruire comme avec le bombardier, ou une cible idéologique ponctuelle comme la taxe à 75%, mais simplement la pérennisation d’une thèse économique largement répandue et fortement ancrée dans les esprits, la croissance éternelle, celle qui ne s’arrête jamais et qui est nécessaire à notre bonheur quotidien. La croissance qui règle tout : le chômage, les retraites, les équilibres comptables (ce qui n’est pas faux), sauf bien entendu la préservation des réserves et des ressources énergétiques, des matières premières, la préservation de la biodiversité, de la nature, des ressources alimentaires, des terres arables, etc. J’ai déjà écrit sur le thème de la croissance et je vous renvoie à deux articles.

« La croissance et ses limites dimensionnelles  »
« Le caddie, le supermarché et la croissance »

Une variante

Ce syndrome est indissociable d’un syndrome partenaire qui pourrait s’appeler « syndrome de la fascination de la cible fictive ». Il ressemble étrangement au premier, à une légère différence près, c’est que la cible n’est rien d’autre qu’une image projetée, bien réelle en apparence, un mirage comme on en voit sur les lacs salés ou terres désertiques. Les politiques affichant une cible bien précise, largement médiatisée, n’ont aucune intention de l’atteindre puisqu’elle est fictive. Ils essaient de démontrer par ce stratagème une volonté et une détermination sans limite, un courage sans équivalence, et font croire aux citoyens que tout sera entrepris pour atteindre la cible en question sans jamais en avoir l’intention. Deux exemples :

  1. Les 35 heures. La droite au cours du dernier quinquennat n’a cessé de condamner les 35 heures en répétant en boucle qu’elle reviendrait sur cette loi. En fait il n’y avait aucune intention d’atteindre cette cible, car elle constituait simplement un prétexte, un alibi, une couverture, pour faire la démonstration d’une certaine audace, d’un certain courage qui bien évidemment faisait défaut.
     
  2. Le déficit budgétaire. La petite histoire est la même avec le déficit budgétaire ; cela fait de nombreuses années que les gouvernements successifs nous annoncent le retour à l’équilibre. Le président avait fait la promesse de l’équilibre budgétaire pour 2107, donc à la fin du mandat. Inutile d’être un expert économique pour parier sur la non réalisation de cet objectif. Même si aujourd’hui on l’oublie un peu, il réapparaîtra bientôt lorsque les réalités économiques l’imposeront. Là encore, il s’agit d’une cible fictive, un mirage reproduit chaque fois que nécessaire pour servir une classe politique en proie à une forme d’impuissance économique.

Y a-t-il un traitement ?

Aujourd’hui, il n’existe aucun traitement, aucune approche thérapeutique réellement efficace. Je crains que les laboratoires pharmaceutiques ne soient pas très pressés pour consacrer quelques ressources à l’étude de ce phénomène avec un médicament à la clé. Normal, trop peu de cas à traiter et peu de retour sur investissement ! Donc, n’espérons pas l’arrivée d’une nouvelle molécule pour traiter les cas les plus sévères.

Caractéristiques du mal

Ce mal présente quelques caractéristiques qu’il est bon de connaître :

  1. Très présent chez les hommes et femmes politiques et les décideurs en général.
  2. Les symptômes sont plus marqués lors des élections présidentielles. Prolifération d’idées symboles qui deviendront autant de cibles.
  3. A priori pas de transmission interhumaine (sauf peut-être au sein même de la classe politique). Il n’y a donc pas de risque de pandémies.
  4. Ce syndrome peut conduire à des altérations importantes de la lucidité pouvant occasionner de nombreux dommages économiques et sociaux lorsque nos ministres en sont atteints.
  5. Chez les politiques, le tableau clinique fait apparaître les signes cliniques suivants : manque de clairvoyance et de discernement, une certaine cécité politique, une présence accrue dans les médias, l’usage abusif des fameux éléments de langage.

Conclusion

Les exemples ne manquent pas et inutile de les égrener au risque de lasser le lecteur. A chaque fois qu’un politique restera arc-bouté sur une idée forte, vous pourrez vous poser la question de savoir s’il n’est pas tout d’un coup victime du « syndrome de la fascination de la cible » (c’est même un peu amusant). Attention, bien que ce mal touche plus particulièrement les politiciens, ils n’en ont pas l’exclusivité et il peut frapper chacun d’entre nous. En se projetant dans notre passé, on peut rapidement détecter des comportements assimilables à ce syndrome.

Cet entêtement aveugle qui peut paraître anecdotique, dérisoire, même amusant, nous revoyant à la psychologie comportementale, aura peut-être le mérite de faire naître quelques motivations pour une exploration approfondie de domaines encore insuffisamment étudiés dans cette vaste sphère de la psychologie. En attendant les réponses appropriées, les dégâts occasionnés par ces petits dysfonctionnements mentaux ne sont pas négligeables et peuvent même être très coûteux pour l’ensemble de la société.

Alain Desert

 


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4 réactions à cet article    


  • epicure 20 juin 2013 23:14

    tu as oublié « l’europe » dans les cibles typiques, tout accepter à partir du moment où c’est pour « l’europe », même ce qu’on accepterait pas dans un cadre national.

    Je pense qu’au niveau des révolutions aussi il y a souvent ce phénomène de fascination de la cible, où on fait tout accepter au nom de la révolution (la cible) en dématérialisant son contenu, plutôt que des objectifs concrets, les leaders vantent une révolution désincarnée, qui permet de tout faire, notamment d’acquérir le pouvoir pour soi.

    Sinon il a des gens qui savent utiliser à leur avantage le phénomène de fascination de la cible, ce sont les escrocs, ils engagent leurs victimes vers une cible, et les victimes deviennent aveuglées par la cible, au point de prendre des risques pour atteindre leur cible.
    Le phénomène voisin c’est celui de l’engagement, où l’on refuse de renoncer aux efforts fournis auparavent ... pour rien, donc on continu dans la même voie, même si au niveau rationnel il faudrait changer son engagement.


    • alain-desert alain-desert 21 juin 2013 08:54

      Merci pour ces exemples. En fait ils sont nombreux et très diversifiés.


    • TESTANIERE TESTANIERE 21 juin 2013 05:58

      A rapprocher de cette théorie de la Psychologie sociale rapportée par le :
       « Petit traité de mani­pu­la­tion à l’usage des hon­nêtes gens »
      de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beau­vois, nommée « Effet de gel et Escalade de l’engagement ».

      Délicieux petit manuel...

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