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Accueil du site > Actualités > Politique > Réviser la Constitution : qui peut le faire et en quelles circonstances (...)

Réviser la Constitution : qui peut le faire et en quelles circonstances ?

Simple en apparence, la distinction entre le pouvoir constituant originaire (le Prince, le Peuple), et le pouvoir constituant dérivé (le Parlement) l’est beaucoup moins quand on veut l’approfondir au regard de l’expérience et de ses conséquences.

Indépendamment des éventuelles limites de fond posées par la Constitution à sa propre révision, il se pose en tout état de cause une question générale concernant l’importance qualitative et quantitative possible d’une révision constitutionnelle.

On peut en effet douter qu’un changement mettant en cause des aspects absolument fondamentaux d’un régime politique puisse s’analyser comme une simple révision, quand bien même il aurait été adopté selon les formes et procédures prescrites.

On comprend ainsi bien qu’une loi constitutionnelle qui, en France, rétablirait la monarchie, ou qui par ex, au Maroc, abrogerait le pouvoir royal, n’opérerait pas une simple révision constitutionnelle mais établirait une nouvelle Constitution fondant elle-même un nouveau régime à l’opposé philosophique de la précédente. Quand en 1940, les parlementaires se sont prononcés pour le plein pouvoir de Pétain, et pour l’abolition de la IIIe République, on ne saurait dire que même si les règles et procédures du droit ont été suivies le Parlement ce jour-là n’a effectué qu’une simple « révision ». De même, en votant la création d’une Assemblée nationale en 1789, et en signant le fameux « Serment du jeu de Paume », les parlementaires même s’ils ne remettaient pas, par cet acte, en cause la monarchie, accomplissaient, vis-à-vis de Louis XVI, un acte de lèse-majesté.

Il résulte de cette observation que des limites expresses, sur des aspects à ce point essentiels du choix de société exprimé dans le texte constitutionnel, n’ont pas vraiment d’effet sur le pouvoir constituant dérivé puisqu’une remise en cause de ces aspects traduirait en réalité l’exercice du pouvoir constituant originaire C’est-à-dire que le peuple serait logiquement appelé à se prononcer lui-même par la voie du référendum.

De la même façon, il est permis de se demander si la multiplication de révisions constitutionnelles grignotant progressivement tous les éléments originaux d’un régime politique n’aboutit pas implicitement à en changer. En France, les révisions récentes, importantes, de la Constitution de 58 (Union européenne, parité, Nouvelle-Calédonie, décentralisation, charte de l’environnement) qui remettent en cause la philosophie politique exprimée dans le préambule et les premiers articles de la Constitution conduisent à s’interroger sur le point de savoir si nous ne serions pas passés insensiblement en VIe République, et cette perception, au regard des propositions du comité Balladur, ne peut être que renforcée.

Indépendamment du respect de la procédure de révision, il convient donc d’admettre des seuils de modification au-delà desquels on révise moins la Constitution qu’on ne la change.

Du point de vue normatif il se pose également une difficulté tenant au fait qu’une loi constitutionnelle de révision a forcément la même valeur juridique que la loi constitutionnelle initiale et qu’il n’est donc pas évident d’admettre la subordination de la première à la seconde. Ce qu’une loi a fait peut toujours être défait par une autre loi, et on considère généralement que la loi récente l’emporte sur la loi précédente : « lex posterior derogat priori ».

Dans le cas où c’est le peuple souverain qui en tant que pouvoir constituant originaire révise la Constitution (comme pour le quinquennat par ex) il est bien certain qu’on ne saurait lui demander de respecter ses volontés antérieures. S’il plaît au peuple aujourd’hui de vouloir le contraire de ce qu’il voulait hier, qui donc pourrait s’y opposer puisqu’il est souverain ?

Comme le soulignait l’article 28 de la Constitution de 1793 : « un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer, ou de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ».

Lorsque le pouvoir de réviser, en revanche, est confié à une assemblée d’élus (le Congrès donc) la soumission de cette dernière aux conditions et limites posées par la Constitution, dans son écrit (son texte), mais aussi dans l’idéologie qu’elle transporte (la philosophie des Lumières, pour la France) s’impose, car ce n’est pas le souverain directement, mais son mandataire qui va devoir statuer.

Si l’on reprend le point de vue normatif, il faut aussi ajouter ce qu’on nomme en droit le « parallélisme des formes », règle qui tout simplement impose qu’en raison de l’ordre hiérarchique de la loi consacrant la supériorité des lois sur les décrets, de la Constitution sur la loi, des lois référendaires sur la Constitution, un texte pour être modifié, révisé, changé, corrigé, doit suivre la même procédure que pour le « premier acte ».

Le « traité simplifié » est de ce point de vue concerné. En effet, en droit, l’ordre hiérarchique impose que le « constituant » chargé de réviser la Constitution, en reprenant tout ou partie des éléments institutionnels (qui sont présents) et constitutionnelles (ce qui est le cas ici : par ex les transferts de souveraineté, ou le statut juridique de l’UE) d’un texte qui a été refusé par le pouvoir souverain directement, soit le même « constituant », ceci pour la simple raison que bien qu’étant aussi pouvoir « constituant », le Parlement, hiérarchiquement, se trouve au-dessous du peuple qu’il doit représenter, servir. De même que le gouvernement, qui réalise des décrets, et possède une forme du pouvoir « législatif », se doit de, lorsque le décret ne respecte pas une loi votée par le Parlement (qui est supérieur au niveau législatif sur le gouvernement), soit proposer un décret respectant la loi votée antérieurement, soit proposer au Parlement une loi, qui selon le principe évoqué plus haut, est seule capable d’abroger (si nécessaire) la précédente loi.

Si l’on prend, par ex, le cas de la réforme des retraites, une loi en 2003 a été votée par le Parlement. Celle-ci prévoit une « remise à plat en 2008 » des régimes des retraites, et de leurs modalités. Le gouvernement de monsieur Fillon a ici respecté aussi bien le principe de « seule une loi peut défaire une loi », que le principe du « parallélisme des formes » puisque la forme adoptée pour la réforme de 2007, est un décret, qui par conséquent ne remet pas en cause la loi de 2003, en avançant par ex le « calendrier » fixé à 2008, pour la « remise à plat », ou en abrogeant les dispositions de la loi de 2003, ce qui dès lors serait anticonstitutionnel... Et donc sujet à une irrecevabilité de la part du Parlement. Ces principes de droit expliquent donc en partie le fait que le gouvernement se préoccupe uniquement d’obtenir les 40 annuités pour tous, et non une « remise à plat » totale, qui en raison de la loi de 2003, ne pourra se faire qu’en 2008. De ce point de vue juridique, on comprend mieux le « raisonnement » du gouvernement, qui logiquement, suit la « procédure ». Il est en revanche assez étonnant que certains parlementaires UMP ou Nouveau Centre se plaignent d’un « recul » du gouvernement alors qu’ils sont eux-mêmes à l’origine de ce « calendrier ». Il est tout aussi surprenant à cet égard qu’aucun parlementaire ou ministre chargé du dossier n’ait cru utile d’anticiper les frustrations normales d’un certain nombre d’électeurs citoyens, en rappelant que la « mise à plat » aura bien lieu en 2008, et non en 2007, pour respecter la loi votée en 2003. Les élus et ministres penseraient ils donc que les Français passent leur temps à connaître l’ensemble des procédures et règles du droit ? Peut-être serait-il judicieux de rappeler que ce qui passe pour un « recul » n’est en réalité que la simple manifestation du droit par l’Etat ?

Si l’on prend maintenant les lois récentes, votées par le Parlement, leur application peut se faire dès 2007 (si le gouvernement fait l’effort de sortir les décrets à temps) car aucune loi sur par ex les universités n’imposait de calendrier pour une « remise à plat » du système universitaire français. Néanmoins, les lois précédentes, sur l’université, donnaient un « mode de gouvernance » de celles-ci, sensiblement contraire au nouveau, voté par les parlementaires récemment. L’amendement de la loi existante n’aurait donc pas suffi, pas plus qu’un décret, qui en raison de son infériorité par rapport à la « puissance » de la loi, aurait été dans l’incapacité d’abroger le mode de gouvernance des universités. Cette contradiction - passage d’une université très étatisée à une université plus « autonome » - ainsi que l’ordre hiérarchique juridique, imposait donc un passage devant le Parlement, pour légitimer la réforme, avant sa promulgation par le président de la République. Se satisfaire du gouvernement n’aurait pas été possible.

Si l’on repart du fameux « traité simplifié », pour qu’il soit authentiquement légitime, un passage devant le peuple lui-même est logiquement nécessaire. En effet, l’ordre juridique parle des « lois constitutionnelles » et laisse à penser qu’une révision de la Constitution, qu’elle se fasse par le biais du Parlement ou bien du peuple par référendum, a une même portée juridique, puisque la nature du texte est toujours d’être une « loi constitutionnelle ».

Mais c’est oublier là les avis du Conseil constitutionnel, qui en dépit de ses contradictions a donné primauté à la loi constitutionnelle référendaire sur la loi constitutionnelle parlementaire, en 62, en se déclarant « incompétent » pour juger la conformité de la décision souveraine à la Constitution, au motif qu’elle est « l’expression directe de la volonté souveraine ». Si le Conseil constitutionnel a dit pendant un temps être incompétent pour juger les « lois constitutionnelles » et donc leur conformité à la Constitution (suite à sa saisine sur la question de la décentralisation censée porter atteinte à la « forme républicaine du gouvernement », ce qui englobait donc aussi bien les révisions constitutionnelles référendaires que parlementaires), il semble qu’il se soit rétracté, puisque l’un de ses avis dit précisément que le « pouvoir constituant dérivé (le Parlement) est souverain sous réserve de limitations » prévues par la Constitution. C’est-à-dire que les révisions constitutionnelles faites par le Parlement doivent respecter non seulement l’écrit (les articles, les références inscrites dans la Constitution) mais aussi « l’esprit » de la Constitution, c’est-à-dire tout ce qui fait que la France a un régime original.

Ainsi, par ex, le Parlement ne pourrait pas proposer une révision de la Constitution visant à faire du président de la République l’arbitre aux chrysanthèmes de jadis. De même, le gouvernement ne pourrait pas soumettre un projet de révision consistant à fragiliser un Premier ministre de cohabitation, en lui retirant par ex son droit de « déterminer et conduire la nation ». Cela reviendrait à le spolier de toute initiative politique, et finalement de pouvoir politique. Si à l’UMP on est par ex favorable à ce que le président puisse « gouverner », il ne faut pas se cacher qu’une révision parlementaire serait un camouflet à la démocratie, car il semble assez évident que si les citoyens votent pour un président d’une tendance politique, et pour un Parlement d’une autre tendance politique, ce n’est sans doute pas pour que le Premier ministre issu dudit Parlement « coordonne la politique » que le président « détermine » ! D’autant plus qu’en pratique, un Premier ministre PS devant « coordonner » par ex, la politique de monsieur Sarkozy, aurait quelques difficultés à convaincre les parlementaires de le suivre !

Autrement dit, il convient de revenir aux sources de la Ve République, c’est-à-dire que si l’on a un président qui désire « gouverner » il faut supprimer la cohabitation, et donc imposer au président ainsi « sanctionné » sa démission. Paradoxalement, le Parlement serait ainsi plus équilibré par rapport à l’exécutif, et le président mieux protégé, car les citoyens y réfléchiraient à deux fois avant de sanctionner le président aux élections législatives, d’autant plus que le président démis pourrait néanmoins se représenter.

L’autre solution est bien sûr d’écarter complètement le Premier ministre, en le supprimant, purement et simplement, pour éviter la fameuse « hypocrisie » qui consiste en gros à envoyer le nommé au charbon, tandis que l’élu profite de la vie de palais. Mais cette solution ne semble pas vraiment plus intéressante que la première, ne serait-ce que parce qu’un chef d’Etat, sans Premier ministre, et qui n’aurait pas une réelle volonté de gouverner, ou du moins d’être exposé en permanence, peut être préjudiciable à la France. Si Louis XIV crut bien faire en sortant de la logique « ministérielle », ses successeurs, moins « habités » par sa conception absolue de la monarchie, eurent du mal à « gouverner » car pour cela il leur aurait fallu un Premier ministre « de combat » pour les soutenir, comme l’avait fait notamment Richelieu pour Louis XIII ou Mazarin dans la prime jeunesse du roi Soleil. Si monsieur Sarkozy se sent aujourd’hui l’âme « louis-quatorzienne » en défendant une conception très présidentialiste du pouvoir, sans doute conviendrait-il cependant de remettre à plus tard une telle réforme constitutionnelle, étant donné que les successeurs de monsieur Sarkozy, moins « habités » par sa conception du rôle de chef d’Etat, seraient de fait contraints d’adopter un mode de fonctionnement qui soit en incohérence avec leur personnalité, et leur conception du pouvoir, ce qui serait donc préjudiciable à la France.

La tradition politique française impose la nécessité d’un Premier ministre, chargé en quelque sorte de « booster » le chef d’Etat, de lui apporter un soutien sans condition, et d’être en quelque sorte son bouclier... Avec en principe, selon les pressions exercées et si le chef de l’exécutif n’est pas un lâche, un « retour de l’ascenseur ».

Il faut toujours garder en mémoire que si la monarchie est morte, en France, sa conception de l’Etat imprègne tout l’appareil étatique, et ce n’est par conséquent pas vraiment un hasard, si chez nous, l’élection présidentielle revêt une importance si grande. Le Premier ministre, justement, se retrouve sous trois régimes pourtant bien différents au premier abord : la monarchie, l’empire, la république.

Sous les trois, le Premier ministre subit la « loi » de celui qui l’a nommé. Et est envoyé au charbon, avec plus ou moins d’ingratitude en retour, que ce soit de la part du monarque, de l’empereur, ou du président de la République. Premier ministre ? Un métier à risque ! On comprend qu’il faut avoir la foi bien accrochée pour ne pas sombrer. Car si Louis XIII défendit hardiment Richelieu, si Louis XIV défendit ses ministres, si Chirac entoura de son « aura » son « Dominique », on ne saurait en dire autant de Louis XV, Louis XVI, Napoléon, Mitterrand, et Giscard, ou Chirac vis-à-vis de « Jean-Pierre ».

La nécessité d’un Premier ministre en France est par ailleurs logique, en raison du rôle très important, là aussi issu de la monarchie, mais cette fois-ci particulièrement à la période de la Restauration, où en plus d’être « l’Homme du » (roi, empereur, président), le Premier ministre est devenu le chef d’une « majorité », pas toujours facile à trouver.

Même si monsieur Sarkozy garde un contact étroit avec sa formation politique d’origine, et en dépit de sa conception du « rôle » du président, il va devoir apprendre à respecter cet héritage, un peu troublant, parfois déroutant, du système étatique monarchique. Monsieur Fillon est pour les Français, en raison de sa fonction de Premier ministre, celui qui est appelé à tenter de réunir des forces politiques, dans le but de faire avancer sa politique. En tant que chef de la « majorité » il a pour rôle essentiel de rassembler des courants politiques, pour les faire adhérer à un projet politique. Cela ne signifie pas que le Premier ministre doit « mater » le Parlement, bien au contraire, mais simplement être un très bon VRP des idées du président auprès des parlementaires. Bref, il doit faire ADHERER et non IMPOSER (sans circonstances exceptionnelles) les vues présidentielles à des parlementaires, certes souvent dociles, mais qui parfois et justement demandent une nécessaire explication et argumentation des textes proposés.

C’est au Premier ministre de déterminer et de conduire la politique de la nation. Il ne peut, parce que la France n’est en aucun cas les USA, l’Allemagne, l’Espagne ou bien l’Angleterre, n’être qu’un simple « collaborateur ». Quoi que puisse en penser monsieur Sarkozy, dans l’esprit des Français, si le chef de l’exécutif (le président) est appelé à monter au créneau, non pas tant pour défendre sa « vision politique » que pour soutenir ses ministres en les protégeant par la légitimité qu’il a reçue, il doit néanmoins être au-dessus des partis, même s’il renonce à être un « arbitre ». Ceci non pas pour l’empêcher de parler à sa formation politique, mais parce qu’il est perçu par les Français comme le socle de l’unité, qui dès lors ne peut plus être partisan.

Le Premier ministre, quant à lui, a une place fondamentale auprès du président. C’est lui qui politise le débat. C’est lui qui est chargé de « l’opérationnel ». Et si aujourd’hui monsieur Fillon baisse plus rapidement dans les sondages que le président, ce n’est pas dû à l’activisme présidentiel seul, mais parce qu’il ne s’empare pas réellement de ses rôles, aussi bien de chef de la majorité (les Français pensent ainsi que le Premier ministre n’accordant pas assez de temps à sa « majorité » le président est obligé de se coltiner tout le boulot) que de soutien du président (on se serait ainsi attendu à ce que monsieur Fillon protège le président, en faisant « l’intérim » suite à son divorce, pour lui laisser du temps pour s’en remettre).

Mais peut-être aussi, sans doute, les citoyens attendent-ils une troisième chose de monsieur Fillon : conduire sa politique. C’est-à-dire non seulement l’expliquer, la rabâcher si nécessaire, mais plus encore « guider » la réforme, en donnant l’exemple. Or, si monsieur Sarkozy peut se permettre de ne pas aller voir la « majorité » pour qu’elle mette en œuvre son programme politique, monsieur Fillon, qui se présente lui-même comme « gardien » des réformes, est légitimement celui dont on attend que lorsqu’il dit que « la France est en faillite » demande des efforts à sa « majorité » avant d’exiger des sacrifices du peuple. L’exemplarité paye toujours. Monsieur Fillon, qui se réjouissait du Grenelle de l’environnement, serait bien inspiré de venir, en signe de « solidarité » avec les Français, en vélo à Matignon, et d’inciter sa « majorité » à le suivre dans cet acte. Récemment, quelques élus UMP ont écrit à madame Bouquet et monsieur Depardieu, pour leur rappeler grosso modo que sur la question des logements, s’ils trouvaient si indigne de voir des gens dans les rues, ils pourraient sans doute les loger et les nourrir dans les restaurants leur appartenant. Cette lettre, que personnellement j’ai appréciée, disait donc simplement : avant de donner des leçons aux autres, commencez par faire acte d’exemplarité à cet égard. C’est là très exactement ce que les citoyens français attendent de leurs élus.

Ce qui est certain, en tout cas, c’est que si une telle révision était proposée, elle devrait obligatoirement passer devant le peuple. Car si le Parlement, en tant que pouvoir constituant dérivé, est habilité à « modifier » la Constitution, dans le but de permettre un « meilleur fonctionnement des institutions », ou de réviser cette dernière pour l’adapter à certains traités signés par le président, le Parlement doit veiller scrupuleusement à ne pas « changer » par une révision la Constitution, c’est-à-dire l’idéologie politique et surtout philosophique qu’elle porte.

En supprimant la fonction de Premier ministre, ou en faisant de ce dernier un « simple collaborateur », la révision augmenterait le poids politique du président, en le mettant au premier plan. C’est-à-dire qu’on passerait d’un régime semi présidentiel, à un régime présidentiel total. Cela modifierait complètement le « rôle » du président, qui perdrait ainsi son caractère « d’arbitre » et d’élu « au-dessus des partis ». Le président, ainsi investi d’une responsabilité politique, ne pourrait logiquement, dès lors, plus se prévaloir d’une immunité politique et pénale, que seul son rôle traditionnelle d’organe « unitaire » explique et justifie. Si juridiquement, cela reviendrait à faire une « révolution » du texte, les conséquences sur la vie politique du pays en seraient tout aussi importante, avec par ex une fracture politique entre les Français, fragilisant considérablement l’unité du pays, et le respect des Français envers un président qui ne serait dès lors plus celui de « tous les Français » mais un simple chef de majorité, qui d’ailleurs, faute d’être protégé pénalement, subirait des attaques nécessairement fortes de « l’opposition », ce qui immobiliserait en quelque sorte la vie politique française, et plus gravement encore, le pays tout entier. Cette situation contredirait qui plus est l’article 1 de la Constitution, qui fait de la France une République « indivisible » et permettrait ainsi à certaines personnes, plus ou moins mal intentionnées, de suggérer l’autonomie de telle ou telle région française, une partie du pays ne reconnaissant plus en monsieur Sarkozy le président de la France, mais uniquement celui d’une tendance politique appelée UMP. On arriverait donc à une situation semblable à celle que vit actuellement la Belgique. Ce qui pour la France, pays si attaché au « vivre ensemble », serait considérable, puisque c’est la vie même de l’Etat républicain, au sens juridique où on l’entend, qui serait remise en cause.

Si une telle révision, donc, était envisagée, les parlementaires devraient, car leur devoir le leur commande, soit se prononcer pour l’irrecevabilité, soit demander un référendum, qui en raison du sentiment national manifeste, et de l’attachement des Français à l’unité du territoire et des « cœurs » pour la France, devrait probablement conduire à un « non ». Autrement dit, nous avons besoin d’un Premier ministre en France, pour toutes les raisons évoquées plus haut, mais surtout pour garantir au président son statut « unitaire », et donc la paix entre les Français.

Les parlementaires sur ce type de révisions, sortent obligatoirement de la procédure « normale », puisqu’une telle révision ne modifierait pas la Constitution, elle la changerait. Or, en tant que « règle » commune, la Constitution devant être le « droit du droit » ou la « Loi fondamentale », il est bien évident qu’elle ne peut être considérée comme un simple texte de loi, modifiable à volonté. La Constitution n’a pas à être transformée tous les matins, pour servir de faire-valoir à tels lobbies, partis politiques ou associations, d’autant plus si les citoyens sur la question, en tant que pouvoir souverain, ne sont pas appelés à se prononcer.

Une révision de la Constitution devrait toujours être justifiée, et pour l’être, devrait être conforme au fait que la « forme républicaine du gouvernement » ne peut être révisée, c’est-à-dire que les révisions faites par le Parlement, sur proposition ou non du gouvernement, devraient en principe être faites selon le principe du « gouvernement du peuple, pour le peuple, et par le peuple ».

Je vais prendre un ex. Dans les propositions du comité Balladur on trouve une proposition sans doute murmurée par monsieur Jouyet, visant à ne pas faire de référendum sur l’élargissement de l’Union européenne. Rappelons tout d’abord que cette obligation constitutionnelle, inscrite récemment par le Parlement, composé majoritairement de parlementaires UMP, sur proposition du président Chirac, pour respecter un de ses engagements électoraux, se justifie, car elle permet ainsi au peuple de se prononcer directement sur l’adhésion de nouveaux pays en UE. Il serait assez étrange, même amoral, que les élus qui ont voté pour cette révision se renient quelques années plus tard, dans le seul but de satisfaire le président. Quelle crédibilité après, auprès des électeurs !

Par ailleurs, de la part d’un président qui défend si souvent le fait qu’il fera ce qu’il a dit, et donc semble attaché au respect des promesses électorales, il est assez déroutant de concevoir que ledit président pourrait en revanche piétiner une mesure du président Chirac visant à respecter ses propres engagements !

S’ajoute à cela qu’une telle mesure est quelque peu difficile à justifier, car on voit assez mal où on pourrait la classer. Permettrait-elle donc une meilleure efficacité des institutions ? Vraisemblablement non. Elle creuserait simplement plus le fossé entre l’Europe et les citoyens. Est-ce un nouveau droit des citoyens ? Non plus. C’est même plutôt une régression démocratique. Cette mesure semble en fait essentiellement partisane, et proposée uniquement pour flagorner auprès du président.

Il en résulte donc qu’une séparation entre les « révisions » permises par voie parlementaire et les révisions « non permises » sans référendum, est nécessaire.


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12 réactions à cet article    


  • bernard29 candidat 007 14 novembre 2007 16:05

    Pour le moment la question de la procédure de révison est du seul ressort du Président. Lui seul peut décider si la revision nécessite un référendum ou pas. (en fait c’est son bon vouloir). En cela notre constitution n’est même pas démocratique car en effet, si l’on change la nature du régime, il serait légitime que le peuple soit consulté.

    On peut même aller plus loin, si on veut changer la nature du régime, (donc normalement de constitution) il serait évidemment plus que légitime de convoquer une constituante.

    Il est assez étonnant de faire un si long texte sur les revisions constitutionnelles sans citer une seule fois l’article 89 (de la revision de la constitution) ni l’article 11 de la même constitution qui a été utilisé par Degaulle pour ses deux grandes revisions constitutionnelles (élection du président au suffrage universel en 62 et régionalisation et réforme du sénat en 1969).

    A ce sujet, le rapport Balladur prévoyait une légère modification de l’article 89 qui ne semble d’ailleurs pas reprise par la lettre de Sarkosi.

    En tout état de cause, cette dernière lettre de Sarkosi du 12 novembre ne retient pas les modifications de répartition des pouvoirs entre le Président et le Premier Ministre du rapport Balladur. De fait, rien ne change dans l’écriture des articles 5, 20 et 21.


    • miss77 5 mars 2009 20:14

      bonjour je suis une eleve de 3eme et je voudrais savoir quels sont les 2 moyens de réviser la constitution 


    • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 14 novembre 2007 17:27

      Il n’y a pas de hiérarchie constitutionnelle entre la référendum et le vote par le congrès. Les deux voies ont valeur équivalente et le choix entre les deux est une prérogative du président de la république (sauf en ce qui concerne l’élargissement de l’Europe, ce qui justifie que NS ait l’intention de supprimer cette exception absurde), donc ne peut être effectué que par la voie indirecte.

      On peut même considérer comme beaucoup de constitutionnalistes que sur des sujets techniques engageant des décisions dont les électeurs ne peuvent pas tous maîtriser les implications qui repose sur un compromis délicat, la voie parlementaire est plus efficace et plus démocratique que la voie référendaire ;

      Celle-ci peut être la porte ouverte au chaos, dès lors qu’une décision est purement négative et n’ouvre aucune perspective souhaitable et réaliste, ou ouvre celle de la tyrannie populiste plébiscitaire. C’est pourquoi, par exemple, le référendum, comme procédure anti-démocratique, est interdit par la loi fondamentale allemande et nous savons pourquoi...

      Changer la constitution ou changer de constitution, ouvre un débat byzantin indécidable donc stérile. Le fait est qu’une constitution n’a aucun caractère sacré , comme toute construction humaine.


      • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 14 novembre 2007 17:43

        et qui repose sur un compromis délicat


      • Asp Explorer Asp Explorer 14 novembre 2007 18:18

        Il n’y a pas de hiérarchie constitutionnelle entre la référendum et le vote par le congrès.

        Il faut quand même être gonflé pour oser écrire un truc pareil.


      • bernard29 candidat 007 14 novembre 2007 19:15

        A Monsieur Reboul,

        S’il y a un pays ou la discussion « changer de constitution ou changer la constitution » est un débat récurrent c’est bien la France.

        C’est parce que nous avons le régime le plus bâtard qui soit. Ni présidentiel , ni palermentaire. Les revisions constitutionnelles peuvent aller soit vers l’hyperprésidentiel le moins contrôlé qui soit, ou le parlementarisme « le plus monarchique qui soit ».

        Et ce flou artistique est en général trés bien accepté par ceux qui sont au pouvoir, m^mee si dans l’opposition ils s’en plaignent. Quant aux citoyens on s’en fout, n’est-ce pas Monsieur Reboul, puisqu’ils ne sont pas aptes à juger des finesses constitutionnelles. Ils savent au moins une chose, c’est qu’ils sont pris pour des cons et c’est pour celà que les citoyens gagnent les référendums. Et que d’autres sont obligés d’utiliser des arguments indignes d’un démocrate socialiste pour faire accepter leurs petits choix minables.


      • Martin sur AgoraVox Martin sur AgoraVox 14 novembre 2007 19:59

        Concernant ce sujet comme concernant les autres questions qui relèvent des décisions politiques, les articles ou les commentaires que l’on peut écrire, sur AgoraVox ou ailleurs, peuvent-ils amener les politiques qui sont au pouvoir à respecter les règles fondamentales de la démocratie véritable ?

        La démocratie est assurée par deux conditions indissociables :

        · La liberté d’opinion doit être garantie : cela signifie que les citoyens sont libres d’exprimer et de propager toutes les opinions quelles qu’elles soient.

        · Chaque décision politique doit être conforme aux désirs de la majorité des citoyens qui désirent prendre part à la décision.

        Le concept de démocratie est ancien. La définition en a été donnée en Grèce il y a des millénaires.

        Toutes les redéfinitions, des variantes de sens, qui ont depuis été attachées au mot « démocratie » ne sont donc que des falsifications. La démocratie technocratique, la démocratie des élites, la démocratie des oligarques, la démocratie parlementaire, la démocratie participative, la démocratie représentative - tout cela sont des tentatives de masquer diverses formes de l’oligarchie sous des dénominations « démocratie quelque chose ».

        Dans le système politique actuel les politiques sont élus, ensuite ils prennent des décisions, écrivent des lois, signent les traités internationaux, engagent des dépenses que des générations futures devront rembourser etc., sans vérifier si la majorité de la population est d’accord avec chacun de leurs actes, et même souvent en sachant que la majorité de la population n’est certainement pas d’accord avec certains de leurs actes.

        Quelles actions faut-il entreprendre pour obliger enfin les politiques au pouvoir à mettre en application la démocratie véritable, la démocratie dans laquelle chaque décision politique répond aux souhaits de la majorité des citoyens qui se sentent concernés par la décision ?


        • bernard29 candidat 007 15 novembre 2007 01:26

          quelles actions entreprendre ?

          En voici deux, au moins pour ceux qui souhaitent la fin du cumul des mandats,

          - voici une nouvelle pétition qui vient d’être lancée par des gens du MODEM et du PS. http://oeuvrer.org/

          et une lettre ouverte aux parlementaires ;http://changerlarepublique.over-blog.com/

          Si cela vous intéresse, vous pouvez participer à ces initiatives, en lancer d’autres ou populariser auprés de vos élus et candidats aux municipales dans votre région. Et peut être qu’il y aura des résultats.


        • Martin sur AgoraVox Martin sur AgoraVox 15 novembre 2007 20:33

          On a effectivement recours à des pétitions en France. Mais en France ces démarches ne sont pas des éléments d’une procédure reconnue, légalisée, de prise de décision démocratique. Même si une pétition obtenait le nombre de signatures correspondant à 20 % des citoyens électeurs, cela ne veut pas dire que la majorité des citoyens qui se sentent concernés est d’accord avec ce que propose la pétition. La pétition, comme la grève, comme l’émeute, ne sont pas les outils qui doivent forcer la décision. Du mois en démocratie.

          La pétition, qui n’est pas anonyme, devrait être comprise seulement comme l’équivalent d’une demande de référendum, ensuite il faudrait qu’il y ait référendum et la décision retenue devrait être conforme aux résultats de référendum, ce dernier étant anonyme ce qui garantit l’absence des pressions sur les électeurs.

          Le problème c’est que nous ne sommes pas en démocratie. Donc peu importe l’initiative citoyenne, peu importe que les citoyens demandent que la décision soit prise selon la volonté de la majorité des citoyens qui souhaitent exprimer leur volonté.

          Le recours à une demande de référendum d’initiative citoyenne, ou si on veut à une « pétition », n’a de sens que si la loi oblige à en tenir compte.

          En 2006, une pétition eurocitoyenne a été lancée par l’eurodéputée Cecilia Malmström dans l’esprit de l’article 47 du traité établissant une Constitution pour l’Europe - mais sans valeur légale - pour que les travaux du Parlement européen soient regroupés à Bruxelles (où sont déjà regroupés la plupart de locaux des institutions de l’Union européenne) et non plus éclatés entre Strasbourg, Luxembourg et Bruxelles. Cette demande est le bon sens même. On chiffre à 200 millions d’euros par an le coût des transports bi-mensuels du Parlement européen et à cela il faut rajouter le coût des locaux dédoublés du Parlement européen et le coût de logement des députés et de millier de gens qui accompagnent les députés. La pétition eurocitoyenne a recueilli 1 000 000 de signatures en 4 mois. Mais les politiques ont décidé d’ignorer ce signal envoyé par les citoyens ... le gaspillage de l’argent des contribuables européens continue et la perte d’efficacité des députés européens continue également.

          Les politiques ont décidé d’ignorer la pétition et de ne pas convoquer de référendum parce que rien ne les y oblige.

          Ceci dit recueillir 1 000 000 de signatures est quelque chose d’exceptionnel. On ne peut y parvenir que si certains partis politiques organisent la procédure.

          Il faut comprendre que le nombre de signatures pour déclencher le recours au référendum doit être faible, afin qu’un citoyens seul, faisant appel à une simple association ou à des amis puisse les recueillir. Le nombre de signatures ne doit pas être élevé car alors seuls les partis politiques pourraient déclencher le processus. Mais le but de la démocratie directe (qui permet de satisfaire aux conditions de la démocratie véritable et qu’il ne faut pas confondre avec la « démocratie participative ») c’est justement de permettre aux citoyens d’intervenir directement sans l’intermédiaire des partis politiques. Pour cette raison, le nombre de signatures ne doit pas être directement proportionnel à la population concernée par le vote. Autrement dit, en France, si ce système était mis en place il ne faudrait pas dépasser ce seul de 100 000 signatures car c’est un objectif très difficile à atteindre pour un citoyen particulier qui agit seul.

          Mais je reviens à mon constat : rien n’oblige les politiques à tenir compte de la volonté de la majorité des citoyens.

          Par contre, parce que la société française ne dispose pas de moyens démocratiques, régulés par la loi, d’imposer la volonté de la majorité, en définitive seuls ceux qui sont en position de force, en position de chantage, arrivent à imposer certaines décisions aux politiques (alors qu’ils ne sont même pas majoritaires). C’est le règne des grèves, des émeutes et des groupes de pression divers, y compris des lobbies professionnels qui agissent sur contrat.

          Et donc je reviens à ma question : comment obtenir la démocratie véritable, comment obtenir que toute décision politique soit prise selon la volonté de la majorité des citoyens qui souhaitent exprimer leur volonté ?

          Car la démocratie véritable n’est pas une théorie, il existe un État européen qui depuis plus d’un siècle améliore son système politique qui est basé sur les référendums généralisés. Le référendum qui s’y pratique est un moyen civilisé, à l’opposé des procédés français de chantage par la grève, l’émeute etc. Souvent ces améliorations y sont demandées directement par les citoyens eux-mêmes, qui n’ont pas besoin de partis politiques pour faire entendre la volonté de la majorité des citoyens.

          Et donc je demande : comment forcer les politiques à mettre en place la démocratie véritable ?



          • ZEN ZEN 15 novembre 2007 10:28

            Un récente petite révision de la Constitution, proposée par Mr Balladur,passée presque inaperçue, mais lourde de conséquences :

            http://contrejournal.blogs.liberation.fr/mon_weblog/

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