La Franc-maçonnerie et les femmes
Je verse aux débats amorcés sur votre site le texte de ma conférence réalisée dans le cadre d’une réunion ouverte au grand public sur le thème de la franc-maçonnerie et les femmes.
En interdisant dans ses constitutions de 1723, l’entrée des femmes, sous couvert de la tradition, la franc-maçonnerie, dès son origine, va offrir à ses détracteurs un sujet de polémique. Véritable serpent de mer, la relation entre la franc-maçonnerie et les femmes est profondément imprégnée de préjugés de toutes sortes, véhiculés aussi bien par les partisans de l’ouverture des temples aux femmes que par ses adversaires, ces préjugés ont la vie dure car loin de s’éteindre, ils restent en ce début du XXI° siècle d’actualité.
La tentative avortée l’année dernière du GO, d’ouvrir ses Loges aux femmes est là pour nous rappeler que la relation entre la Franc-maçonnerie et les femmes reste un sujet conflictuel. Devons-nous, en conclure que la franc-maçonnerie au nom de la tradition demeure une association sexiste, misogyne, sectaire, hypocrites ? qualificatifs que l’on retrouve régulièrement dans les médias ces derniers temps.
N’en déplaise à ses détracteurs, les choses bougent. La GLUA ne vient-elle pas d’organiser une exposition intitulée « Les femmes et la franc-maçonnerie : Le centenaire » ?. N’entretient-elle pas depuis 1996 des relations avec les GGLL féminines qui dépassent largement le cadre des relations cordiales ? Quand d’autres Grandes loges régulières, comme celles de la Suisse et de la Suède reconnaissent l’existence d’une maçonnerie féminine...
Nous allons tenter ce soir, non pas d’éteindre la polémique, mais de dépassionner le débat sur la Franc-maçonnerie et les femmes, en redonnant à la raison la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre. Et pour cela, je vous invite à revisiter l’histoire maçonnique, à nous pencher sur sa finalité, sur sa vocation spirituelle, sur le sens de l’initiation, sur le rôle du rite, avec l’espoir que ces éléments nourriront vos propres réflexions.
N’oublions pas qu’il est toujours plus facile de savoir où l’on va, dès lors que l’on sait d’où l’on vient....
2- L’Angleterre : L’objet du scandale
Quel est donc l’objet du scandale qui alimente la polémique depuis près de 3 siècles maintenant ?
C’est ce fameux article III des constitutions d’Anderson de 1723, précisant que ne peuvent être admis comme membre d’une Loge, que :
« Des hommes bons et loyaux, nés libres, ayant l’âge de la maturité d’esprit et de la prudence, ni serfs, ni femmes, ni hommes immoraux ou scandaleux mais de bonne réputation », La modification apportée par la révision de 1738 se borne à remplacer le mot serf par celui d’esclave
Quant aux constitutions des anciens, parue en 1756, elle stipule, que :
« Les hommes admis parmi les francs-maçons doivent être nés libres (ou hors servage), d’âge mûr, de bonne renommée, sains de corps, sans difformités des membres au moment de leur admission, on n’admet ni femme, ni eunuque ».
peut-on adhérer à une organisation qui, dans ses textes fondateurs, identifie la femme au serf ou au esclave ?
Rappelons-nous que ces constitutions objet de tous les scandales sont une émanation des « old charges » qui codifiaient au moyen age les différentes corporations. Elles étaient les conventions collectives de l’époque, puisqu’elles réglementaient en autre, les conditions de travail comme le travail de nuit par exemple, déterminaient le rapport entre patron et ouvrier et fixaient donc les conditions d’admission, jusqu’au salaire pour certaines d’entre elles.
L’interdiction des loges faites aux femmes est donc à rechercher dans l’origine corporative de la maçonnerie qui dans ces anciens devoirs, comme nous venons de l’évoquer, spécifiait que l’exercice du métier nécessitait des hommes puissants, qui ne soient ni difformes, ni serfs, de naissance légitime et de meilleure condition. L’exclusion des femmes à cette époque n’avait donc rien de sexiste, mais était liée aux exigences et aux qualités qu’imposait l’exercice du métier.
C’est dans cet esprit qu’il nous faut, si nous voulons comprendre les constitutions, examiner la notion de « nés libres », bien que nous en sommes réduit à des conjectures comme la plupart des historiens.
Il semble qu’aujourd’hui il y ait une forme de consensus pour dire que « Free » que nous traduisons par libre désignait non pas l’homme mais la matière. Dans l’Angleterre du moyen age, freestone désignait la pierre de qualité supérieure, servant à la construction des cathédrales et des palais royaux, par opposition à « roughstone », pierre brute.
Les hommes travaillant cette matière, sont devenus par analogie des « freemason », que nous avons traduit par franc-maçon, et ces francs-maçons, ne pouvaient être que des hommes de qualité supérieure comme la matière qu’ils façonnaient, d’où les conditions d’admission contraignantes et l’interdiction fait aux femmes.
Ce qui est plus surprenant, c’est le maintien de cette interdiction des loges, faites aux femmes, dans cette maçonnerie rayonnante de 1717. Dans cette maçonnerie porteuse d‘idées généreuses, inspirée par J.T. Désaguliers et les membres de la royal society, soucieuse de rassembler les différentes croyances, attachée à l’union des hommes dans un même idéal, acquises aux thèses de la libre pensée qui avait tant séduit Voltaire ?
Peut-on avancer que la notion « nés libres » à glisser au XVIII° siècle, de la matière vers l’économique ? Je verse aux débats, cet extrait tiré des devoirs des maçons, daté de 1756 :
« Ceux à qui je m’adresse maintenant sont hommes ayant de l’instruction, une honnête réputation mais sans fortune, je leur dis donc, pensez à votre famille et à vos ressources, sachez que la maçonnerie exige des capacités financières... ».
Pouvons-nous, en déduire que cette indépendance financière est une condition sine qua non pour entrée dans l’ordre ? Il le semble bien au vue de l’extrait et par analogie y voir un lien direct entre né libre et indépendance financière. Or, la femme ne l’était pas.
On peut également trouver dans la structure des loges, une raison d’exclusion des femmes. Ces structures, dans leur principe, restaient claquées sur celle des guildes et clubs, qui foisonnaient à cette époque, et qui restaient exclusivement, réservés aux hommes, tout comme aujourd’hui d’ailleurs.
On peut tout aussi bien s’interroger sur les préoccupations de nos ancêtres féminins ? La femme du XVIII°siècle semble plutôt attachée, au bon fonctionnement de sa maison, attentive à ce que son époux protège la famille et assume ses responsabilités financières dont elle dépend. Il ne semble pas que la maçonnerie tout comme des revendications féministes, soient des sujets mobilisateurs. Les femmes acceptent cette tutelle masculine comme nous le montre ce courrier que Locke adressa au comte de Pembroke le 6 mai 1696 :
« La plus grande partie des notes annexées sont celles que j’ai écrites hier pour Lady Masham. Elle est devenue si entichée de Maçonnerie, pour dire que, maintenant plus que jamais, elle aurait désirée être homme, pour être en mesure, d’être admise dans la fraternité ».
Cependant, cette interdiction ne les empêche pas de peser sur cette maçonnerie naissante, souvent malgré elles. Elles sont par exemple, symboliquement associées aux initiations, puisque l’on remettait au jeune initié une deuxième paire de gants, lui demandant de les offrir à la femme qu’il estimait le plus et, suivant la mode du temps, elles sont honorées à la fin des agapes, par des chants, souvent naïfs, du style :
« Vous, belles britanniques, réputées pour votre beauté,
Nous souhaitons être vos esclaves
Que nul ne soit cité pour des charmes pareils aux vôtres,
Qui n’aime la maçonnerie »
Au plus fort de la campagne, la relation entre la Franc-maçonnerie et les femmes va prendre une tournure horizontale, et les maçons, en réponse, se montreront incapables de « verticaliser » la relation, un comble.
Ce qui va animer les campagnes antimaçonniques, c’est le fameux secret. N’oublions pas que la maçonnerie est une société secrète et comme telle, elle cherche à se protéger. Elle est donc peu favorable à la conservation de témoignages écrits, par crainte qu’ils ne tombent, entre des mains innocentes. C’est pourquoi, elle use de la tradition orale dans ses échanges, et lorsque l’écriture apparaît dans les Loges, on prend soin de détruire les documents, au moment du décès de celui qui les détient.
Cela va alimenter les fantasmes les plus divers, et très vite tourner à l’obsession : Comment percer les secrets des maçons ? L’imagination est sans limites, les méthodes utilisées rarement recommandables, on n’hésite pas à solliciter les femmes pour qu’elles arrachent sur l’oreiller les fameux mystères tant prisés.
L’exemple le plus connu est celui de la Carton, Marie-Armande Dancourt, décrite comme une femme libre et spirituelle et qui, selon Luquet, aurait communiqué le secret par vengeance, au lieutenant de police Hérault, après l’avoir dérobé, entre deux râles d’extase à son amant, Lord Kingstone , qui l’avait quitté pour sa propre fille.
En réponse, les maçons vont faire circuler des contes, mettant en situation des femmes prêtes à tout pour arracher ce fameux secret, comme dans les soupers de Daphné, publié en 1740 sous la plume d’Anne Gabriel Meusnier, dans lequel, trois femmes nous décrivent les artifices déployés pour arracher à leurs amants ce fameux secret. L’extrait qui suit nous donne une idée de l’ambiance et du niveau de l’époque :
« J’avais entrepris, dit la première de faire succomber mon amant. Je lui donnai rendez-vous chez moi et je l’attendais sous les armes. Il arrive. Je l’accable de caresses et je mets tout en usage pour l’enflammer, bien résolue de l’arrêter au milieu de mes embrassements. Il s’abandonne à mes transports, il se plonge dans cette ivresse, dans ce délire où je le voulais. Mais en l’attaquant avec tant de vivacité, je n’étais plus sur la défensive et déjà j’étais tout en feu moi-même. Mon désordre l’irrite encore, il gagne peu à peu le terrain, il entre malgré moi dans la lice. Hélas ! je m’étais si bien promis de ne pas lui laisser faire tant de chemin ! Je veux commencer à m’expliquer, ma voix expire dans ma bouche, il me prend une faiblesse, mon cœur se fond, je n’y suis plus, le traître achève et me laisse, noyée dans le plaisir, exhaler en soupirant ma confusion... Rendue à moi-même, je voulus d’abord exiger avec autorité la confidence dont l’ingrat était déjà payé. C’en était fait, il avait tout l’avantage sur moi, il sue éviter le conflit et je n’ai jamais pu obtenir le secret tant convoité »
Laurence Dermott ne pouvait rester absent de la campagne antimaçonnique qui bat son plein alors. En 1756, il profitera de la rédaction « d’Ahiman Rezon » pour régler ses comptes avec les détracteurs de la maçonnerie. Dans les épilogues de son oeuvre, il met en scène des femmes de maçons, comme cette Madame Thurmond, afin de promouvoir l’ordre et rassurer la gent féminine :
« Avec quelle joie méchante, avant d’être informée
J’ai un certain temps éclaboussé les maçons ;
Comme j’ai avidement cru chaque mensonge
Fabriqué contre cette société renommée ;
Avec bien d’autres me suis plainte- il est très dur de voir
Que leurs secrets soient interdits aux femmes.
Quand les rois et hommes d’état révèlent à notre sexe
Des affaires importantes qu’ils devaient cacher,
Que de jolies femmes adorées de leurs beaux
Ne puissent jamais les enjôler pour obtenir le mot des maçons ;
Et elles ont souvent accordé en vain leurs faveurs
Sans pouvoir obtenir un secret contre ce don ;
Je me croyais incapable d’expliquer la chose,
Tout maçon doit certainement haïr les femmes ;
Saisie de peur soudaine et d’horreur sombre,
J’appris que mon époux allait signer le livre.
Par notre amour je le suppliai de s’abstenir ;
A deux genoux je pleurai et m’arrachai les cheveux ;
Mais je le trouvai résolu, comme je me conduis,
Croyant l’avoir perdu, comme une furie j’enrageai,
Croyant qu’à jamais il serait ruiné
À la suite de quelque étrange opération subie,
Quand il revint, je trouvai un changement, c’est vrai,
Mais un changement tel, qu’il rajeunit ;
Il revint les joues roses avec un sourire gracieux,
Et des yeux étincelants qui montraient la flamme d’un jeune marié.
Oui, femmes mariées, c’est une vie heureuse
Croyez-moi, que celle d’une femme maçon.
Quoiqu’ils cachent les secrets de leurs amis
En amour et en franchise, ils compensent largement »
Ces extraits montrent comment les auteurs ont cherché à exalter la virilité des maçons, qui était mis à mal par ses détracteurs et à vanter les qualités humaines des membres de la fraternité que rien, même pas la luxure, ne peut détourner de leur serment.
3- La France : L’avènement de la maçonnerie féminine
Il faudra que les campagnes antimaçonniques se développent pour leur faire jouer un rôle malgré elles, pas toujours glorieux et de bon goût, comme nous venons de le voir.
Leur présence est active, et les salons qu’elles animent deviennent rapidement des lieux prisés par l’intelligentsia de l’époque, ou la maçonnerie devenue phénomène de mode est très recherchée, ce qui fera dire à Marie-Antoinette quelques années plus tard :
« La maçonnerie ? Mais tout le monde en est aujourd’hui »
C’est dans ce climat que la maçonnerie féminine se développe. Elle attire un grand nombre de femmes, toutes de l’establishment, à l’autonomie financière établie, dont les époux sont généralement des initiés et pour elles, l’idée d’exclusion est inconcevable compte tenu de la place qu’elles occupent alors dans la société française.
Très vite elles font leur, la pratique maçonnique et l’on voit se développer, à côté d’une maçonnerie masculine, une maçonnerie féminine qui prendra le nom de maçonnerie des Dames. Le phénomène se propage rapidement, et l’on dénombre plus de 80 Loges d’adoption en 1780 sur l’ensemble du territoire français. Ces loges, « souchées » sur les loges masculines, créées pour la plupart d’entres elles de façon anarchique, seront régularisées en 1774 par ce qui est devenu entre temps le Grand Orient.
Bien que cette nouvelle organisation reste sous la tutelle de son homologue masculine, elle va très vite s’organiser et se structurer. Dans un premier temps, elle va se doter d’un rite spécifique, le rite d’adoption, calqué sur celui en usage dans les ateliers masculins, puis porter à sa tête une Grande Maîtresse prestigieuse, en la personne de la Duchesse de Bourbon-Condé.
Ces loges ouvrent leurs travaux après ceux de leur « loge père », travaux qui se résument pour l’essentiel, outre les cérémonies de réception et d’augmentation de salaires, d’une importante activité caritative. Si ces loges restent dirigées par un Vénérable Maître, on l’assiste d’une Grande Maîtresse et l’on réserve aux femmes les offices de secrétariat, du trésor et de l’expert.
Avec la Révolution française, non seulement la maçonnerie tombe en sommeil, mais s’ouvre pour les femmes une période de remise sous tutelle masculine qui ne prendra fin qu’au milieu du XIX°siècle et notre pauvre Olympe de Gouge terminera comme nombre de ces contemporaines militantes pour la cause féminine, sur l’échafaud.
Au cours de la seconde moitié du XIX°siècle, la maçonnerie retrouve une nouvelle vigueur et avec elle, l’épineuse question de la place des femmes dans l’institution. Les maçons restent fort divisés sur la question et l’ambiance est loin d’être sereine, qu’on en juge avec l’extrait du compte-rendu de séance du Suprême Conseil du 28 juin 1899 :
« Il ne peut y avoir d’égalité de droits lorsqu’il n’y a pas égalité de charges... La femme n’a pas sa place marquée dans la franc-maçonnerie. Qu’y ferait-elle ? Cette éternelle blessée est trop souvent sous le coup de la douleur physique pour devenir le grand réformateur de l’humanité... Associons-la à nos désirs, à nos espérances ; elle est assez impulsive pour nous apporter un concours précieux et efficace, mais ne lui donnons pas l’entrée de nos Temples, où elle serait susceptible d’entraver nos travaux et de nous distraire du noble but que nous poursuivons »
La fin de non-recevoir de la maçonnerie ne mettra pas un terme aux aspirations féminines. Un grand nombre d’entre elles, va alors s’investir et militer au côté des hommes dans les divers mouvements sociaux qui secouent notre pays. Elles seront même en pointe dans des combats comme ceux qui ont trait à l’instruction des femmes.
Le féminisme se développe, avec à sa tête une femme charismatique, Maria Deraismes, intellectuelle réputée, acquise aux thèses de son amie théosophe Annie Besant qui, à travers une série de conférences et d’articles, entame dès 1866 une campagne contre l’inégalité dont les femmes sont victimes.
Elle sera soutenue dans son combat par de nombreux francs-maçons, qui finiront par lui ouvrir les portes de leur temple en l’initiant en 1882. Mais cela n’est pas du goût de tous, et l’atelier, les libres-penseurs à l’orient du Pecq, sera mis à l’index avant de disparaître. Il faudra attendre 1893 pour que Maria Deraismes en compagnie de George Martin fonde la première loge mixte, le Droit Humain.
Parallèlement à cette création, la demande d’admission d’Amélie Gédalge va relancer le débat avec plus d’acuité. De nombreux frères vont alors prendre position en faveur de l’admission des femmes, comme le Frère Lang, qui lors de la première tenue de la Loge d’adoption le Libre examen, tient à rappeler, que si :
« La femme n’est pas encore affranchie autant que l’homme des préjugés qui pèsent sur l’intelligence et la conscience et que si l’on souhaite que la femme devienne l’égal de l’homme, ce qu’elle est de par nature et de par la raison, mais qu’elle est loin d’être en réalité, il faut travailler à détruire ces préjugés, cet état d’esprit qui pèse sur un trop grand nombre d’entre elles »
Loges d’adoption, qui semble plus verbale qu’effective comme se plait à le dire le Vénérable Maître de la Loge la Nouvelle Jérusalem.
Le retour à la paix sera cruel. Non seulement la France ne leur sera pas reconnaissante pour les actions menées pendant ces moments difficiles, mais on leur fera comprendre que le temps du repeuplement est arrivé.
En 1935 la Grande Loge de France, d’autorité, encouragera les soeurs, à créer une maçonnerie féminine indépendante. Surprises par cette initiative unilatérale, elles n’ont d’autre choix que de la rejeter. En effet, elles ne sont pas préparées à cette autonomie soudaine, et surtout elles ne disposent pas d’une trésorerie suffisante leur permettant d’assumer cette indépendance. À partir de ce moment, maçons et maçonnes vont travailler, sous la direction d’Anne-Marie Gentily à la création d’une maçonnerie féminine autonome.
La deuxième guerre mondiale va freiner cette tentative et il faudra attendre la fin du conflit pour que les travaux reprennent. Tous comme leurs frères, les maçonnes payeront un lourd tribut à l’occupation nazie. Cette diminution de leur effectif ne les empêchera nullement de créer en 1945, L’union maçonnique féminine de France qui prendra le non de Grande Loge féminine de France en 1952.
Ce survol de l’histoire témoigne du rôle actif des femmes dans le développement de la maçonnerie française. Certes elles furent durant le XVIII° siècle souvent manipulées, majoritairement peu concernées, par le phénomène maçonnique, et lorsqu’elles se soucient de maçonnerie, c’est plus par curiosité intellectuelle ou simple mondanité.
Mais dès le milieu du XIX° siècle et les premières revendications féministes, les femmes s’investissent et se préoccupent de maçonnerie, un moyen pour elles, de faire valoir leurs thèses et de défendre leur cause. Dès lors, elles ne quittent plus le mouvement et contribuent à travers leur combat à façonner le paysage maçonnique que nous connaissons aujourd’hui.
Si le Grand Orient a beaucoup débattu, s’est beaucoup déchiré sur le sujet, dans les faits il n’est qu’à l’origine des loges d’adoption. C’est d’une émanation du Suprême conseil pour la France, la Grande Loge Symbolique Ecossaise, que naîtra le Droit humain. Et c’est la Grande Loge de France qui enfantera la Grande Loge Féminine de France.
L’histoire maçonnique est ainsi faite. Son paysage a été modelé à partir de débats parfois houleux, de combats pas toujours honorables, d’oppositions rarement courtoises. Néanmoins, force est de constater, n’en déplaise aux chasseurs de scoop, à la recherche de thème racoleur et clientéliste, animé de motivation mercantile ; peu soucieux de vérité historique, qu’il s’est construit au fil du temps une offre maçonnique en capacité de répondre aujourd’hui aux préoccupations de chacun, selon sa conscience et ses propres aspirations, ce qui rend notre débat sur la maçonnerie et les femmes quelque peu obsolète, voire dépassé.
4- De la franc-Maçonnerie et de l’initiation :
Si nous considérons la Franc-maçonnerie, comme une fraternité initiatique, d’origine corporative, qui ambitionne au perfectionnement de la famille humaine à travers le perfectionnement de ses membres, ce qu’elle est bien en réalité, cela nous renvoie à la notion d’initiation.
L’initiation ne relève donc pas d’un état, mais d’un accomplissement, s’inscrivant dans un mouvement, dans une dynamique si bien traduite par Nietzsche et son fameux « Deviens ce que tu es ». Or une femme n’est pas un homme et inversement.
Ce qui pose la question, non pas de l’initiation des femmes, car, sur ce point, il me paraît difficile aujourd’hui de justifier une position contraire. À quel titre et au non de quoi, la femme ne serait-elle pas « initiable » ? certainement pas au nom du symbolisme.
Encore que, nous pouvons toujours objecter que l’initiation masculine, avec son symbolisme emprunté aux corporations des métiers de la construction, n’est pas adaptée à celle de la femme. Mais les symboles indissociables de l’initiation ne sont plus aujourd’hui chargés uniquement de signifiant et signifiés professionnels, mais avec la maçonnerie spéculative, ils se sont transcendés, sublimés, idéalisés, donc devenus accessibles et utilisables par tous.
Notre question concerne plutôt celle de la voie initiatique, donc du rite. Peut-on recevoir de la même manière que les hommes, des femmes en leur offrant des rituels empruntés aux corporations de métier ? et son corollaire, la mixité des loges.
Ne pourrait-on pas donner à l’initiation féminine un caractère spécifique et original, qui ne soit pas dans ses rites et son symbolisme, une pâle copie de ceux qui rythment les travaux masculins, mais de découvrir ou de retrouver les bases d’un syncrétisme initiatique féminin qui existait au moyen age dans les corporations exclusivement féminines ?
Cela n’a rien d’impossible en théorie. Mais il me semble que cette recherche n’est pas facile à entreprendre par son objet même et la difficulté qui lui est propre, de plus je ne suis pas certain que la maçonnerie féminine soit prête à épouser cette voie.
Alors ne changeons rien. L’essentiel, n’est-il pas que les maçonnes, trouve dans la pratique du R.E.A.A. une symbolique qui corresponde à leur attente dans la voie de la connaissance d’elles-mêmes ? N’oublions pas que les symboles ne sont pas sexués, ou plus précisément, ils sont la représentation d’une dualité apparente qui invite l’initié à lever les oppositions pour unir les complémentaires, autrement dit, rechercher la voie du juste milieu : l’Amour, symbolisé par la rose, représentant l’aboutissement de la dualité mâle et femelle, par la fécondité , en autre ?
Si l’on interroge les intéressés, aussi bien les femmes que les hommes, on découvre que la grande majorité est peu favorable à la mixité. Les soeurs tout comme les frères préfèrent travailler dans des loges unisexes, au prétexte que l’autre fonctionne différemment, et que cette différence est nuisible à la concorde, à l’Egrégore, indispensable à la qualité des travaux en Loge.
Plus près de nous, Jung et sa fameuse formule anima, animus, montre que cette différence, qui gouverne notre relation à l’autre, est caractérisée par cette part de féminin et masculin contenue en chacun de nous.
Ce processus de différenciation, ou d’individuation, comme aimait à le définir Jung, n’est pas sans rappeler le fameux « Deviens ce que tu es » . Et tant que les femmes, tout comme les hommes n’auront pas reconstitué leur androgynie originelle si cher à Platon, et qu’ils seront conduits par la représentation qu’ils se font de l’autre, il me semble que pour l’harmonie et l’efficacité des ateliers, les travaux séparés demeurent encore la meilleure solution.
De plus, lorsque je vois le nombre de maçons plus préoccupés par l’enrichissement de leur carnet d’adresse que de symbolisme ou de perfectionnement, que j’observe les querelles engendrées par des problèmes d’ego mal maîtrisé, je ne puis que m’interroger sur la mixité qui de mon point de vue non seulement ne règle rien, mais complique tout.
En revanche, l’existence de loges féminines, me semble tout à fait opportune. Nous aurions tout à gagner dans l’échange de travaux et d’idées, bénéficiant ainsi d’angles et d’éclairages différents, en vue de compléter notre approche des sujets qui nous préoccupent. Reste la forme à lui donner.
Devons-nous travailler, à la régularisation de Grande Loge féminine, en relation et avec le concours de la Grande Loge Unie d’Angleterre ? Devons-nous soutenir un projet qui aurait pour ambition à l’intérieur d’une juridiction déterminée, le développement de loges féminines indépendantes et autonomes aux côtés de leurs homologues masculines ? Ou bien, militer en faveur de la mixité ? Le débat est ouvert...
Imaginons que lors de son dernier convent, la motion favorable à la mixité devienne majoritaire au sein du Grand Orient. Quelles pourraient en être alors les conséquences pour le paysage maçonnique actuel.
Ou bien, assisterons-nous à la création d’une nouvelle Grande Loge probablement marginalisée compte tenu du niveau de son effectif.
Quant aux loges féminines, l’apparition d’une nouvelle obédience mixte, ne risque t-elle pas de freiner son développement ?
C’est l’effet papillon. On ne peut donc, rester indifférent aux débats qui agitent le Grand Orient car ils ne seront pas sans conséquences sur l’ensemble de la maçonnerie française, si d’aventure les partisans de la mixité devenaient un jour majoritaires. Comme nous le voyons, notre sujet est loin d’avoir trouvé son épilogue.
5- Conclusion :
À une époque où les femmes occupent une place éminente et reconnue dans notre société, encore que, allons-nous continuer encore longtemps à ignorer la moitié de l’humanité, qui comme, ces maçons du XVIII° siècle, aspire à son émancipation et à la reconnaissance ?
Quant à nous, dont l’inspiration s’est nourrie de la haine du mal et de l’amour du bien qui, en travaillant à notre perfectionnement, recherchons à promouvoir la justice, à lutter contre l’intolérance, à rassembler les hommes autour d’un idéal de paix et de fraternité, n’avons-nous pas le devoir de réconcilier pragmatisme et tradition en inscrivant notre démarche future dans l’esprit qui anima les fondateurs de la franc-maçonnerie, celui d’être filles et fils de son temps ?
La franc-maçonnerie a son propre rythme. Laissons le temps au temps.N’a t-elle pas su faire preuve d’opportunité au cours de son histoire ? N’oublions pas que lorsque la première république guillotinait les femmes, la maçonnerie leur avait ouvert ses portes depuis longtemps déjà, et si 1945 marque l’avènement d’une maçonnerie féminine indépendante, c’est aussi l’année du premier vote des femmes en France !
Avant de vous quitter, je ne résiste pas à vous offrir cette citation du Mahatma Gandhi :
Appeler les femmes, le sexe faible, est une diffamation, c’est l’injustice de l’homme envers la femme. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient alors aux femmes »
Il ne me reste plus qu’à vous remercier pour votre attention, et espérer que ces quelques lignes auront modestement contribué à enrichir vos réflexions, voir à éclaircir vos idées sur notre sujet. La place vous est maintenant offerte et j’attends avec impatience vos contributions à ce livre qui fut ouvert, il y a près de trois siècle maintenant.
Jean-Claude VELU
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