Prime à la casse : une bulle automobile ?
La question de savoir s’il faut prolonger la prime à la casse ou se préparer à une sortie progressive agite le gouvernement et inquiète les constructeurs automobiles depuis quelques jours. Pourtant, la « prime à la casse » n’est pas une idée neuve. Des mesures d’incitation à la mise au rebut de voitures vieillissantes avaient déjà été prises en 1994 et 1996 : il s’agit des fameuses « balladurette[1] » et « jupette[2] ». Un an plus tard, les effets pervers l’avaient largement emporté sur les effets positifs et le marché français, sevré de toute prime, baissait de 25%. Les stimulations artificielles du marché avaient faussé la notion de prix et stimulé les ventes des constructeurs étrangers, plus compétitifs (les constructeurs français avaient perdu 6 points de part de marché en deux ans). En dépit de ces deux tentatives infructueuses, la dernière édition de la « prime à la casse » est mise en place en France en décembre 2008. Elle a depuis séduit de nombreux pays dont l’Italie, l’Allemagne et les Etats-Unis. On prétend que cette initiative vise à soutenir l’industrie automobile et à protéger l’environnement. Et c’est, à en croire Eric Woerth, ministre du budget, « une formidable réussite ». Mais en économie, il y a ce que l’on voit, et ce que l’on ne voit pas. Alors, la prospérité passe-t-elle vraiment par la destruction de richesses ?
[1] Décidée par le gouvernement d’Edouard Balladur, une prime à la casse de 5.000 francs (762 euros) est mise en place de février 1994 à juin 1995 pour l’achat d’une voiture neuve, contre la mise au rebut d’un véhicule de plus de dix ans. La mesure, surnommée « balladurette », avait pour but de soutenir un marché déprimé et de relancer la consommation.
[2] Sous le gouvernement d’Alain Juppé, d’octobre 1995 à octobre 1996, la « jupette » permettait à tout propriétaire d’un véhicule de moins de 3,5 tonnes et de plus de huit ans de le mettre à la casse et de bénéficier d’une prime. Elle s’élevait à 5.000 francs pour l’achat d’une voiture neuve des gammes économique ou inférieure et de 7.000 francs (1.067 euros) pour les véhicules de gamme supérieure.
Absurdité économique
La prime à la casse consiste à verser une prime de 1 000 euros à quiconque met au rebut son véhicule âgé de plus de dix ans et le remplace par un véhicule neuf, moins gourmand en carburant et donc moins polluant. 330 000 véhicules ont été écoulés grâce au dispositif, ce qui a coûté 330 millions d’euros à la collectivité en l’espace de dix mois. Que les automobilistes aient répondu favorablement à cette subvention n’a rien de surprenant : qui n’aime pas les cadeaux ? Mais est-il raisonnable d’employer l’argent des contribuables pour encourager les automobilistes à détruire des véhicules en état de fonctionnement, alors que l’on nous martèle depuis des années qu’il n’est point de salut en dehors du recyclage et de la réutilisation ? Si envoyer des voitures à la casse était réellement bénéfique pour l’économie, alors pourquoi ne pas y expédier également les télévisions et les micro-ondes ? Mieux encore, pourquoi ne pas sortir les bulldozers et raser nos maisons ? Voilà qui devrait assurément relancer le secteur de la construction et créer des milliers d’emplois ! Soyons sérieux, démolir des actifs pour s’enrichir est une idée farfelue.
Sans compter que la prime est financée par les impôts de tous, donc par ceux qui n’en bénéficient pas. Et que l’acheteur devra consacrer une partie de son budget au paiement des mensualités de sa voiture achetée à crédit, ce qui l’obligera à réduire ses autres postes de dépense. C’est autant d’argent qui ne sera plus disponible pour la consommation. En d’autres termes, il n’y a aucune création de richesse, seulement un déplacement de l’activité économique d’un secteur vers un autre. L’industrie automobile est délibérément avantagée au détriment des autres, et non pas dans l’intérêt de tous.
Aberration environnementale
Une condition à remplir pour bénéficier de la prime à la casse est d’acheter un véhicule émettant moins de 160 grammes de CO2 par kilomètre, soit un véhicule léger. Mais en dépit des préjugés favorables, la dimension environnementale de la prime à la casse défie la raison. L’âge moyen du parc automobile français est de huit ans, et les véhicules remplacés grâce au dispositif l’auraient été, au plus dans quelques années. Il s’agit donc tout au plus d’une anticipation sur une réduction d’émissions supposée, d’une accélération du renouvellement du parc, qui aurait de toute manière eu lieu. En outre, la destruction des vieilles voitures, et la construction et l’acheminement des nouveaux modèles sont autant d’activités polluantes. Et un véhicule, aussi léger soit-il, reste polluant, contrairement aux transports en commun, qui sont au bord de l’asphyxie et restent sous-financés. Le programme n’est donc pas aussi « vert » qu’on l’imagine, et on peut même dire sans exagérer qu’il s’agit, ni plus, ni moins, d’une subvention à la pollution.
Aucun effet sur l’emploi
Destinée officiellement à soutenir le marché automobile, mais officieusement les constructeurs nationaux et l’emploi en France, la prime à la casse profite en grande partie aux marques étrangères et aux sites de production délocalisés des constructeurs nationaux. En effet, si le marché s’est stabilisé (+1,1% sur les huit premiers mois de 2009), la prime a favorisé les ventes de certaines marques étrangères. Fiat (+5,6%), Ford (+4,9%), Hyundai (+15,0%) ou Dacia (+22,9%) on fait mieux que Peugeot (-0,5%) et Renault (-0,5%) sur la période[1]. Citroën réalise une belle performance avec des ventes en augmentation de 12,1%, mais là encore apparaît un effet pervers : les modèles français qui ont le plus bénéficié des primes et du bonus dit écologique (Renault Twingo, Citroën C1 et Peugeot 107) sont fabriqués en Slovénie et en République Tchèque.
Production des constructeurs français
|
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009([1]) |
-En France |
-3,0% |
-15,2% |
-9,0% |
-18,8% |
-36,5% |
-Hors France |
+4,3% |
+11,9% |
+17,5% |
+0,2% |
-10,2% |
Source : CCFA
La production automobile française décroît inexorablement depuis de nombreuses années, au profit de sites de production dans des pays à faible coût de main d’œuvre. Cela est parfaitement logique, les constructeurs évoluant dans marché mondial et fortement concurrentiel. La dynamique s’accentue d’année en année, et aucune prime ni aucun dispositif ne pourra l’enrayer. Nous ne faisons que retarder l’échéance d’un ajustement nécessaire.
Les primes à la casse sont coûteuses pour les finances publiques, économiquement inefficaces et écologiquement injustifiables. Elles ne font que créer une bulle automobile qui, à l’instar de toutes les autres, finira par éclater.
[1] Source : Comité des Constructeurs Français d’Automobiles (CCFA)
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON