Petit guide pour un débat électoral
L'un se contente d'un seul débat, l'autre en voudrait trois : les deux candidats à l'élection présidentielle n'ont probablement pas le même projet médiatique. Or, nous allons être nombreux à regarder ce débat. Ne pourrait-on pas se servir de cette occasion pour décrypter un peu mieux les stratégies mises en oeuvre pour tenter de nous convaincre de voter pour l'un ou l'autre de ces présidentiables ?
Aujourd'hui aura lieu le classique débat électoral de l'entre-deux tours de l'élection présidentielle. Vous vous souvenez sûrement de celui qui avait eu lieu entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy en 2007 : à cette occasion, nous avions pu assister à un combat hyper-préparé, calibré. Rien n'avait été laissé au hasard, ni d'un côté, ni de l'autre. Mais nous étions pourtant nombreux à nous demander si Ségolène Royal saurait tenir sa place face à Nicolas Sarkozy ; ce qu'elle a pu faire, me semble-t-il. Cependant les commentaires sur sa réaction évoquant une colère démontrèrent que, en l'occurrence, le contenu de l'exercice importe parfois moins que les compte-rendus médiatiques qui vont en être faits.
Pour le débat entre François Hollande et Nicolas Sarkozy, il ne semble pas utile de donner des conseils aux protagonistes, étant donné qu'ils s'entraînent depuis longtemps, qu'ils ont des conseillers en communication qui les coachent pour l'exercice, et que les conseils de dernières minutes, dans ce domaine, ne valent pas mieux que la question que l'on bûche juste avant un concours, et qui va jeter un voile sur tout ce que l'on savait avant, au risque de faire rater l'examen.
Donc, si j'ai décidé d'écrire ce texte, ce n'est pas pour éclairer les candidats, mais pour les spectateurs de ce genre de show.
Un certain nombre d'entre vous sont déjà rompus à l'exercice permettant d'analyser les ressorts psychologiques de ces débats. Il me semble que l'on peut cependant préciser certains points. En effet, ce qui nous touche, dans ces joutes télévisuelles, ce n'est pas la somme d'informations politiques que les deux champions vont s'envoyer à la figure, parce que, si c'était cela, il suffirait de lire des articles donnant les chiffres, les vrais, et nous saurions mieux à quoi nous en tenir. Nous serions alors moins nombreux à nous retrouver devant nos écrans à regarder les candidats échanger leurs arguments...
Non, comme dans un match de tennis, ce qui nous accroche, ce qui nous intéresse, et éventuellement guide notre adhésion, c'est la guerre psychologique qui va se jouer sous nos yeux. Ces matchs sont comme les joutes des chevaliers du moyen-âge, les matchs de tennis ou de boxe : une version humaine de la lutte des mâles qui conduit beaucoup de gens sur les stades, ou devant leurs écrans, afin de savoir qui va être le plus fort.
Parlons stratégie
Le jeu de François Hollande a consisté globalement jusque-là à ne pas se laisser entraîner par son adversaire sur des terrains choisis par celui-ci lorsque ce dernier ne voulait pas répondre de son bilan, de ses choix et de ses actes. Ce choix Hollandien me semble bon car le Président sortant paraît expert dans l'art de l'esquive et de la contre-attaque, et cette dernière aurait pu amener François Hollande à sur-réagir et à s'exposer à la critique. Il me semblerait nécessaire que François Hollande rajoute à cette stratégie la capacité à deviner les manœuvres de l'autre, et à ne pas se laisser déstabiliser, notamment par d'éventuels contre-vérités, ou des informations discordantes ou changeant de sens parce que placées hors-contexte.
En ce qui concerne le spectateur
Si l'on souhaite, pour celui-ci, une écoute préservant son libre-arbitre (et que ceux qui ne voient aucun inconvénient à consentir librement à leur soumission cessent ici la lecture...) il convient de déjouer toutes les stratégies des communicants visant à nous faire penser, et surtout ressentir, des choses particulières pendant le débat. Ces stratégies s'additionnent avec celles visant à amener l'autre candidat là où ces communicants souhaitent qu'il aille.
Pour amener les auditeurs à « choisir » un candidat, c'est-à-dire à s'identifier à lui, le trouver sympathique, adhérer à ses thèses et, éventuellement, voter pour lui, il existe plusieurs techniques.
La plus fréquente, et on peut la noter en particulier chez Nicolas Sarkozy, c'est l'appel aux sentiments. On a en face de nous un homme politique important, et celui-ci va nous parler de ses peines de cœur, se positionner en tant que citoyen comme les autres, se mettre à notre place « Je me mets à la place des... ». Cet appel implicite à l'identification a plusieurs conséquences :
Il empêche l'agressivité, car en se mettant à sa place, nous sommes conduits à voir les choses selon son point de vue. Or, il se peut que celui qui utilise cette tactique se pose en victime, une victime pleine de bonne volonté, mais que l'on empêche d'agir dans le bon sens. Donc notre éventuelle agressivité disparait.
Mais cet appel aux sentiments peut donc conduire aussi à voir l'autre interlocuteur du débat comme l'agresseur. Justement à cause de la position victimaire, ou de l'appel à la stigmatisation de l'autre, ou à sa diabolisation.
Il est aussi confusionnant, car coexistent deux plans : celui d'une discussion apparemment objective, politique et rationnelle, utilisant des chiffres comme arguments, et celui d'un match à résonnance affective où l'on prend fait et cause pour son champion
Comment déjouer cela ? Pour le spectateur, c'est facile, il suffit de faire attention à l'irruption de toutes les allusions à son vécu que pourrait faire le Président sortant (ou François Hollande, mais il y a moins de risques) « C'est une responsabilité pour moi, vous savez... » ou « C'est une préoccupation importante pour moi, c'est très lourd... » « Croyez bien que j'y pense souvent... »...
Outre l'appel aux sentiments, une tactique souvent utilisée, c'est la discrète disqualification de l'autre. Je dis « discrète » parce qu'il ne s'agit pas d'insultes à proprement parlé, ni d'un ton haut, mais d'éléments qui dévalorisent l'autre, mine de rien. Par exemple, ce pourrait être « Vous n'allez pas me faire croire que vous ne connaissez pas le nombre de... ». On se rappelle l'allusion aux « nerfs » de Ségolène Royal.
Dans le duel qui va se dérouler sous nos yeux, on peut s'attendre à ce que soit utilisé le détournement, ce qui est fréquent quand un responsable politique veut esquiver une question génante : Il n'est pas répondu à la question, et le questionné renvoie sur un autre domaine. Par exemple, Nicolas Sarkozy risque ne pas répondre sur son bilan, ou alors brièvement, et enclencher sur une mise en accusation de François Hollande ou de son projet. Cette stratégie s'est vu ces derniers jours, où, au lieu de répondre sur les éléments apportés par Mediapart, et depuis aussi par les Inrocks, le Président sortant a contre-attaqué en avançant le nom de DSK.
Induire un certain degré de confusion n'est pas mauvais non plus pour avoir de l'emprise, soit sur l'adversaire, soit sur le spectateur. Aussi il nous faudra faire attention à tous les changements de sujet en cours de réponse, aux mélanges de plans différents (comme expliqué plus haut ) au mélange d'anecdotes et de considérations générales. Ce qui est confusionnant, cela peut être aussi la juxtaposition d'éléments de langage induisant de la peur et de mots, au contraire, rassurants. Ou l'émission de paroles menaçantes, mais dites avec le sourire. Tous ces éléments induisent une très légère instabilité (dissonance cognitive) laquelle a tendance à augmenter l'adhésion à celui qui l'induit.
D'autres techniques seront vraisemblablement mises en œuvre, je ne vais pas les décrire toutes, d'autant plus que nous aurons sûrement des surprises, car cela fait partie de la règle du jeu. Mais ce n'est pas cela qui est important : ce qui me semble fondamental, pour chaque citoyen de ce pays, c'est que nous ne soyons pas dupes, que nous repérions tous les trucs d'acteurs, pour ne pas nous-mêmes être sous l'emprise.
C'est donc notre regard qui doit changer, un regard plus distancié qui va nous permettre de déjouer les stratégies d'influence, et de trouver de quel côté se trouve le plus de vérité et de cohérence.
Dans ce genre de débat, pour certains, tous les coups sont permis. Mais il faut savoir que c'est un spectacle qui nous est offert.
Or, la politique n'est pas un spectacle : ce n'est pas le meilleur acteur, ou le plus grand manipulateur, que l'on doit choisir, mais celui qui sera le meilleur des deux pour gouverner la France et défendre les français. Et il ne faut pas croire que quelqu'un qui pourra écraser son adversaire par toutes ces techniques sera mieux reconnu au niveau international : ce qui compte, ce n'est pas la forme, mais le fond. On peut faire de l’esbroufe un moment, mais quand ceux qui ont été conquis un temps réalisent que tout était bâti sur du vent ou des mensonges, une grosse part de crédibilité est perdue, définitivement.
Texte paru aussi sur Mediapart
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON