Le crépuscule de l’Église catholique ?
Réflexions personnelles d'un non croyant sur le retrait de Benoit XVI et le devenir de l'Eglise.
Le catholicisme jouit d'un privilège unique :
Son organisation cléricale hiérarchisée avec, à sa tête, le pape de Rome.
Son Église "une, sainte, catholique, apostolique et romaine", avec un grand "E".
Un privilège qui, actuellement, confine au masochisme et lui confère un "désavantage comparatif" face aux confessions "concurrentes".
Outre qu'une telle organisation paraît typiquement ringarde, à l'heure où la hiérarchie est soigneusement niée (mais non pas supprimée) par les systèmes "en réseau", le management "participatif" (voire la démocratie du même nom) ou les relations "à la coule" dans les organisations, elle a l'inconvénient de désigner "urbi et orbi" le responsable unique de tous les maux pouvant, à un titre ou à un autre, émaner de l'Église, à travers les temps et le monde.
Depuis les croisades et la Saint-Barthélemy jusqu'aux agissements contemporains de prêtres pédophiles, en passant par la propagation du SIDA en Afrique.
Une situation unique : l'Islam n'a plus de tête depuis l'abolition du califat et la chute de l'Empire ottoman, le protestantisme s'est construit dès le départ en réaction contre l'Église de Rome et se caractérise notamment par un pullulement de sectes autonomes (Royaume-Uni et, surtout, États-unis) ou des organisations "nationalisées" (Allemagne…). Même les chrétiens orthodoxes, qui pourtant ne se sont pas opposés aux catholiques sur ce point, ne peuvent plus en dire autant : avec la submersion de l'Empire byzantin par les ottomans, le patriarche d'Istanbul/Constantinople n'a conservé qu'un primat honorifique face à des croyants restructurés en Églises nationales (russe, serbe, bulgare…).
Comme on a encore pu le voir avec l'affaire Merah, si des individus se réclamant clairement de l'Islam "dérapent" et versent dans la violence, il se trouvera toujours d'autres bons croyants, autoproclamé représentant du "vrai Islam" souligner que les "déviants" ne sont pas de bons musulmans et que les victimes de l'histoire…ce sont les musulmans eux-mêmes, bien sûr ! Un acte isolé peut parfaitement passer pour celui d'un fou. Mais une multitude d'actes "isolés" aux quatre coins du monde ne le sont plus vraiment (isolés) et devraient entraîner un début de réflexion interne sur les causes de cette violence récurrente. Constatons que ce n'est guère le cas, à part pour quelques francs tireurs aussitôt mis au ban de la "communauté".
De même, il ne viendrait à personne l'idée étrange de mettre en cause la doctrine protestante à propos, par exemple, de groupes évangéliques prompts à ponctionner le portefeuille de leurs adeptes pour assurer le salut de leurs âmes.
Ainsi le procès en ringardise de Joseph Ratzinger a-t-il été mené bon train.
Son origine allemande, sans doute, qui prête d'entrée à confusion avec "les heures les plus sombres de notre histoire" .
Sa volonté de "réintégrer les intégristes" opposés à Vatican II, qui indigna la landernau médiatique sans qu'on en saisisse bien les raisons ? Comme s'il était d'une importance primordiale, pour les profanes souvent non pratiquants, que les prêtres célèbrent la messe en langue vernaculaire, face vers les fidèles (et non pas en latin, le dos tourné à l'assemblée).
Ou sa "controverse de Ratisbone", qui déchaîna les foudres de nombre de prédicateurs musulmans, les mêmes qui déversent quotidiennement des tombereaux de considérations symétriques, souvent beaucoup moins édulcorées, sur "le monde chrétien décadent colonisateur à jamais" ?
Quelle stupéfaction lorsque la nouvelle est tombée :
Benoît XVI "démissionne", pour raisons de santé qui l'empêchent de se consacrer à une tâche, on veut bien le croire, écrasante.
Les thuriféraires du modernisme devraient se réjouir :
Voilà une décision inédite, sauf grave crise interne de l'Église ou contexte historique bien différent[1] .
On pourrait interpréter cette renonciation de différentes manières, nullement incompatibles d'ailleurs :
La face lumineuse : un excès de scrupules, révélateur de la haute idée dans laquelle il tient sa tâche de guide spirituel pour les catholiques.
Les laïcs n'ont pas toujours les mêmes états d'âme. Au hasard, nos hommes politiques :
François Mitterrand, toujours adulé par le parti socialiste, a-t-il démissionné lorsque sa maladie l'a, on l'imagine, terriblement atteint lors des dernières années de son second septennat ?
Boris Eltsine, qui finit par apparaître habituellement ivre en public, a-t-il quitté le pouvoir autrement que contraint et forcé ?
Qu'importe : les cyniques n'auront que ricanements et haussements d'épaules pour saluer cette décision. Quant ils n'iront pas l'expliquer par je ne sais quels noirs secrets.
La face sombre : cette renonciation particulière ne manifeste-t-elle pas, plus généralement, celle de l'Église catholique, qui avouerait son impuissance à défendre son modèle face aux critiques des confessions "concurrentes" et à celles de la "modernité" triomphante ?
Jean-Paul II passe pour celui qui aurait terrassé le monstre communiste. Mais, comme l'envisage Emmanuel Todd pour le cas français [2], la chute de l'un n'est-elle pas parallèle à celle de l'autre ?
J'ignore à quel point le film de Xavier Beauvois Des Hommes et des dieux est fidèle à la vie des moines de Tiberine et si les dialogues sont représentatifs de leurs relations avec leur environnement algérien. C'est en le regardant que je l'ai interprété, avec une certaine mélancolie, comme l'allégorie du crépuscule de l'Église.
Plusieurs scènes sont anthologiques :
Lorsque le wali (préfet) local avoue son incompréhension face à la volonté de la communauté de rester, sans protection, malgré les menaces qui pèse sur les étrangers, et qu'il finit par en prendre ombrage en la soupçonnant d'une sorte de pêché d'orgueil, je n'ai pas entendu la réponse du personnage de Christian de Chergé.
De même lorsqu'un militaire se considère comme offensé de voir Chergé prier devant le cadavre d'un maquisard, aucune explication ne vient.
Fictifs ou non, ces dialogues trouvent à mon sens à s'appliquer à l'Église catholique, qui ne manque pas de courage, mais peine à faire entendre son message. Quel sens donner au sacrifice des moines de Tibérine ? La question reste posée alors qu'un "don de soi suprême" tel que celui-là devrait, justement être parfaitement explicite.
Il est vrai qu'une certaine interprétation de la doctrine chrétienne pousse au don au bénéfice d'autrui, en s'oubliant au passage. Mais la nature humaine est ainsi faite qu'une telle attitude se voulant exemplaire engendre rarement la compréhension et bien plus le mépris et les abus. "Charité bien ordonnée commence, aussi, par soi-même".
Ainsi, dans "Des Hommes et des Dieux", la seule raison invoquée clairement pour ne pas partir est la nécessité d'être solidaire avec les villageois, qui ont grandi avec le monastère. Ou comment retomber sur la pente du "matériel", les chrétiens étant tolérés à condition qu'ils "servent" (dans ce cas, l'infirmerie, le médecin et les médicaments) et, surtout, qu'ils ne fassent aucun prosélytisme, ce qui les assimilerait aux anciens colons français (une accusation qui n'est jamais très loin). Pas très engageante comme situation.
De plus, il n'appartient pas aux personnes "extérieures" de "décoder" des sous-entendus. La force de la Foi étant, justement, qu'elle est supposée ne laisser aucune place au doute et offrir des certitudes, quels que soient les aléas de la vie terrestre.
Au-delà des justifications personnelles qui semblent parfaitement plausibles, le renoncement de Joseph Ratzinger, pourtant exceptionnel mais guère commenté en tant que tel, m'apparaît donc révélateur des vertiges qui peuvent saisir une Église catholique vigoureusement contestée.
N'en déplaise aux petits esprits ricanants, ce doute sur soi n'est-il pas, justement, l'attribut même de la modernité ?
[1] Les papes du Moyen âge et de l'époque moderne, grands aristocrates romains, menaient souvent une vie de seigneur guerrier plutôt que d'érudit austère.
[2] Selon lui, l'effacement du pôle catholique conservateur minoritaire, qui structurait positivement et négativement la vie politique française, dans les années 70 aurait entraîné l'écroulement des autres "pyramides idéologiques" et notamment celle, opposée, du parti communiste (voir Après la démocratie, 2008).
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