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Discrète mais réelle avancée sur la « fin de vie »

Parmi les nombreuses mesures que les parlementaires adoptent tous les jours, un vote définitif a eu lieu cette semaine à l’Assemblée Nationale sur le principe d’une nouvelle solidarité : l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie. Si les conditions d’obtention sont réduites, elle constitue malgré tout une avancée notable dans un domaine qui concerne tout le monde. Ce texte n’attend plus que la signature de Nicolas Sarkozy.

Depuis longtemps, le vocabulaire législatif a son propre mot pour désigner la mort ou sa proximité : la "fin de vie". C’est un sujet essentiel avec l’augmentation de l’espérance de vie. De plus en plus de personnes ont à faire face à une fin de vie difficile, tant pour elles-mêmes que pour leur entourage direct chargé de les accompagner matériellement et moralement. Cent mille personnes sont prises en charge aujourd’hui par le dispositif de soins palliatifs.


Historique de cette loi

C’est à la suite de la mission d’évaluation de sa loi n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, mission décidée au même moment que la triste disparition de Chantal Sébire, que le député Jean Leonetti (UMP) a proposé le 28 janvier 2009 la création d’une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie (n°1407). Pour favoriser l’unanimité des parlementaires, il a associé un député de chaque groupe à cette proposition de loi : Gaëtan Gorce (socialiste), Olivier Jardé (Nouveau centre) et Michel Vaxès (communiste), députés qui ont également travaillé avec lui pour la mission d’évaluation...

La proposition a été discutée et a été adoptée en première lecture à l’unanimité le 17 février 2009 par l’Assemblée Nationale, puis modifiée et adoptée le 10 janvier 2010 par le Sénat en première lecture et enfin, a été adoptée en seconde lecture à l’unanimité dans la même version que celle du Sénat, ce mardi 16 février 2010, adoption qui ne nécessite donc pas de vote au Sénat en seconde lecture.

La loi est donc prête pour être promulguée dans les prochains jours par le Président de la République Nicolas Sarkozy.


Épectase du processus ?

La durée d’un an de ce parcours législatif a été très longue (nettement plus rapide cependant que le texte sur la prévention des incendies), ce qui a un peu froissé le consensus par la voix de la députée socialiste Danièle Hoffman-Rispal : « Un délai d’un an avant cette deuxième lecture me paraît exagéré, surtout si l’on prend en considération les nombreux projets de loi qui ont été adoptés en urgence dans le même temps ».

L’oratrice de l’opposition a finalement préféré surtout insister sur l’union nationale face à ce sujet délicat jusqu’à en faire de l’humour plus ou moins graveleux : « Cent onze ans jour pour jour après la mort de Félix Faure [Président de la République], tous nos concitoyens ne connaissent certes pas la chance de mourir d’épectase. Restons positifs et félicitons-nous que la loi augmente leurs chances de mourir accompagnés ! ».


Que dit ce texte ?

Le texte définitivement adopté par les parlementaires stipule qu’une « allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie est versée aux personnes qui accompagnent à domicile une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave ou incurable, quelle qu’en soit la cause ».

Pour y avoir droit, le bénéficiaire doit avoir réduit ou suspendu son activité professionnelle, et soit avoir un lien de parenté, soit être une « personne de confiance au sens de l’article L. 1111-6 du code de la santé publique », soit partager le même domicile que la personne accompagnée.

La possibilité que cette mesure puisse s’appliquer aux "personnes de confiance" (dont le lien est confirmé et validé par la personne en fin de vie) est l’une des grandes améliorations apportées au texte par les sénateurs. Cela rend mieux compte de la réalité sociale où c’est parfois plutôt un ami qu’un membre de la famille qui va accompagner la personne en fin de vie.

Cette allocation est versée pendant vingt et un jours pour un montant de 41,37 euros par jour (49,16 euros par jour pour une personne seule) servant à compenser forfaitairement le manque à gagner dû à l’arrêt de l’activité professionnelle. En cas de décès de la personne accompagnée avant la fin de cette durée, le versement est arrêté au lendemain du jour du décès.

Par ailleurs, il est possible de partager cette allocation entre plusieurs personnes qui accompagnent la même personne en fin de vie.


Renforcer la solidarité nationale

Cette mesure devrait concerner vingt mille personnes chaque année, selon le Parlement, et coûterait environ vingt millions d’euros. Il est prévu de faire gérer cette allocation par le régime général d’assurance maladie ou, le cas échéant, par le régime du bénéficiaire si ce dernier est différent du régime général.

La fin de vie est petit à petit prise en compte par le législateur. La précédente avancée majeure dans le domaine de l’accompagnement des mourants avait été réalisée par l’adoption de la loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l‘accès des soins palliatifs (Bernard Kouchner était à l’époque Secrétaire d’État à la santé et à l’action sociale dans le gouvernement de Lionel Jospin) qui a institué le principe du congé de solidarité familial (non rémunéré et d’une durée de trois mois renouvelable une fois) qui permet aux salariés de s’absenter pour accompagner un proche affecté par une maladie grave.


Points de la loi qui peuvent être contestés

Malgré l’unanimité des parlementaires, plusieurs points ont été jugés parfois contestables mais n’ont pas donné lieu à des amendements pour accélérer la procédure législative.

Inégalité de traitement

Le premier point de cette loi consensuelle qui peut être contesté concerne la cible des personnes qui accompagnent des personnes en fin de vie résidant uniquement à leur domicile. Or, il apparaît évident que la personne en fin de vie résidant à l’hôpital ou dans un établissement spécialisé (environ trois quarts des personnes malades concernées) a autant besoin de proches les accompagnant dans cette douloureuse période que si elle réside chez elle.

Certes, le versement de l’allocation n’est pas suspendue si entre temps, la personne accompagnée est hospitalisée.

À l’instar de Jean-Luc Romero (conseiller régional ex-UMP et candidat PS en Île-de-France) qui a ainsi réagi : « Les personnes qui accompagnent à l’hôpital et qui y passent leurs jours et leurs nuits à tenir la main de celui qui va mourir, à le rassurer, ne mériteraient-elles pas également la solidarité nationale ? », certains considèrent cette distinction comme discriminatoire et anticonstitutionnelle, mais il est peu probable que le Conseil Constitutionnel soit saisi de ce point avant la promulgation de la loi. Il pourrait toutefois l’être a posteriori, comme le permet désormais la réforme des institutions de juillet 2008 (voir §5.1).

La raison de cette différence de traitement provient de l’objectif également affiché : encourager la fin de vie au domicile pour "désengorger" les hôpitaux et satisfaire le souhait majoritairement exprimé des personnes (80%) de mourir chez eux (alors que 72% meurent actuellement à l’hôpital).

Montée et durée de l’allocation

L’autre point important de contestation, c’est le montant et la durée trop faibles de l’allocation. L’équilibre était délicat à obtenir pour les parlementaires (l’article 40 de la Constitution est très contraignant à cet égard).

Le montant correspond à l’allocation journalière de présence parentale qui est égale à 10,63% de la base mensuelle de calcul des allocations familiales (12,63% pour une personne seule) avec une base mensuelle fixée au 1er janvier 2009 à 389,29 euros.

À titre de comparaison, ce montant est deux à cinq fois supérieur au dispositif belge et un peu moins du double du dispositif décidé par la municipalité de Paris avec des durées maximales supérieures, respectivement deux et trois mois.

Quant à la durée d’attribution, beaucoup considèrent que trois semaines est trop court d’autant plus qu’elle est difficilement prévisible. En 2005, 47% des Français interrogés avaient déjà accompagné un proche en fin de vie pour une durée inférieure à trois mois (pourtant, les trois quarts des patients mourant à l’hôpital sont seuls au moment de leur mort).

Le rapporteur de la loi, Bernard Perrut, s’en est expliqué : « La durée de versement de l’allocation a été fixée par les auteurs de la proposition de loi à trois semaines. L’expérience montrera s’il se révèle opportun ou non d’adapter cette durée. ».

En effet, chaque année, un rapport d’évaluation de cette nouvelle loi sera rédigé afin éventuellement d’ajuster les différents paramètres.

Arrêt brutal au lendemain du décès

Une autre mesure contestée, c’est d’arrêter brutalement l’allocation le lendemain du jour du décès et pas, comme le propose le député centriste Jean-Luc Préel, jusqu’au jour de l’inhumation.


Une première étape

Ce vote unanime est une première étape d’une « conception exigeante de notre civilisation et de l’avenir qu’ensemble nous voulons inventer » : Nora Berra, la Secrétaire d’État chargée des aînés y voit « l’occasion de mieux reconnaître le rôle de l’accompagnement par les proches d’une personne qui va mourir. Et nous savons combien comptent les soins prodigués et une présence chaleureuse dans les derniers jours d’une vie. ».

Nul doute que cette allocation sera complétée, améliorée, renforcée, revalorisée dans les années prochaines. Bien que d’un montant faible, pour une courte durée et pour un nombre de bénéficiaires limités, tous les partis politiques ont préféré montrer à la nation une belle unanimité pour rendre acquise cette première avancée et ne pas sombrer dans des polémiques parlementaires inutiles et stériles.

Jean-Luc Préel l’a d’ailleurs précisé : « Il faudra donc étendre le bénéfice de cette allocation à l’accompagnement quel que soit le lieu. Le conjoint notamment doit pouvoir cesser son activité pour accompagner la personne en fin de vie. Il a été prévu d’étendre cette allocation à la personne de confiance pour ceux qui n’ont pas de famille proche. Mais, lorsque, hélas ! il s’agit d’un enfant, ses deux parents devraient pouvoir l’accompagner et passer avec lui les derniers jours de sa trop courte vie. ».


Humanisme républicain

La République, comme toujours depuis plus de deux siècles, ne cesse de progresser pour consolider la solidarité nationale face à la détresse sociale. Elle l’a fait cette semaine pour les personnes en fin de vie dans un contexte budgétaire terriblement hostile mais dans le cadre d’un besoin humain d’autant plus criant que la crise atteint les moins aisés.

C’est ce qu’a proclamé, lors de la discussion le 16 février 2010, Jean Leonetti : « Aujourd’hui, nous exprimons notre attachement aux valeurs humanistes, aux valeurs de la République, au lien social indispensable entre le fort et le faible, entre le sachant et le souffrant, entre ceux qui, comme on ne peut regarder le soleil fixement, sont dans l’impossibilité de regarder la marque de notre finitude autrement que de façon subreptice, et ceux qui acceptent de la regarder, avec le sens que cela peut donner à une existence. ».

Cette discussion consensuelle augure d’ailleurs bien, au sein du Parlement, du futur grand débat concernant le financement de la dépendance, volet nettement plus important que la "fin de vie" puisque la dépendance pourrait concerner des durées de plusieurs décennies.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 février 2010)


Pour aller plus loin :

Texte définitif de la loi.

Historique de la loi.

Dernière discussion à l’Assemblée Nationale sur le sujet.

Rapports parlementaires sur le sujet.

Dépêche sur le sujet.


(Illustrations : tableaux d’Edvard Munch).



 

Documents joints à cet article

Discrète mais réelle avancée sur la « fin de vie »

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1 réactions à cet article    


  • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 20 février 2010 17:26

    « adoption de la loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l‘accès des soins palliatifs »

    Cette garantie de droit à l‘accès des soins palliatifs restera une OBLIGATION tant que l’euthanasie demeurera interdite.

    Une euthanasie ne concerne, exclusivement, que deux consciences : celle du « malade demandeur » et celle du médecin qui en accepte le principe.

    Les opposants à l’euthanasie sont parfaitement en droit de vouloir endurer jusqu’au bout les souffrances qui leurs sont éventuellement promises jusque dans les mouroirs que sont les centres de soins palliatifs.

    Mais, cela ne les autorise en rien à statuer sur le sort, strictement individuel, de ceux qui en sont partisans et qui ont exprimé leur volonté depuis longtemps dans la perspective où leur état leur interdirait de communiquer.

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