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Les shérifs de Chauvigny

Dans le brouhaha né de la réception du rapport de la Cour des Comptes sur les politiques de sécurité, on oublie de mentionner la montée en puissance des polices municipales. Sont-elles à même de remplacer police nationale et gendarmerie ? Officiellement, elles sont à la charge des communes.

Jeudi 7 juillet 2011, j'apprends 'L'essor des polices municipales' dans La Croix. Double page (2 et 3) roborative. Trois extraits retiennent mon attention dans l'article principal. Dans le premier, le ministre de l'Intérieur annonce plusieurs mesures censées améliorer le travail des policiers municipaux : "Une médaille d'honneur créée à destination des policiers municipaux méritants. De nouveaux gilets pare-balles pour les agents de ville qui portent une arme, financés à 50 % par l'Etat. L'autorisation d'utiliser le même canal radio que les forces d'Etat

Jean-Baptiste François rappelle ensuite que dès à présent, les policiers municipaux "peuvent participer aux contrôles routiers pour excès de vitesse ou conduite en état d'ébriété ainsi qu'au dépistage de stupéfiants, sous l'autorité d'un officier de police judiciaire. Les agents de villes ont également la possibilité de retenir le permis des individus dépassant de 40 km/h l'allure autorisée". Le maire de Montfermeil (93) interrogé sur le sujet s'est montré prudent. On verra qu'un de ses confrères poitevin ne partage pas ses hésitations. "Mon service porte le gilet pare-balles, mais il n'est pas armé, et je ne le souhaite pas, souligne-t-il. Je leur interdis d'aller dans un certain nombre d'endroits, ou de procéder sans la police nationale à des contrôles routiers. Sans capacité de renfort immédiat et sans préparation, je pourrais les mettre en danger en cas de débordement, et je me décrédibiliserais en cas d'échec."

En résumé, les différences entre polices s'aplanissent, avec une lente montée en puissance des municipaux. Dans un encart, La Croix indique le nombre total de personnels : 18.000 policiers municipaux, auxquels s'ajoutent de fait 1.500 gardes champêtres. Dans le même temps, les effectifs de policiers régressent dans la Nationale : - 9.000 depuis 2009. On assiste par conséquent à un jeu de vases communicants. Jean-Baptiste François note que les petites villes ont été directement concernées par ces mutations : "lorsque les effectifs de police nationale diminuent de façon importante hors des grandes agglomérations, les territoires passent en 'zone gendarmerie', avec moins de présence de sécurité". Dans ces conditions, beaucoup de maires (pré-)cèdent à la pression de leurs électeurs et comblent le vide laissé : les maires de gauche - Manuel Valls en tête - autant que ceux de droite. Grâce au fond interministériel de prévention de la délinquance (créé en 2007), ils ont fait l'acquisition de systèmes de surveillances par caméra, ce qui fait plus l'affaire de sociétés privées spécialisées dans le marché du matériel sécuritaire que celle du contribuable.

Fond ou pas, les effectifs de municipaux s'accroissent. Et le ministère a beau jeu d'affirmer avoir atteint ses objectifs de réduction du nombre de fonctionnaires ! Sur un plan strictement comptable, c'est incontestable. Mais il ne s'agit qu'un simple transfert à la charge des municipalités pour beaucoup déjà endettées : une police municipale coûte en moyenne 100.000 d'euros par an, avec un maximum à 3 millions d'euros.

Jean-Baptiste François se réfère à l'exemple de Marmande ; il place à tort la sous-préfecture du Lot-et-Garonne en Gironde. Elle n'en est distante que de quelques kilomètres. Le ministère a récemment procédé à la fermeture du commissariat (soixante policiers), mettant à la place une compagnie de gendarmerie composée de 28 personnes. Le nombre de policiers municipaux a quant à lui augmenté de neuf à treize. Des caméras filment des vieux devant la fontaine publique depuis avril (source et photo). Quelques agglomérations de plus de 50.000 habitants ont connu les mêmes évolutions, le journaliste retenant le cas de Valence dans laquelle la police municipale compte désormais quarante personnes et effectue des rondes nocturnes. A partir de 1h30 du matin, la BAC prend le relais.

Sur les 18.000 policiers municipaux, un peu plus d'un tiers (39 %) portent une arme de poing, généralement un P-38. Une distinction majeure entre ces derniers et les policiers nationaux est ainsi tombée, les contraintes en terme de sécurité (armurerie, entraînements obligatoires) se ressemblant. Comme on vient de le voir, municipaux et nationaux n'ont théoriquement pas les mêmes attributions. L'appellation de policier recouvre souvent une réalité diverse dans les communes, avec un service aux personnes plus qu'une activité de police stricto sensu. La surveillance de la voie publique et les contraventions ne sont le coeur de leur activité que dans les grandes agglomérations. Dans celles-ci les confusions entre polices ne peuvent que susciter les tiraillements entre les différents corps. Les municipaux ne passent pas de concours nationaux et doivent se faire embaucher par un maire. Ensuite, ils bénéficient d'une certaine stabilité, contrairement aux nationaux susceptibles de passer d'abord par des affectations quasi forcées en région parisienne, avant d'obtenir une mutation en province.

Mais à missions similaires, les rémunérations divergent. Les agents municipaux gagnent moins (jusqu'à 400 €), ne bénéficient ni des primes ni des avantages en nature - en particulier les coups de pouce en fin de carrière et les systèmes de départs anticipés à 55 ans - de leurs confrères. Alors le rapport de la Cour des Comptes publié aujourd'hui provoque des réactions tranchées. Le ministre de l'Intérieur s'insurge. Des députés UMP grognent. Le journal Sud-Ouest recense six griefs principaux. Entre 2002 et 2010, les atteintes aux biens ont diminué (- 29 %), mais les atteintes aux personnes ont elles progressé (+ 21 %). Les effectifs baissent sur l'ensemble de la période (- 5 %), de même façon que les moyens (- 25 % en 2010). Un tiers des fonctionnaires se trouvent en moyenne sur la voie publique. Un autre tiers (30 %) s'avèrent en moyenne indisponibles en 2009 pour cause de récupération, de congés ou de maladies. La lutte contre les stupéfiants ne sert pas à grand chose puisque les gardes à vue pour trafic stagnent (+ 3 %) au contraire de celles ayant suivi une arrestation pour consommation. Enfin, l'usage de la télésurveillance se généralise, sans qu'aucune étude ne valide son efficacité ; la charge financière est elle de plus en plus lourde.

En réalité, les besoins du terrain en hommes et en matériels restent à peu près stables. En habillant Paul on a déshabillé Pierre. On a finalement remplacé des fonctionnaires aux statuts enviables par des fonctionnaires coûtant finalement moins cher. Je déplore comme d'autres ces évolutions, qui s'apparentent à un remise en cause d'un service public de la sécurité ; la cohabitation entre gendarmes et policiers n'allait déjà pas sans quelques frictions. Etait-il judicieux de créer un trio diabolique, chacun renvoyant la balle à l'autre ? Pourquoi a t-on procédé à des coupes dans les effectifs de la police nationale en dépit du bon sens ? Je crains que la dimension économique du dossier ne fournisse une partie de la réponse. Les municipaux coûtent moins cher à la collectivité. Les syndicats corporatistes de la police nationale ont obtenu des gouvernements - droite et gauche confondues - des avantages en nature intenables à moyen ou long terme. Or en agglomération, les charges de travail s'équivalent entre policiers municipaux et nationaux. Les uns sont-ils moins opérationnels que les autres ? Je doute qu'il existe d'études précises en la matière. Il est évidemment plus confortable d'attaquer la politique sarkozyste et le démantèlement des services publics.

Dans un article complémentaire, La Croix présente le travail de terrain dans un gros bourg rural de la Vienne. A Chauvigny, raconte François-Xavier Rivaud, le maire a constitué une équipe de trois agents à qui il vient de demander de circuler dans les rues de la ville la nuit. C'est un exemple précis de confusion des tâches. Pour assurer celles-ci correctement, le port d'armes à feu s'imposerait. Bien sûr, personne n'y trouve à redire sur place, ni du côté des conseillers municipaux socialistes siégeant dans l'opposition municipale ni du côté des gendarmes. Gérard Herbert dramatise la situation, alors même qu'il appartient au parti présidentiel : "Aujourd'hui, les faits de délinquance sont constatés partout, pas seulement dans les grandes agglomérations. Ces dernières semaines, les habitants de Chauvigny ont été témoins de troubles graves, ma mission est de veiller à leur sécurité". Mais pourquoi ne sollicite-t-il pas un renfort de gendarmerie s'il estime qu'il y a péril en la demeure ?

Il s'est aussi exprimé dans ce sens dans les colonnes de la Nouvelle-République (source et photo). Je me tords en lisant son assurance. "Nos trois policiers sauront être responsables". Les conseilleurs et les payeurs appartiennent à deux catégories bien distinctes. Lui ne portera pas d'armes. Il peut toujours arguer que ses agents seront mieux protégés et qu'ils dissuaderont les malfaisants. La charge (entretien et manipulation) et la responsabilité morale de porter une arme pouvant entraîner la mort ne sont pas choses négligeables. Si le préfet donne son accord, les municipaux de Chauvigny ne seront-ils pas plus inquiétants que rassurants, même à l'issue d'une formation adéquate ? Car en matière d'arme, rien ne remplace un usage régulier et une familiarité de tous les instants.

A moins que le Poitou ne devienne un nouveau Far West, et la Vienne ne se métamorphose en Rio Bravo (incrusation, The Tainted Archive) les shérifs de Chauvigny garderont leurs pistolets au fourreau. Et ce n'est pas la semaine du civisme organisée par le maire qui y changera quelque chose. "Les 15-18 ans nous posent de plus en plus de problèmes [le collège de l'arrondissement regroupe 900 élèves]. Certains ne vont plus à l'école et les parents ont démissionné. L'école n'a pu corriger le tir." Les municipaux useront-ils de leurs armes pour rectifier l'éducation d'adolescents à la dérive ?

Le journaliste constate en conclusion que dans un village avoisinant, des patrouilles de nuit ont été constituées à la suite du saccage des vitraux de l'église. A Jardres comme à Lindry ['personne n'y pense mais tout le monde rit'], la périurbanisation produit les mêmes effets. Les besoins en services augmentent, la prohibition échoue - aux Etats-Unis ['Mexicains inutiles'] comme en France ['Cigarettes n'étaient comptées'] - mais on veut croire que les charges diminuent.


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5 réactions à cet article    


  • jymb 11 juillet 2011 10:47

    Police, gendarmerie, police municipale, vigiles, vidéosurveillance, radars à gogo, alarmes, vidéoverbalisation, télésurveillance, géolocalisation...
    Et avec tout ceci, le sentiment d’être surveillé en permanence, mais nullement protégé

    Cette énumération évoque soit l’échec d’une société, soit la volonté d’effacer progressivement toute liberté...comme toujours « pour notre bien »


    • arbinger 11 juillet 2011 16:23

      un peu plus d’un tiers (39 %) portent une arme de poing, généralement un P-38.
      Un P 38 ?!!!! Vous êtes sûr ?


      • Bruno de Larivière Bruno de Larivière 11 juillet 2011 17:08

        Merci. J’ai repris l’info qui passait ! Sans vérifier. C’est bien d’un pistolet qu’il s’agit, mais d’un pistolet automatique... Il s’agit généralement d’un Sig Sauer, qui a remplacé les Manhurin. Je vous renvoie au blog de cet ancien commissaire de police : http://moreas.blog.lemonde.fr/2007/02/28/le-pistolet-sig-sauer-est-il-adapte-a-la-police/


      • 65beve 65beve 17 juillet 2011 19:33

        Bonsoir,

        Bon article.
        D’abord on diminue le nombre de fonctionnaires de police/gendarmerie.
        Ensuite, on augmente le nombre de policiers municipaux et de caméras.
        Celà ne suffira pas.
        La troisième phase que je vois arriver bientôt, c’est l’auto défense avec l’autorisation du port d’arme individuel.
        Ce n’est pas ce que je souhaite.
        Nous serions alors comme aux USA, à défaut de faire baisser l’insécurité, nos dirigeants feront baisser le sentiment d’insécurité.
         
         cdlt.


        • Dzan 18 juillet 2011 08:55

          Un pays qui supprime des milliers de postes d’enseignants et des écoles, pour ouvrir des prisons et multiplier la police, ça sent le putride !

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